lundi 4 mars 2024

Le Silence, le ?, et la mémoire délavée

J’ai passé sous silence plusieurs livres lus entre « Le consentement » et « Indépendance » sur lesquels il faudra que je revienne. « Le Silence », justement, de Denis Lehanne, que l’on m’avait chaudement recommandé et qui m’a passionné moyennement. Un autre livre à tendance dystopique dont j’ai oublié le titre et qui évoque l’histoire d’un groupe de noirs qui doit fuir la ville de Boston où des groupes paramilitaires d’extrême-droite commettent des exactions la nuit, et se réfugie dans la propriété de l’ancien président des USA, Thomas Jefferson, personnage ambigu, auteur d’une descendance prolifique avec des esclaves noires ; livre qui ne m’a pas enthousiasmé plus que ça. Et enfin, « La mémoire délavée », de Natacha Appanah, qui m’a enchanté.


lundi 26 février 2024

« Indépendance » de Javier Cercas

« Indépendance » est le 2eme opus de la trilogie « Melchor Marin » de Javier Cercas. Lu après le tome 1 et le tome 3, j’ai eu le sentiment que ce roman achevait la trilogie.

A côté de l’énigme policière assez sordide - dont l’intrigue est livrée par un procédé narratif très intéressant -, Javier Cercas décrit une société catalane gangrenée par les riches et la collusion entre le monde mafieux des affaires et le pouvoir politique. Les acteurs de ce dernier sont des comédiens sans autre intelligence que celui de prodiguer de beaux discours et de manœuvrer avec l’air du temps. Populisme, stigmatisation de la gauche en la déclarant extrémiste, reniement des engagements, enmêmetempstisme : un cocktail qui ne vaut pas qu’au-delà des Pyrénées… Une belle fin avec un éloge vibrant au roman « qui ne sert à rien, sauf à nous faire vivre ». 

mercredi 7 février 2024

Une goutte d’eau

Les cinq plus grandes fortunes sur la planète ont vu leur patrimoine doubler depuis 2020, et « Nous ne pouvons pas continuer avec ces niveaux d’inégalités obscènes » dénonce l’ONG Oxfam, avant le Forum de Davos. 

Son rapport « Multinationales et inégalités multiples » fustige les grandes entreprises qui « En faisant pression sur les travailleurs et les travailleuses avec des salaires qui augmentent moins vite que l’inflation, en évitant l’impôt, en privatisant l’Etat et en participant grandement au réchauffement climatique, (…) creusent les inégalités. »

La mise en place d’un impôt sur la fortune des multimillionnaires et des milliardaires, pour laquelle Oxfam milite, pourrait rapporter jusqu’à 1 800 milliards. Il participerait à une meilleure justice sociale avec le démentelement des monopoles privés et le plafonnement de la rémunération des PDG. 

Combien d’écoles, d’hôpitaux ou de projets pour aider à la lutte contre le réchauffement climatique, pourrait-on financer avec cette « goutte d’eau » dans le portefeuille de ces gens ?

lundi 5 février 2024

« Le consentement » de Vanessa Springora

Je ne suis pas parvenu à quitter « Le consentement », le livre-témoignage de Vanessa Springora relatant l’emprise que le quinquagénaire « G.M. » - Gabriel Matzneff - s’est délecté d’avoir sur elle alors qu’elle n’avait que 14 ans, avant d’en avoir fini de lire la dernière ligne. Le livre achevé au cœur de la nuit, il me reste, en dehors du dégoût pour cet homme d’une perversité criminelle, auquel les qualificatifs de pédophile, manipulateur, mythomane, délinquant sexuel - ou « éphèbophile » comme l’invente l’auteure -, peuvent être attribués avant celui d’écrivain, des interrogations au goût amer : Comment tous ces intellectuels, dont le rôle essentiel à mes yeux est de nous aider déchiffrer les mystères de la vie, ont-ils pu être à ce point complices et même « souteneurs » (le terme n’est pas usurpé) des agissements de G. au point de flatter son ego surdéveloppé en l’invitant sur les plateaux-télé, dans une émission-phare de la littérature (« Apostrophes ») ; comment un président, figure de la culture « à la française », a-t-il pu cautionner l’écrivain-pervers et son œuvre scélérate jusqu’à lui témoigner son admiration, quand, régulièrement, des passants ordinaires, sans doute moins cultivés mais certainement plus clairvoyants, n’hésitaient pas à dénoncer le criminel ? Comment tous ces intellectuels « de gauche » ont-ils pu être entravés par ce mantra qu’ils avaient aidé à institutionnaliser : « jouir sans entraves » ? On va dire « autre temps, autres mœurs ». Mais les oppositions récentes à condamner certains comportements au prétexte « qu’on ne peut plus rien dire, qu’on ne peut plus rien faire » prouvent que l’histoire n’avance qu’à petits pas.

Le livre interroge aussi sur la question de la séparation entre l’œuvre et son auteur. Pour ma part, j’ai tranché : avant d’être écrivain, Céline est un ignoble raciste antisémite et avant d’être « un monstre sacré » du cinéma, Depardieu est un gros porc (ce dont il ne semble pas se cacher vu ses grognements  poussés à la seule vue d’une jeune femme, voire d’une jeune fille). Libre à chacun de lire Céline ou de visionner Depardieu. 

Par ailleurs, une œuvre d’art et son auteur ne sont pas au-dessus des lois ; production humaine par excellence, celles-ci participent entièrement de ce qui fait « humanité », c’est à dire cet ensemble de règles communes qui permettent à une société d’élever quelques digues à la barbarie quand la seule conscience n’a jamais suffit.

Je réserverai un hommage ultime à Denise Bombardier (1941-2023) qui est courageusement intervenue (elle fut la seule) lors d’un Apostrophes en mars 1990 pour dénoncer le caractère éminemment criminel des agissements de Matzneff que le microcosme de l’édition protégeait alors par son silence. 

Dixit Wikipedia, à la suite de cette intervention, les ouvrages de Denise Bombardier ont cessé d’être recensé ; en 2019 (hier !), l’ancienne directrice du « Monde des livres » (qui soutient toujours le pedocriminel Matzneff) la qualifiait de « purge » qui « participe à une chasse aux sorcières ».

jeudi 25 janvier 2024

« Anatomie d’une chute », pépite cinématographique de l’année 2023

Sarah, allemande et écrivaine, son mari, Samuel, français et prof, leur fils, Daniel, 11 ans, malvoyant suite à un accident de la circulation, ont emménagé depuis 6 mois dans un chalet isolé, à retaper, dans le village natal de Samuel, près de Grenoble. 

Le film commence par une scène d’interview de Sarah par une étudiante. Mais rapidement, une musique assourdissante en provenance des combles où travaille Samuel, va conduire Sarah à interrompre l’entretien.

Daniel sort promener le chien dans la neige et, quand il revient au chalet, il trouve le cadavre de son père au pied de la façade, dans un bain de sang, une blessure importante à la tête. Il appelle sa mère qui sort de sa chambre et se précipite pour alerter les services de secours. Une enquête démarre. Sarah est auditionnée, assistée par son avocat, un ami de longue date. Une autopsie est réalisée qui n’écarte pas la thèse d’un meurtre. Sarah est mise en examen mais laissée en liberté surveillée. Une femme est désignée par le ministère pour rester en permanence aux côtés de Daniel afin que celui-ci ne subisse aucune pression.

Le procès aux assises tient alors une part prépondérante dans le déroulement du film. Le défilé des personnes chargées de l’enquête, des experts - dont les versions se contredisent -, du psychiatre de Samuel, les saillies de l’avocat général (remarquable) et la diffusion de l’enregistrement d’une dispute extrêmement violente entre Sarah et son mari, sont plutôt à charge contre l’accusée. La scène de la dispute, que le film nous montre en même temps que son enregistrement est diffusé dans la salle du tribunal, est anthologique. Elle permet de découvrir le personnage de Samuel et son ressentiment vis-à-vis de son épouse qu’il accuse en quelque sorte de le vampiriser et de l’empêcher de s’accomplir en tant qu’écrivain ; son désir le plus profond. Le procès va permettre de révéler les personnalités complexes des deux époux et les causes de leur rivalité. Le jeune Daniel suit l’intégralité du procès jusqu’à s’opposer à la juge qui tente de lui interdire l’accès au tribunal quand les questions relatives à la vie intime de ses parents, et en particulier de sa mère, sont abordées. La caméra qui s’attarde par moments sur l’enfant laisse supposer qu’il est un personnage-clé du drame.

Ce serait dommage de livrer la fin du film. Quoi dire de plus sinon que le jeu des acteurs, notamment celui de Sarah Huller, est remarquable, de même que la caméra de Justine Triet ; que le suspens et le rythme du film ne laissent absolument pas l’impression de la durée - 2H30 - de cette pépite cinématographique de l’année. Le jury des Oscars et ceux des Césars seraient bien inspirer de consacrer « Anatomie d’une chute » et de le propulser sur la 1ere marche du podium tant dans la catégorie « Réalisation » que dans celle de « Meilleure actrice ». Un minimum.

mercredi 17 janvier 2024

« Celui qui veille » de Louise Erdrich

 « Celui qui veille », Prix Pulitzer 2021, de l’autrice germano-américaine et amérindienne Louise Erdrich, évoque l’histoire de son grand-père, « Thomas », dans son combat contre une loi visant à affaiblir davantage encore les droits des indiens, au prétexte de les assimiler complètement. Le second personnage principale du livre est sa nièce, Patrice ou « Pixie », jeune femme belle, volontaire et intelligente dont le père est alcoolique au dernier degré et qui vit avec sa mère, une indienne pleine de sagesse, dans une masure un peu en dehors de la ville. Thomas est gardien de nuit dans l’usine de taille de pierres pour la bijouterie de la réserve. Pixie est employée dans cette usine. De nombreux personnages secondaires gravitent autour de ce tandem : « Wood mountain », un boxeur, très attiré par Pixie ; Barnes, le prof de maths, entraîneur de Wood Mountain, amoureux transit et malheureux de Pixie ; Véra, la sœur de Pixie, partie à Minneapolis avec son amoureux et dont la suite du parcours est moins glamour ; Milie, la jeune indienne étudiante et lesbienne, elle aussi très attirée par Pixie ; etc.

Le livre est long : près de 600 pages ; un peu trop long, à mon avis. Il est tout à fait possible de s’y ennuyer par moment. Le récit est ponctué de scènes qui devraient être fortes (combats de boxe, dérive alcoolique du père de Pixie, performance aquatique de celle-ci dans un aquarium d’une boîte de nuit, la réunion à Washington, etc.), mais qui manquent de souffle. Pixie est obsédée par la disparition de sa sœur mais quand celle-ci réapparaît, aucune scène n’évoque ce retour entre les deux sœurs. 

Les flashs oniriques des uns et des autres correspondent bien à l’imaginaire culturel amérindien tel qu’un « blanc » peut se le représenter, avec ses visions, les rêves, ses chamans, les récits métaphoriques, la cosmogonie, etc.

Bien sûr, on peut tirer de cette lecture un niveau de connaissance supplémentaire de la condition des indiens reclus dans les réserves. Certains passages sont d’une très grande poésie.

Mais on peut être aussi un peu déçu par un livre auréolé de la gloire du Pulitzer, dont l’auteur semble être « nobelisable ».

jeudi 11 janvier 2024

Le futur de l’IA est conditionné à la capacité du secteur public d’en contrôler l’evolution

Ce n’est pas moi qui le dit, mais une femme de 47 ans, américaine d’origine chinoise, une des stars de l’IA et qui a choisi, justement, de quitter le secteur privé (en l’occurrence Google) où son poste de directeur de l’IA lui assurait une très confortable rémunération, pour l’université.

Fei-Fei Li est née à Pékin en 1976. Elle arrive aux Etats-Unis à l’âge de 15 ans, elle ne parle pratiquement pas un mot d’anglais. Grâce à l’enseignement public et à d’extraordinaires enseignants, dont Robert Sabella, son professeur de mathématiques dans le New Jersey, elle poursuit des études scientifiques. En 2004, elle a l’intuition d’une nouvelle méthode de machine learning.

Elle est recrutée en 2017 par Google et dirige la division sur l’IA quand éclate la controverse sur le programme de recherche sur la surveillance militaire mené avec le Pentagone. Elle prend alors conscience de la responsabilité des chercheurs. Elle quitte sa très lucrative position chez Google pour retourner à l’université de Stanford. 

A « l’aube de l’âge de l’IA », Fei-Fei Li est inquiète car elle craint des « risques catastrophiques » à court terme : l’explosion de la désinformation, la disparition de catégories d’emplois, les atteintes à la vie privée…, et le fait que le secteur public, garant d’une certaine neutralité, soit dangereusement absent de l’IA.

« Qui va évaluer ces technologies ? » dit-elle. Si l’IA est laissée aux acteurs privés, « il est sûr que son utilisation va être biaisée ».

lundi 1 janvier 2024

2023, annus horribilis (encore) !

L'année dernière, j'avais déjà qualifié 2002 d'annus horribilis. 

Elle avait vu, en ce qui concerne le côté sombre :
- le déclenchement de la guerre monstrueuse en Ukraine par le dictateur Poutine, 
- l'emballement du réchauffement climatique avec, en particulier, des incendies gigantesques en France et un peu partout sur la planète, 
- la répression féroce des mollahs à l’encontre de la jeunesse iranienne, 
- les menaces tangibles de conflit en Extrême-Orient entre la Chine et les Etats-Unis autour de Taïwan, 
- les rodomontades nucléaires du dictateur nord-coréen.


Côté bonnes nouvelles, en 2022, j'avais noté :

- la montée du mécontentement en Chine, 

- les manifestations en Iran (même si elles sont réprimées dans le sang), 

- la fin de la constitution du dossier à charge contre Trump qui devrait conduire l’ex-locataire délirant de la Maison Blanche devant les tribunaux, 

- la fin du mandat du fou d’extrême-droite, Bolsonaro, après la victoire de Lula au Brésil


J'avais imaginé que 2023 serait le théâtre de 12 évènements majeurs susceptibles de trouver leur place dans l’histoire. Force est de constater que je suis loin d'être un devin car un seul d'entre eux s'est réalisé (en gras). 

Rappel des prophéties pour 2023 :

  • Chute de Vladimir Poutine
  • Pandémie en Chine et en Afrique causant des millions de morts
  • Renversement du régime des Mollahs en Iran
  • Nouveau conflit au Moyen-Orient impliquant Israël
  • Incarcération de Donald Trump
  • Annexion de Taïwan par la Chine
  • Entrée en guerre de l’Europe et des USA contre la Russie
  • Nouveau confinement en France de plusieurs semaines
  • Attentat contre Joe Biden et déclenchement d’une tentative de guerre civile aux USA
  • Grèves et manifestations importantes en France du secteur public
  • Tremblement de terre en Californie
  • Explosion d’une « bombe sale » dans le conflit ukrainien
Et malgré tout ça, je vais tenter à nouveau l'exercice.

Le côté sombre en 2023 :
- Forte montée de l'extrême droite en France et un peu partout dans le monde
- L'attaque du 7 octobre par le Hamas faisant 1 139 victimes et 250 personnes prises en otage (le nombre de victimes ramené à la population française représenterait 9 000 morts)
- La réplique de l'armée israélienne qui, en presque 3 mois, aurait déjà fait plus de 20 000 morts (21 110 d'après le ministère de la santé du Hamas) dont la moitié environs de civils (ramené à la population française, ça représenterait 700 000 morts)
- La poursuite du conflit meurtrier en Ukraine
- Trump toujours en liberté et toujours candidat favori du parti républicain pour l'élection présidentielle aux Etats-Unis
- Le meurtre de deux enseignants, Agnès Lassalle, le 22 février, et Dominique Bernard, le 13 octobre
- La COP 28 qui se refuse à fixer des objectifs chiffrés et un calendrier pour la sortie des énergies fossiles
- La probabilité de plus en plus grande que le seuil de +1,5°C soit dépassé  en 2030
- Hausse des émissions de CO2
- L'accroissement des inégalités de revenus en France
- Une année record pour les incendies dans le monde (Hawaï, Grès, Canada, Sicile, ...)
- L'année la plus chaude de l'histoire avec des records de chaleur (barre des 50°C dépassée au Maroc et en Chine)
- Une augmentation de près de 50% des morts en Méditerranée (plus de 2 500)
- Le vote de la Loi immigration supprimant l'égalité de tous devant la loi, le droit du sol et l'AME

Pour ce qui est des bonnes nouvelles :
- On a jamais autant utilisé d'énergies renouvelables
- La France sacrée championne du monde du pâté en croutes
- Pour les autres, voir le site de Francetvinfo.fr, mais par rapport au côté sombre, ça reste assez léger.
Prophéties pour 2024 :
  • Pandémie en Chine et en Afrique causant des millions de morts
  • Renversement du régime des Mollahs en Iran
  • Réélection de Donald Trump
  • Annexion de Taïwan par la Chine
  • Entrée en guerre de l’Europe et des USA contre la Russie
  • Nouveau confinement en France de plusieurs semaines
  • Déclenchement d’une tentative de guerre civile aux USA
  • Grèves et manifestations importantes du secteur public en France
  • Tremblement de terre en Californie
  • Canicule record et incendies de forêt dévastateurs en France
  • Emeutes dans les banlieues
  • Victoire de l'extrême droite aux élections européennes


dimanche 31 décembre 2023

Les vœux intranquilles de Camille Etienne

Je n’écouterai pas ce soir les vœux du président officiel. Ils sont comme les chartes d’entreprise affichées en grosses lettres dans le hall des sièges sociaux, ou imprimés sur les premières pages des rapports RSE (des mensonges, comme le disait un philosophe spécialisé dans les entreprises). 

Ceux de Camille Etienne me vont parfaitement. Ils sont pleins de fraîcheur, d’honnêteté et d’espoir. Ils foutent la pêche car c’est la jeunesse qui parle, et c’est donc l’avenir.


Chers concitoyens, chères concitoyennes, 

Mediapart m’a nommée présidente d’un jour. Présidente le temps d’un discours même, celui-ci. Qu’est-ce que j’aurais à vous dire si je devais présenter mes vœux ce 31 décembre 2023 devant tous les Français et les Françaises ?

Le costume est trop grand, d’ailleurs je n’en ai pas mis. C’est vertigineux, presque autant que notre époque. Alors c’est d’elle que je vais vous parler. Et du vertige qu’elle me donne. 

Je sais que l’on n’a pas l’habitude d’entendre un président dire son trouble et son angoisse, mais ça m’aurait plu, quand j’étais à votre place, d’avoir un président capable d’assumer sa vulnérabilité – comme un humain. Notre époque, donc, quelle est-elle ? Cette année achevée est-elle si inédite ? Je ne serai pas de ceux qui en font un conflit de générations. Un combat de boomers contre millennials sur le ring du temps.

Chaque époque est à la fois une malédiction et une chance, comporte une part de choix féconds et d’erreurs tragiques, charrie son lot d’incertitudes et de violences.

Chaque année nouvelle est donc potentiellement une immense aventure. Qui peut prendre les traits d’une épopée ou d’un naufrage. Cela dépend en partie de nous. 

L’année qui s’achève ressemble à une longue nuit interminable. Mais de l’obscurité, vous avez fait jaillir des éclats. Des nuits debout à demander des jours de repos. Toutes les générations, 64 je crois, sont descendues dans la rue pour réclamer un droit au temps libre, et à finir sa vie dignement. Elles se sont levées contre la capture de nos corps et de notre temps par la mégamachine. Contre l’idée, furieuse, d’en faire des chiffres et des choses, malléables, que l’on exploite comme on exploite la terre.

Certaines terres, justement, ont été reprises. Des mégabassines ont été démontées. Des routes qui nous menaient trop vite vers nulle part ont été entravées. Des industries qui mangeaient notre terre ont su être désarmées. Face à la honteuse direction du monde, il y a eu de petits refus de coopérer et de grandes démissions. 

Nous ne sommes pas victimes de coups du sort ou de notre incurie. Le dérèglement climatique et l’effondrement de la vie sur terre sont d’origine humaine. En sortir aussi. Et, alors que mes prédécesseurs, plutôt que de rogner un petit bout de leur addictif pouvoir criminalisent la possibilité de s’en sortir, rendent illégales les alternatives, ostracisent ce qui peut sauver, vous avez su résister. Ils devront se résigner à ne pouvoir vous dissoudre. 

Malgré cela, 2023 reste un pas de plus dans l’abîme climatique. 2023, c’est l’Australie en feu, le Canada en feu, l’Amazonie en feu, la Grèce en feu, bref le planisphère qui s’enflamme jusqu’à notre porte, et l’odeur des cendres dans la forêt de la dune du Pilat.

« Notre maison brûle » depuis cinq décennies déjà. Quelques pyromanes, dans leurs tours dorées, s’amusent à déclencher des brasiers au pied de nos portes, pour voir, dans les flammes, l’intensité qui manque à leur regard. Ils s’amusent à se réchauffer, pendant que d’autres crèvent de froid sur le trottoir.

Trois mille enfants dorment toujours dans la rue, les Restos du Cœur ont dû faire appel au vôtre, le seul restaurant avec 30 millions de repas en plus qui menace de fermer. « Ça craque de partout », disent les associations qui distribuent de quoi manger, aux femmes, aux enfants, et maintenant aux étudiants. Mais que peut-on apprendre ? Que peut-on retenir le ventre vide ? Ils disent que ça s’aggrave, 9 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté. 

Heureusement, ça craque aussi dans le mur de l’impunité, dont les fondations tremblent. Les femmes ont parlé, sont entrées avec fracas dans le silence et lui ont dit de se taire, à son tour cette fois. C’est fini, ça n’existe plus les monstres sacrés, votre monde qui nie le nôtre est terminé. Vous allez devoir composer avec nous maintenant. Enchantée…

En 2023, plus de 2 500 hommes, femmes et enfants sont morts ou disparus en Méditerranée, c’est 50 % de plus que l’année dernière. Chers concitoyens, chères concitoyennes, notre digne humanité prend la tasse. En regardant ailleurs pendant que les corps se noient, nous échouons au plus élémentaire test moral : celui de reconnaître un frère, une sœur.

Et cet échec, on l’a entériné dans la loi. Nous avons rendu la vie presque impossible à ceux qui fuyaient pour la sauver. Parce qu’« il n’y a pas d’étrangers sur cette Terre », comme le dit La Cimade, il nous faudra refuser cette direction raccourcie du repli sur soi et de l’obéissance aux fantasmes haineux. 

En 2023, les invisibles du Covid sont redevenus invisibles, il faut croire que l’on avait plus de place pour les applaudissements à la fenêtre et dans les discours entre deux lois immigration, un petit paragraphe c’est tout, quelques petites minutes à accorder aux petites existences. Alors les lits trop pleins de nos hôpitaux ont été remplacés par les lits vides des chambres d’enfants d’Ukraine. Puis on s’en est lassé, on a effacé la case. Il ne manquait pas d’horreur pourtant, mais on était passé de « petites vies » à « vies minuscules », à une couleur près.

Parce que cette année restera à jamais celle où il y a eu le 7 octobre. Les otages et les images de leurs proches qui arrivaient sur nos écrans, leurs regards et leurs visages que la douleur et la peur avaient dévorés. 

Il y a eu le 7 et puis le 8, le 9, le 10, les bombes, les cris, puis l’absence de cris. L’absence de pleurs est pire que les pleurs, la destruction faisait trop de bruit pour qui voulait faire semblant de ne pas l’entendre.

Même à des milliers de kilomètres, même plongés dans le noir, même sans réseaux de communication, même pour ceux qui ne voulaient pas en parler, un enfant palestinien meurt toutes les dix minutes à Gaza. Toutes les dix minutes, c’est le temps qui sépare le début de mes vœux de leur fin. Une vie d’enfant gazaoui.

Profitant de nos colères toutes mélangées, le racisme – dont l’antisémitisme et l’islamophobie sont des visages – s’est par ailleurs engouffré dans la brèche. Il s’est invité jusque dans nos rues, sur nos murs, le pas des portes de nos voisins. Si bien qu’en 2023, on a dû marcher à nouveau pour rappeler cette évidence : aucune vie ne vaut plus qu’une autre.

Pendant ce temps, nous sommes trop occupés à nous écharper, coincés dans notre bavardage virtuel où, comme l’écrit l’autrice Lola Lafon« les mots sont devenus des objets », dont on s’empare, qui servent à se signaler, à se faire voir, à vérifier ce qu’on vaut sur le marché de l’opinion : « Êtes-vous pour ou contre la prise d’otages adolescents ? Pour ou contre le bombardement de civils ? »

Dans une feuille de journal, je vois une photo, le mot d’un médecin, sur un tableau qui servait à planifier des opérations : « À qui reste jusqu’à la fin, racontez notre histoire, on a fait ce qu’on a pu, ne nous oubliez pas. » Le tableau était déchiqueté par une explosion, des bombardements de l’armée israélienne quelques jours plus tôt avaient détruit l’hôpital, mais on pouvait encore lire : « Ne nous oubliez pas. »

En ne faisant pas de ces vœux une sinistre liste à la Prévert, combien de souffrances vais-je oublier ? Sans doute celle qui vous semble inoubliable, peut-être la vôtre ? Plutôt, laissez-moi vous dire cela.

Il y a dix ans, à ma place, Ariane Mnouchkine commençait ainsi ses vœux : « Je vous souhaite d’être heureux. » À mon tour, je vous souhaite d’être heureux. Je vous souhaite d’être heureux, mais en a-t-on encore le droit ? Dix ans après, en 2023, est-ce bien acceptable, est-ce bien correct de vous souhaiter d’être heureux ?  

Une fille de mon âge, pour peu qu’elle soit née à Gaza, au Congo, au Yémen, ne pourrait s’autoriser une pensée aussi large qu’une année, quand une simple nuit n’est pas certaine d’advenir. Alors n’est-il pas trop injuste d’être joyeux ? Sans se laisser rattraper par la coupable crainte que nos rires deviennent indécents, notre joie insultante, nos rires, un privilège ?

Et puis, si c’était finalement une résistance moins lâche qu’elle n’en a l’air ? Je pense cette année aux dignes danses des Iraniennes, aux derniers concerts dans les bunkers d’Ukraine, aux poèmes écrits sous les bombes, à l’hommage tout en pas de deux du mari d’Agnès Lassalle, la professeure assassinée dans sa classe, aux dessins gravés sur les murs des camps comme ceux des prisons, aux rires qui désarment les puissants. 

Alors, j’ose vous souhaiter d’être heureux.

Faire de cette joie une résistance qui électrise la froideur et le cynisme d’une époque. De rire même. Je vous souhaite que 2024 soit drôle, remplie de cet humour que Gary définissait comme « l’affirmation de la dignité, une déclaration de la supériorité de l’homme face à ce qui lui arrive ». C’est précisément ce qui semble nous manquer.

Les mauvaises langues diront de janvier qu’il est le mois des souhaits et le reste de l’année ceux où ils ne se réalisent pas. Mais s’il y a bien un soir où l’on peut se permettre les grands mots, quitte à ce qu’il n’en reste qu’un petit élan, c’est maintenant. Alors je vous souhaite…

Je vous souhaite surtout du panache, de l’impertinence et de la dignité. Je vous souhaite de ne pas être d’accord, de rencontrer ceux qui ne sont pas d’accord avec vous, d’y passer du temps, du vrai, en dehors des écrans. Je vous souhaite de vous réconcilier avec les âmes grises, je vous souhaite de vous oublier un peu, d’avoir l’irrésistible envie de penser plus grand que soi, de ne pas prévoir l’avenir mais de le rendre possible.

Je vous souhaite la fougue que Victor Hugo adressait à Gavroche dans ces lignes : « tenter, braver, persister, persévérer, être fidèle à soi-même, prendre corps à corps le destin, étonner la catastrophe par le peu de peur qu’elle nous fait, tantôt affronter la puissance injuste, tantôt insulter la victoire ivre, tenir bon, tenir tête ; voilà l’exemple dont les peuples ont besoin, et la lumière qui les électrise ».

Alors je vous souhaite de tenir bon, de tenir tête, de ne jamais vous laisser aller à l’impuissance, de préserver coûte que coûte le courage de regarder droit.

Et je vous souhaite des choses simples, indémodables comme la douceur, les baignades dans l’eau froide, les cafés chauds et les longues étreintes.

Dans le bruit d’une époque qui sans cesse accélère, je vous souhaite de savoir saisir ce « quelque chose qui se passe », entendre les moments qui sonnent juste au milieu du chaos du monde. Je vous souhaite de voir les chemins de traverse qui court-circuitent les autoroutes qui vont trop vite nulle part. 

Et quand tout semble s’employer à nous fractionner en camps irréconciliables, je vous souhaite d’être solidaires. Aussi ringard ce mot semble-t-il être devenu. Je vous souhaite que votre première préoccupation soit pour celui ou celle qui a posé un genou à terre. Je vous souhaite de ne pas attendre le grand soir pour faire advenir les petits matins courageux. 

Aussi, je vous souhaite de rester intranquilles.

Vous le savez, je suis une jeune présidente et je vous promets cette année encore de faire résolument de mon mieux. Mais si toutefois cela s’avère ne pas être assez, si d’aventure l’exercice de cette fonction endort mon discernement et ramollit mon courage, si ce siège devient trône ou si, par son exigence, j’en viens à être si loin de vous, à ne plus vous connaître, je compte sur vous pour vous soulever, faire par-dessus moi ou vous organiser en dehors.

À tout instant, si mes lois deviennent injustes ou mettent en danger les conditions de vie sur terre, je vous conjure de leur désobéir. Comme le dit le philosophe Claude Lefort, la démocratie fait du pouvoir « un lieu vide », ce qui signifie qu’il est inappropriable et qu’il doit donc sans cesse être remis en jeu, être sans cesse exposé au conflit et à la contestation démocratique.

Je ne suis rien qu’une fonction. Pour qu’elle fonctionne, vous devez en être. J’ai seulement le pouvoir que vous me donnez, et il m’oblige. Si l’État est ce qui tient debout, ne laissez jamais les miens vous mettre à genoux. 

Et surtout, disons à nos enfants qu’ils arrivent sur terre presque « au début d’une histoire et non pas à sa fin désenchantée, disait encore à ma place Ariane Mnouchkine il y a dix ans, et qu’ils en seront non les rouages muets mais, au contraire, les inévitables auteurs ».

Je vous souhaite donc, pour cette année à venir, d’oser étonner la catastrophe. Nous pourrions être surpris. Et si l’on échoue, l’année suivante se souviendra que nous avons fait ce qui était juste. Et puis si ça ne passe pas, 49-3  !

Enfin, puisque c’est sûrement la seule fois qu’il me sera donné de le dire : chers concitoyens, chères concitoyennes, vive la République et vive la France !

"Les dés" d'Ahmet Altan

 Avec ce dernier roman, qui se situe dans la Turquie du début du 20ème siècle, l'auteur du formidable "Madame Hayat" et de l'émouvant "Textes de prison", livre le portrait d'un homme jeune, Zayia, qui commet son premier meurtre alors qu'il n'a que 16 ans. Il le fait pour venger l'assassinat de son frère ainé, un caïd, auquel il voue une admiration sans bornes. Pour Zayia, c'est une question d'honneur. Ne pas tuer l'assassin de son frère serait une preuve de lâcheté et une humiliation qui retomberait sur toute sa famille. Zayia est insensible à la mort, laquelle vaut mieux que la perte de sa fierté et de son honneur. Seules les femmes parviennent à susciter quelques émotions chez lui qui se traduisent par une certaine gène, le désir froid de la domination, mais peut-être aussi par le sentiment d'une absence quand la jeune fille qu'il côtoie à Alexandrie le quitte définitivement pour aller étudier en Europe. 

Zayia découvre la passion du jeu - les dés - en prison après sa condamnation pour le meurtre de l'assassin de son frère. Une fois libre, il se dérobe à la réalité en jouant au casino de manière compulsive, indifférent au fait de gagner ou de perdre. Cette ivresse du jeu lui permet de croire qu'il échappe à la condition ordinaire de tous ces gens qu'il croise et qu'il hait, car ils sont dépourvus de la seule chose qui compte pour lui : son honneur et son destin qu'il imagine, progressivement, immense.

Ahmet Altan évoque à travers ce portrait le difficile rapport que les codes de la tradition et du patriarcat ont institué entre les hommes et les femmes dans certaines cultures, et certainement encore dans la Turquie actuelle. Il dénonce le danger de la perte de tous les repères de sociabilité qui peuvent conduire à commettre des actes irrémissibles. 

C'est pourquoi, on peut se poser la question suivante : Ahmet Altan a-t-il voulu dresser le portrait-type d'un fanatique - ou même d'un terroriste - pour lequel la soumission à un destin fantasmé et mortifère devient le seul moteur de vie ? C'est probable.

vendredi 29 décembre 2023

« Comment saboter un pipeline » d’Andreas Malm

La question centrale de cet opus jugé « subversif » est la suivante : comment se fait-il que les défenseurs du climat n’aient pas davantage recours à la violence à l’encontre des infrastructures des énergies fossiles ou des instruments qui en dépendent, l’enjeu climatique étant d’une gravité et d’une urgence capitales - la survie de l’humanité -, quand d’autres causes (accueil des migrants, droits des minorités raciales, droit de vote des femmes, etc.) ont dû s’y résoudre après avoir constaté l’échec des actions non-violentes ?

Cité dans le décret de dissolution des Soulèvements de la terre par Darmanin, le livre de l’universitaire Suédois, Andreas Malm, développe une thèse qui n’est en aucun cas une apologie de la violence : « si l'on accepte l'idée que la destruction de biens relève de la violence et qu'elle est moins grave que la violence contre les êtres humains, cela ne condamne ni ne justifie en rien la pratique. Il semble qu'il faille l'éviter aussi longtemps que possible », écrit-il. Mais il dresse un constat, en s’appuyant sur des faits historiques ; celui que les avancées majeures pour les droits humains ou les luttes de libération, si elles ont pu être portées par des mouvements se réclamant de la non-violence, ont toutes été accompagnées, pour leurs victoires finales, par une radicalisation de leurs engagements ; de Gandhi à Martin Luther King, des suffragettes à Nelson Mandela.

Objectivement, sauf à croire à l’illusion de la géo-ingenierie, on ne voit pas très bien quel moyen pacifique permettrait d’adopter les lois indispensables pour changer de paradigme car, comme l’écrit Andreas Malm, « la probabilité que les classes dirigeantes mondiales mettent en place une prohibition mondiale de tout nouveau dispositif émetteur de CO2 parce que les scientifiques le leur demandent, ou parce que des milliards de personnes subiront des dommages terribles si elles ne le font pas, ou parce que la planète pourrait se transformer en serre, est à peu près la même que celle qu'elles s'alignent docilement au pied de la plus haute montagne et commencent à se jeter du sommet. »

Et si nous recherchions tous un « pipeline » - même de faible importance - à saboter ?

mercredi 27 décembre 2023

« Un détail mineur » d’Adania Shibli

«  Ce n’est pas le canon qui vaincra, c’est l’homme », pourrait être le sous-titre de « Un détail mineur », le roman de l’autrice palestinienne Adania Shibli. 

Construit en deux parties, le livre fait référence au viol collectif et au meurtre d’une jeune bédouine de la région du Neguev par des soldats israéliens en août 1948. 

Dans la première partie, on assiste à la description lente et quasi-chirurgicale du contexte dans lequel va se dérouler le drame. On suit, pas à pas, les gestes du commandant de la troupe de soldats. Chaque détail, même anodin et superflu en apparence, participe de la composition d’ensemble de la scène de crime finale. 

Dans la seconde, le livre relate l’ « enquête » menée par une jeune femme palestinienne, la narratrice, interpelée par la découverte d’un article évoquant ce « fait divers » atroce, et saisie par la date de son exécution qui coïncide exactement, à 25 ans d’intervalle, avec celle de sa naissance. Elle cherche à exhumer le point de vue de la jeune fille ignoré dans l’article. On suit donc cette jeune femme qui part en voiture munie de plusieurs cartes dont celle de la région en 1948 faisant figurer de très nombreux villages palestiniens qui n’existent plus, détruits par l’armée israélienne. 

On découvre, au fil du récit, combien la vie des civils palestiniens peut être  conditionnée par les multiples interdits érigés par l’état d’Israel, et combien la peur accompagne chaque acte de la vie ordinaire, comme se rendre à son travail ou se déplacer d’un lieu de résidence à une autre zone. 

« Un détail mineur » est un livre sombre qui tire son titre du fait que la narratrice dit s’intéresser à cet article, davantage par cette coïncidence avec sa date de naissance plutôt que par le crime lui-même : « Il va de soi que la raison pour laquelle ce sujet que j’ai découvert un matin en lisant un article de journal m’a captivée n’était pas liée en soi à l’événement qui y était relaté. Car ces histoires-là sont banales, ou disons que, dans un tel contexte, ce sont des choses qui arrivent, et qui arrivent même tellement souvent qu’elles m’ont toujours laissée impassible. »

Car ces histoires-là sont banales … et pourtant « Ce n’est pas le canon qui vaincra, mais l’homme », comme l’affiche ce slogan de l’armée israélienne sur un mur en ruine, slogan qui résonne étrangement à la lumière des événements actuels et qui, aujourd’hui, pourrait être celui du peuple palestinien.

samedi 23 décembre 2023

"Veiller sur elle" de Jean-Baptiste Andréa

Prix Goncourt de cette année, "Veiller sur elle" est une formidable épopée romanesque qui couvre 80 années de l'histoire de l'Italie du 20e siècle et qui met en scène, au fil de ses 581 pages, une multitude de personnages autour de deux figures principales dont les destins n'auraient jamais du se croiser : Viola, surdouée et fantasque, de lignée princière de la grande famille des Orsini, et Michelangelo Vitaliani, sculpteur de génie à l'égal du grand Michel-Ange, alias Mimo, né pauvre et nain.

L'histoire débute à l'automne 1986. Mimo a 82 ans et il est sur le point de mourir dans une cellule du monastère du mont Pirchiriano dans la région de Turin (le même qui a inspiré Umberto Ecco pour "Le nom de la Rose") ; monastère dans lequel il s'est retiré depuis 40 ans (pour une raison qui ne nous sera connue qu'à la fin du livre) et dont les sous-sols renferment un secret. Mimo est le narrateur de sa propre histoire et dans les tout derniers instants qu'il lui reste à vivre, il va s'en remémorer toute la saga. Orphelin de son père à douze ans - un père qui lui a appris les rudiments de la sculpture -, il est "vendu" par sa mère à un "oncle" sculpteur qui entre au service de la famille Orsini établie à Pietro d'Alba ; c'est dans un cimetière qu'il fait l'apprentissage de Viola, de quatre ans son ainée, elle qui se couche sur les tombes pour écouter les morts parler, qui est atteinte d'hypermnésie et qui ne rêve que de voler avec des ailes inspirées des dessins de Léonard de Vinci, elle, à la fois inaccessible et si proche, sa "jumelle cosmique" ; après être passé par les pires errances et ivrogneries, Mimo triomphe dans les cercles du Vatican et sous l'ère mussolinienne, quand Viola suit un parcours chaotique dont l'aboutissement ne peut être que tragique. De ce tragique et du génie de Mimo naîtra ce qui sera condamné à être exclu du regard des hommes, remisé dans les sous-sols du monastère.

Un "vrai roman" m'a soufflé une libraire dont j'apprécie les recommandations. 

Formidable.

mardi 19 décembre 2023

Les mystères de la fréquentation d'Everybody Knows / The mysteries of the attendance of Everybody Knows

I should want to find an explanation for these attendance peaks of the blog. While the daily flows is on average around thirty views, some days, there are crowds ! In noted the 5 most important :

 J'aimerais pouvoir trouver une explication à ces pics de fréquentation du blog. Alors que le flux quotidien se situe en moyenne autour d'une trentaine de vues, certains jours, il y a affluence. J'ai relevé les 5 plus importants :

- 24/11 : 998 (invraisemblable !)

- 19/10 : 587

- 14/02 : 272

- 16/12 : 228

- 04/05 : 163

I tried to make a connection with the post publication, but it seems that there is no link.

J'ai tenté de faire un rapprochement avec la publication des posts, mais il ne semble pas y avoir de corrélation. 

May be, a reader who whill come here could enligthen me and leave a comment ?

Peut-être qu'un lecteur passant par celui-ci saura m'éclairer et laissera un commentaire ?


lundi 18 décembre 2023

« Échecs » de Stefan Zweig, traduction de Jean-Philippe Toussaint


 « Échecs », traduction de la superbe nouvelle de Stefan Zweig, « Le joueur d’échecs", dernière œuvre de l’exilé de Petropolis, publiée en 1943 après son suicide, est un travail que Jean-Philippe Toussaint a réalisé durant le confinement, alors qu’il écrivait « L’échiquier ». Deux espaces clos - celui du confinement et celui du paquebot -, le jeu d’échecs comme élément central, une forme de désœuvrement pour Toussaint et pour le narrateur de la nouvelle, représentent les principales passerelles qui relient les deux œuvres. 

Il faudrait relire les traductions antérieures pour identifier la spécificité de la traduction de Toussaint et voir comment il est parvenu à faire « qu’on devine (son) ombre en filigrane derrière les lignes de Zweig », concilier « ces deux fidélités contradictoires ». Car pour Toussaint « traduire c’est écrire ».

Il voulait d’ailleurs écrire un essai sur la traduction, mais l’a abandonné en cours de route pour se consacrer à son roman « à caractère autobiographique » et à « Échecs ».

Dans tous les cas, c’est un plaisir de lire cette traduction (et d’une manière générale, toute l’œuvre de Zweig).

Deux documentaires traitant de la seconde guerre mondiale

Deux remarquables documentaires sur Netflix (hélas !) méritent à mon sens d’être vus. 

Le premier, « Les grandes dates de la seconde guerre mondiale, est une série en 6 épisodes qui plongent véritablement le spectateur au cœur de l’action guerrière : dans un char d’assaut, une forteresse volante, sur le pont d’un navire US lors de l’attaque de Pearl Harbor ou encore, dans un avion d’un kamikaze japonais. Les images, toutes d’époque et pour un grand nombre jamais diffusées (à ma connaissance), constituent un témoignage exceptionnel de l’horreur de ce conflit mondial qui a fait entre 60 et 80 millions de victimes, dont une majorité de civils. 

Pourquoi regarder ce drame vieux maintenant de 80 ans et pourquoi cette série ? 

Peut-être pour 2 raisons : la première est que, depuis justement ces 80 années, l’humanité n’a jamais été aussi prête de rebasculer dans un conflit de très grande ampleur et qu’il est « bon » de se souvenir de ce qu’un tel drame peut engendrer comme douleurs pour chacun (sans compter le désastre écologique, l’impact sur le vivant) ; la seconde tient justement à ce que de nombreux extraits proviennent de scènes tournées par des amateurs au plus près de la vie (et de la mort) ordinaire, et que les gens filmés nous ressemblent dans leur vie et leurs aspirations.

Le second documentaire intitulé « Des hommes ordinaires » analyse le processus qui conduit des hommes que l’on peut qualifier « d’ordinaires » à devenir des bourreaux. Ces hommes, recrutés pour faire régner l’ordre sur les terres conquises par les armées du Reich, principalement dans les pays de l’Est de l’Europe, sont des commerçants, des chauffeurs de taxi, des ouvriers, des entrepreneurs, des pères de famille, des fiancés, etc. Leurs chefs sont le plus souvent diplômés, avec un double doctorat pour certains, et capable de disserter sur Mozart ou Beethoven. Mais parmi les hommes de troupes qui ne savent rien au départ de leurs missions finales - tuer le maximum de civils et en particulier des juifs, femmes, hommes et enfants - certains (très peu) ont pu choisir de ne pas devenir des monstres. Ils devaient alors affronter les railleries et les vexations des autres; contraints à des tâches dégradantes comme le nettoyage des latrines. Parmi ces autres, deux groupes : ceux qui prenaient un plaisir sadique à tuer et même à torturer avant l’exécution, et ceux qui exécutaient par routine. Dans les deux cas, mais à des degrés divers, ils considéraient leur action comme légitime et dictée par une autorité supérieure irréfragable. Cette « soumission volontaire » avait été cultivée par des années de lavage de cerveau et de propagande qui leur inculquaient, entre autres, que tous les bolcheviques étaient des juifs et que ces derniers étaient des sous-hommes.

On aurait tort de penser que notre époque est à l’abri de tels agissements et de telles stratégies. Chacun en trouvera aisément dans l’actualité des exemples édifiants.

dimanche 17 décembre 2023

Le musée gallo-romain de Lyon


 Le musée gallo-romain de Lyon fut la dernière grande commande de Bernard Zehrfuss (1911-1996) et vraisemblablement son chef d’œuvre. Tout à déjà été dit sur cette œuvre et son architecte, qualifié par la journaliste Christine Desmoulins « d’architecte de la spirale du temps », évoquant par-là, à la fois la rampe hélicoïdale qui serpente dans l’espace du musée et le parcourt du visiteur qui traverse le temps, selon plusieurs thèmes, des premières colonies romaines jusqu’à l’apogée de Rome.  La visite de cette « cathédrale de béton » enterrée est certainement, pour tout étudiant architecte ou ingénieur, un passage obligé afin d’appréhender, au plus profond de ses sens, l’harmonie entre espace, œuvre et technique. On peut ajouter le temps puisque celui-ci, contrairement à de trop nombreux édifices du XXe siècle, n’a, en presque 50 années, non seulement pas malmené cette architecture, mais semble avoir tissé un lien secret avec elle. Et puis le temps de l’histoire bien sûr, avec la confrontation entre des matérialités et des civilisations, distantes de plusieurs siècles. 
On reproche souvent aux musées affichant une architecture spectaculaire de le faire au détriment des œuvres. Je ne partage pas ce point de vue : les musées dont l’architecture est de qualité et très présente, savent, au contraire, mettre en valeur les collections présentées (je pense au Guggenheim de Bilbao de New-York, à la Fondation Louis Vuitton, au musée Juif de Berlin, au Musée national d’histoire et de culture afro-américaines de Washington, etc.). 

À Lyon, la dizaine de portiques qui scandent le parcours et l’intersection savante des structures en béton, dressent un réceptacle puissant qui répond à la force de certains blocs de pierre gravés et peut-être plus encore, de manière indicible, à la puissance de la civilisation romaine dont on peut observer le raffinement tant artistique que cosmogonique.

Bernard Zehrfuss parlait de ces portiques modernes comme « un hommage à la civilisation romaine qui sut en construire de si majestueux. » 

Une tribune du journal « Le Monde », daté du 17 et 18 décembre 2023, « Les musées doivent pleinement jouer leur rôle dans le débat écologique », évoque l’impérieuse nécessité pour les musées de faire œuvre de pédagogie au regard de l’environnement et de la crise climatique. Le musée de Zehrfuss montre l’exemple en la matière : respect du lieu par son enfouissement, végétalisation d’une partie de la toiture et de la façade, qualités d’inertie thermique, matériau brut sans revêtement coûteux, …

Et si, au-delà de la seule question d’ordre technique, les musées doivent « assumer un rôle social et citoyen, en résonance avec les préoccupations de notre temps. Reflets de la société, (permettre) une ouverture sur le monde et sur les autres et un questionnement sur notre monde contemporain », alors, le musée gallo-romain de Lyon répond une nouvelle fois à ce critère. Car, comment ne pas s’interroger sur notre civilisation et son avenir quand on peut observer, avec une telle pertinence dans la présentation,  les vestiges de la civilisation romaine témoignant d’une grandeur, sans doute imaginée comme éternelle en son temps, et livrée en quelques années à la ruine ?

Je ne saurais conseiller que la lecture de l’article d’AMC consacré à ce musée, « le plus beau du monde » comme l’avait écrit Claudius-Perit. 

https://www.amc-archi.com/photos/bernard-zehrfuss-le-musee-gallo-romain-de-lyon-1969-1975,3993/le-musee-gallo-romain-de-lyon.1