Les martinets volent haut remarque Pascal. Il ne devrait pas faire vilain. Déjà 2 personnes à la table de Pascal. Un monsieur avec sa monture juste à côté de lui (son déambulateur) et M. qui voudrait écrire (avec son masque en jugulaire).
- Comment ça va ?
- Magnifique. Je vais très bien.
- Vous avez de la chance.
- Oui, je crois. Je suis très privilégié.
- Qu'est-ce que vous faites à part écrire ?
Je raconte un peu mon activité professionnelle et mes occupations en tant que grand-père.
M. s'en va. J'interroge Pascal sur certains détails (noms, localisation, ...) des lieux évoqués hier (ça me permet de remonter dans le temps et de préciser ma chronique précédente).
L'homme au déambulateur porte une casquette à visière à l'américaine et une doudoune. Il me demande si je suis architecte. Et non ! Mais j'ai travaillé avec de nombreux architectes.
- Vous connaissez l'architecte qui faisait les aéroports ? J'ai travaillé pour lui.
- Paul Andreu. Un grand Monsieur.
Je ne peux m'empêcher de leur raconter l'anecdote de la conférence d'Andreu à Venise. C'était une conférence où des couples architecte-écrivain avaient été formés. J'ai oublié avec quel écrivain Andreu avait été associé, mais quand son tour fut venu de s'exprimer, il le fit avec, en arrière plan, la photo d'un plat de spaghettis à la tomate : "voilà, ça représente assez bien mon boulot", dit-il.
Le génial concepteur de Roissy 1, puis de tout Roissy et d'un grand nombre d'aéroport dans le monde, mais aussi de l'opéra de Pékin, est mort il y a déjà 6 ans. Polytechnicien, Ingénieur des Ponts, architecte, c'était un homme exceptionnel. Nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises lors de petites manifestations du milieu archi. Nous échangions le plus souvent sur l'écriture. Il avait été très affecté par l'effondrement du Terminal 2E de Roissy, bien qu'il ne fut pas véritablement responsable de cet accident dramatique (4 morts) lié à une mauvaise mise en œuvre du béton et une probable sous-estimation de certains efforts dans une structure assez audacieuse. Il a publié plusieurs romans.
L'homme à la casquette de golf était "entrepreneur général". Puis, il s'est spécialisé dans les travaux de voiries. Je leur raconte mon anecdote de la pose des bordures de mon stage ouvrier (Cf "Ce matin au kiosque N° 17).
Jean-Michel nous adjoint un grand monsieur au cheveux blancs qui ne se déplace qu'avec des béquilles. Nous nous étions déjà entretenus ensemble, mais c'était avant que je commence mes chroniques. En s'asseyant à la table à côté de moi, il me fait un "bonjour, Monsieur l'écrivain !". Je rectifie : "non : quelqu'un qui écrit".
Je poursuis ma conversation avec Pascal, alias "le biker" ? Que faisait-il dans la vie professionnelle ? Il a longtemps été intermittent du spectacle pour une société spécialisée dans les productions américaines. Un accident de moto dans lequel il se fracture les deux poignets, plusieurs mois d'indisponibilité, une période qui voit le matériel muter de l'analogique au numérique, et Pascal jette l'éponge. Il se reconvertit dans la librairie en tenant un kiosque, côté Asnières. La stratégie des NMPP, qui détiennent alors le monopole de la distribution des journaux et des magazines et qui inondent les kiosques d'exemplaires sans tenir compte de la vente réelle, le contraigne à mettre la clé sous la porte.
Pendant que je parle avec Pascal, Patrick (le grand monsieur) échange avec l'homme à la casquette de golf sur les avantages et les inconvénients de leurs auxiliaires de marche respectifs. Je laisse une oreille en veille du côté de cette conversation. J'apprends que l'inconvénient des béquilles, c'est le mal aux épaules qu'elles engendrent. Mais, le déambulateur exige une position légèrement courbée et, compte tenu de sa grande taille, ce ne sont pas les épaules qui souffriraient mais le dos. Et puis, dans le dos, il a tout un tas de plaques métalliques. Pour le moment, on va rester aux béquilles en espérant que la situation s'améliore. Mais, réaliste, il sait que dans tous les cas, il ne courra plus comme un lapin.
L'homme à la casquette de golf et au déambulateur parle d'un petit AVC qu'il a fait. Patrick semble parfaitement au courant des dispositions qu'il faut immédiatement prendre quand cela vous arrive, et quels sont les symptômes de la survenance d'un AVC. Je n'ai pas tout saisi du protocole (ne pas oublier que je converse avec Pascal). Peut-être faudrait-il que je m'informe davantage ; on ne sait jamais !
L'homme du bâtiment, des voiries, du déambulateur et de la casquette de golf, doit partir. C'est le moment où je finis d'interroger Pascal sur les garages qui existaient (et existent encore pour certains) de Bécon. Patrick saisit le sujet au vol pour parler des belles Alfa-Roméo qu'il a eues dans le passé. Je vois le visage de Pascal s'illuminer ; une certaine excitation s'empare de notre homme. Pascal est un homme de la mécanique et de la belle carrosserie. Il lui faut du "qui déménage" et du style. Son père tenait un atelier de mise en forme et polissage de pièces métalliques pour automobiles (ça c'était du temps où les voitures avaient de vrais pare-chocs - pas des trucs en plastoc - et les parebrises, des parecloses en allu). Grandir dans les chromes et les galbes rutilants vous conditionne pour chevaucher plus tard des Harley ou faire rugir les boites de vitesse. Patrick, de son côté, est intarissable sur le caractère fougueux des Alfas qu'il a collectionnées. Je sens Pascal pencher davantage pour les belles anglaises aux tableaux de bord en loupe d'orme garnis de compteurs et de manettes et les sièges en cuir beurre frais, même si elles étaient sans cesse assoiffées d'huile (tous les 1 000 kms !). Mais ça se discute, car les italiennes et leurs tractions arrière... "On ne fait plus de traction arrière. C'est un désastre", assène Pascal. Les moteurs de voiture ne sont pas loin de ne plus être de vrais moteurs. Patrick affiche un air dépité et pense tout fort que "tout fout le camp". Il dénonce cette société où le flic vous arrête pour excès de vitesse (un petit 180 ou 200) alors que vous êtes au volant d'un bolide bien plus sûr qu'une 4L. Vous avez remarqué ? On peut plus faire rugir un moteur ! Misère...
J'aime - même si je ne partage pas vraiment leurs convictions - ces passionnés d'automobiles, de vitesses et de "fureur de vivre". Il y a une poésie du carburateur à double injection ; un charme du 6 cylindres en ligne et du double embrayage. Surtout quand tout ça est teinté de la nostalgie d'un temps révolu et qui est celui de la jeunesse.
Je n'ai pas osé leur parler de la Maserati Mexico que j'ai eue durant deux années. Quelle voiture !
Il faut se séparer. Mes deux amis lâchent encore quelques soupirs de dépit. Pascal a le mot de la fin : "il nous reste encore de quoi rêver et c'est l'essentiel."
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