mardi 31 décembre 2019

"Dieu, le temps, les hommes et lles anges" d'Olga Tokarczuk

Résultat de recherche d'images pour "ieu, le temps, les hommes et lles anges"Voilà pour constituer la dernière recension de l'année 2019, un étrange récit composé autour de 84 courts chapitres qui mettent en scène un petit nombre de personnages, dont certains appartiennent à des mondes parallèles, tous habitants du pays d’Antan présenté dès la première phrase comme « l’endroit situé au milieu de l’univers ». 
Dieu est également de la partie, convoqué le plus souvent par le truchement d’un jeu offert par un vieux rabbin au châtelain qui s’est mis en tête d’apporter une réponse à toute chose. 
Le récit débute en 1914 et se déroule sur trois générations, nous donnant à voir, dans le cadre de ce microcosme - échantillon d’humanité ? - où la fantasmagorie s’invite dans le quotidien, l’œuvre du temps sur les existences avec son cortège d’événements et d’attitudes mêlant le sinistre et la folie au plus banal.
Résultat de recherche d'images pour "olga tokarczuk"Antan, qui se situe exactement sur une ligne de front de la seconde guerre mondiale entre troupes allemandes et russes, est profondément marqué par les stigmates de la guerre ; à l’image certainement de la Pologne où se déroule le récit, pays de la toute nouvelle Prix Nobel de littérature, Olga Tokarczuk.
L’espace et le temps constituent deux concepts-clés du roman qui nous interroge sur ces deux mystères auxquels chacun de nous se confrontent dans son existence sans en percevoir le plus souvent les dimensions essentielles.
Écrit à la manière d’un conte dans lequel le chimérique se mêle au réel, « Dieu, le temps, les hommes et les anges » est un roman qui peut dérouter le lecteur mais qui recèle une mise en abîme extrêmement riche de la condition humaine qu’une seule première lecture ne permet, hélas, que d'entrapercevoir.

dimanche 22 décembre 2019

"Les falsificateurs" d'Antoine Bello

Résultat de recherche d'images pour "les falsificateurs"Voici un roman qui se lit avec beaucoup d'intérêt de par son histoire - celle d'un jeune homme talentueux employé d'une mystérieuse organisation, le CFR (Consortium de Falsification du Réel) -, son scénario qui tient de l'enquête et du polar, et enfin son écriture -précise, documentée, structurée.
Sorti il y a douze ans (en 2007), c'est aussi un roman prémonitoire qui s'inscrit dans la lignée d'un "1984" d'Orwell et qui interroge l'actualité submergée par la vague des "fake news" et de la falsification de la réalité. Un exemple : selon le Washington Post, Donald Trump avait dit 10.111 choses "fausses ou trompeuses" en 828 jours de présidence (une moyenne de 12 paroles fausses par jour).
C'est un livre qui peut se révéler dangereux car capable d'alimenter la sphère complotiste, aidé en cela par la quatrième de couverture qui évoque "l'histoire de quelques-unes des plus grandes supercheries de notre époque : de Laïka, la première chienne dans l'espace , qui n'a jamais existé ; de Christophe Colomb qui n'a pas découvert l'Amérique ; des fausses archives de la Stasi."
Résultat de recherche d'images pour "antoine bello"A l'ère de l'abondance d'informations, la vérité - en particulier la vérité scientifique, documentée, contredite -  n'a jamais été autant suspecte. Hors l'homme a besoin de croire, qu'il s'agisse de choses tangibles ou d'une transcendance. Ainsi, certains de nos contemporains adoptent l'attitude paradoxale de se forger une conviction en prenant systématiquement le contre-pied d'une vérité démontrée, ou celle du refuge spirituel à la manière de ces générations passées convaincues que le bonheur d'une vie future était proportionnelle à la dose des malheurs de leur présent.
"Les falsificateurs" renvoie également à la question de l'aptitude au discernement dont l'apprentissage ne peut se faire que par l'action conjuguée d'une éducation publique et d'une éducation familiale aptes à ouvrir les esprits par la connaissance, le raisonnement, l'écoute, la curiosité et la tolérance.
Toutes choses inscrites avec un certain cynisme dans l'affirmation des "trois binômes de valeurs fondatrices du CFR" qui sont : tolérance et relativité, liberté de corps et d'esprit, science et progrès. Tout un programme, à suivre avec une prudence extrême !...

Quoi de neuf ? Proust !


Résultat de recherche d'images pour "à l'ombre des jeunes filles en fleurs"Les dernières phrases de « À l’ombre des jeunes filles en fleurs » achevées, la grâce de l’écriture du jeune homme souffreteux de Balbec, amoureux de l’impossible, qui ne désirait jamais rien d’autre que de composer avec l’imaginaire, subsiste de longs moments en vous comme la beauté d’un coucher de soleil à peine noyé à l’horizon semble avoir impressionné la rétine de vos yeux et plus loin encore, par quelques miracles physiologiques, les arcanes de votre cerveau et votre être tout entier. Mais à la grâce se conjugue une matière, et cette composition ne produit pas exclusivement un effet de style - comme la beauté d'un océan ne se limite pas aux ballets de ses vagues ou au chatoiement de l'eau à sa surface mais aussi à l'appréhension du mystère de ses profondeurs abyssales - mais un récit dont certains passages offrent une densité incomparable, ce qui rend la lecture de Proust probablement essentielle. Quelques morceaux choisis :

Résultat de recherche d'images pour "proust"« Il avait l’air d’inspecter le néant, de vouloir donner grâce à sa bonne tenue personnelle un air provisoire à la misère que l’on sentait dans cet hôtel où la saison n’avait pas été bonne, et paraissait comme le fantôme d’un souverain qui vient hanter les ruines de ce qui fut jadis son palais. » 

« ... l’existence n’a guère d’intérêt que dans les journées où la poussière des réalités est mêlée de sable magique, où quelque vulgaire incident devient un ressort romanesque. » 

« Je sais qu’il y a des jeunes gens, fils et petits-fils d’hommes distingués, à qui leurs précepteurs ont enseigné la noblesse d’esprit et l’élégance morale des le collège. Ils n’ont peut être rien à retrancher de leur vie, ils pourraient publier et signer tout ce qu’ils ont dits, mais ce sont de pauvres esprits, descendants sans force de doctrinaires, et de qui la sagesse est négative et stérile. On ne reçoit pas la sagesse, il faut la découvrir soi-même après un trajet que personne ne peut faire pour nous, ne peut nous épargner, car elle est un point de vue sur les choses. »