Ne croyez pas que ma journée commence avec ma petite virée à la gare de Becon-les-Bruyères.
Tenez, par exemple ce matin. J’ai fait mes 30 km de vélo (d’appartement) tout en accompagnant une équipe de scientifiques, à dos de dromadaires et à travers le désert d’Arabie Saoudite, sur les traces des caravanes qui faisaient, il y a plus de 2000 ans, le commerce de l’encens et de la myrrhe, et qui ont gravé, sur la pierre des rochers et des falaises, des petroglyphes dont l’étude permettra peut-être de connaître l’origine de l’écriture arabe. Ces petroglyphes renseignent également sur la vie des nomades et du peuple nabatéen qui vécut entre le IVéme siècle av JC et le IIème siècle ap JC. Un peuple qui se convertit au christianisme avant de devoir adopter l’islam. Le pays exploré par ces scientifiques recèlent des trésors géologiques et architecturaux, notamment sur le site des vestiges de la ville d’Hegra, au nord de la péninsule arabique, avec ses 138 tombeaux rupestres inspirés de ceux de Petra en Jordanie.
Je pense évidemment au projet pharaonique de 15 milliards de $ qui va consister à faire de ce sanctuaire historique une destination touristique de premier plan. Des hordes de touristes friqués vont débouler pour « faire » AIUla, comme on « fait » Angkor ou le Mont St Michel.
Paul Valéry était l’auteur d’un aphorisme qui ne manque pas de mordant : « Le tourisme est au voyage ce que la prostitution est à l’amour ». Amis tour-operators, bonjour !
L’un de nos plus éminents architectes que d’aucuns reconnaîtront est le concepteur d’un projet d’hôtel, creusé dans la roche et labellisé (comme l’ensemble des interventions prévues sur le site) « développement durable ».
« Durable, forcément durable », aurait commenté Marguerite Duras.
Compte-tenu, d’une part, de la relative friabilité de la roche (selon un expert qui a étudié le site), il va falloir bétonner gaillardement, d’autre part de l’énergie qui sera dépensée pour acheminer matériaux et matériels dans ce coin du désert… durable ? A voir.
Quoi de neuf au « centre cosmique de l’humanité » ? De la bande des habitués, seul Pascal (mais sans sa casquette qu’il a oubliée) est présent. Un monsieur (lunettes Ray-Ban, casquette à l’américaine et déambulateur à poste) est à sa table. Je confirme à Pascal la présence des requins au large d’Oléron et plus vers le sud (jusqu’à Arcachon). Cette territorialité qui semble exonérer les côtes rétaises de la présence de ces squales (ou sélachimorphes) est probablement due aux courants ou à une température plus froide de la mer, localement. De là, nous dérivons sur la plage de Sète (avec une pensée pour le grand Georges et Paul Valéry) puis à Nazare au Portugal où les eaux sont froides. Nazare et son spot de surf ou des vagues de près de 24 m - la hauteur d’un immeuble de 8 étages, précise Pascal - ont été relevées. Et comme il n’existe aucune conversation entre français qui ne débouche au bout d’une dizaine de minutes (au maximum) sur des sujets de bouffe, tout le monde reconnaît qu’on mange très bien au Portugal, quoique un peu gras, et que les portugais sont des gens sympathiques.
Une femme qui gare sa voiture au milieu de la rue pour amener des papiers à Jean-Michel attire sur elle des commentaires sur les « gens qui s’en foutent et se garent n’importe où ». J’ajoute que les artères de Levallois sont spécialistes du stationnement en double file. Pascal rebondit sur le sujet et évoque l’avenue Victor Hugo, fustigeant les nanas bourrées de pognon du 16ème qui font leurs courses en 4X4 et qui, elles, ont le droit de polluer car elles paient une taxe (« un droit à polluer »), quand le pauvre mec qui a une bagnole un peu pourrie et qui n’a pas le pognon pour en acheter une neuve, se voit interdire de circuler. Tout ça dit avec l’accent parisien de Pascal : magnifique !
Moralité : on ne prête qu’aux riches.
La discussion passe aux interdictions de rouler en-deçà de l’A86 pour certains véhicules avec des vignettes au-dessus de 2. Comment fait-on quand on est à Becon et qu’on veut partir en vacances avec une vignette 3 ou 4 ? Voilà une question à soumettre à nos édiles !
Jean-Michel est coincé dans son kiosque. Le vendredi, c’est non-stop : les gens défilent sans arrêt. Serait-ce parce que c’est le jour de parution du Figaro magazine ? Je dis ça parce que je remarque un certain nombre de clients sortir avec cet hebdo sous le bras ; hebdo que je classerais à l’extrême-droite si je me fie à mes dernières lectures qui datent de 3 ou 4 ans. Depuis, il n’a pas dû se gauchiser.
Je n’ai pas encore invité dans ces lignes « Casse-bonbons », un personnage plutôt jovial, bonhomme, un habitué, mais solitaire. Des qu’il entre dans le kiosque, c’est un festival de plaisanteries déjantées, sans queue ni tête, le plus souvent ; une joute improvisée entre deux acteurs, l’un jouant le bougon-bourreau (Jean-Michel), l’autre le simplet-victime.
Ce matin, « Casse-bonbons » proclamait qu’il y avait une différence entre le porc et le jambon. On identifie immédiatement le spécialiste en topologie mathématique et l’expert en théorie des ensembles.
« Casse-bonbons » vient chercher, chaque matin, un journal des courses pour ensuite rejoindre le PMU voisin et, probablement, rêver de toucher dans l’ordre ou dans le désordre, … mais de toucher.
Mon père ne pouvait laisser passer un dimanche sans faire son tiercé. Muni de sa petite pince, il se rendait chez le buraliste et poinçonnait avec application son ticket de trois encoches qui apportaient à sa vie, un peu et pour quelques heures, une dose homéopathique d’espoir.
« Casse-bonbons » est d’origine tunisienne, ce qui n’a aucun rapport a priori avec cette curieuse façon dont il se déplace, donnant l’air de danser sans se départir de son sourire, agitant son « Paris-Turf » à bout de bras comme la promesse d’une félicité prochaine. (Tous les danseurs, toutes les danseuses, qui accompagnent les vedettes de la chanson vous le diront : il n’y a rien d’incompatible entre danser et sourire en même temps).
Un petit café. J’encourage Jean-Michel à poursuivre ses écrits poétiques. Il ne manque pas de me rappeler mon jugement mitigé sur ses premiers travaux (que j’ai quand même publiés !). Je lui rappelle que le vendredi, ma femme fait de la morue. Lui, sa femme cuisine des sardines. « Casse-bonbons » nous contaminerait-il ?
Toujours remettre l’ouvrage sur le métier !
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