lundi 6 mars 2023

L'Ukraine attend de Bohdan Stelmakh (1943 -)

 

L’Ukraine attend


 Alors qu’à une heure matinale tonne l’orage,

Quand le ciel est sombre comme la nuit ou quand il est bleu,

L’Ukraine te ressemble, mon fils,

L’Ukraine attend, ma fille.

 

L’Ukraine attend les courageux, elle veut des lions,

Inébranlables comme le roc, durs comme le diamant,

Ceux qui ont une âme pure, un cœur d’acier,

Jeunes, l’Ukraine vous attend.

 

Pas des moutons en troupeau, ni un troupeau de veaux,

Soumis au joug d’un seigneur, sous le claquement d’un fouet,

Mais un peuple pour qui le malheur ne sera jamais un obstacle,

Et toujours, placera la liberté au-dessus de tout.

 

À vous, aujourd’hui, de construire cette route nouvelle,

De la rendre empruntable – pour le meilleur et non le pire,

De rester prudent, au risque de chuter dans l’abîme,

Et de vous assurer qu’elle vous mène bien au temple.

 

Ce temple qui se dresse à la croisée des chemins,

Sous le ciel où luit une flamme prophétique,

Vous enseignera ce que nulle école enseigne,

Ce que vous devez comprendre avant que demain n’advienne.

 

Et au-dessus de ce temple, l’Ukraine en habits de majesté

Sera là pour vous saluer, jeunes d’Ukraine,

Car il vous appartient, sous la protection de Dieu,

D’élever ce temple au plus haut.

 

Vous qui, des charrues, des fusées spatiales,

Des portes des ordinateurs, détenez les secrets,

Veillez à bâtir des alliances indestructibles et éternelles 

Comme ces éclats d’argent qui brillent dans la terre ukrainienne.

 

C’est à vous, jeunes gens, sous la protection de Dieu,

De proscrire l’horreur atomique de Tchernobyl,

De vous tenir debout sur tous les fronts,

Stoïques et vigilants face aux ennemis de l’Ukraine.

 

Alors qu’à une heure matinale tonne l’orage

Quand le ciel est sombre comme la nuit, ou quand il est bleu,

L’Ukraine te ressemble, mon fils,

L’Ukraine attend, ma fille.

 

Bohdan Stelmakh (1943 -)  « Poèmes sur l’Ukraine » (2004)

Traduction : Natalia Troyan (Ukr) et Claude Labbé

samedi 4 mars 2023

« La décision » de Karine Tuil


 Alma Revel est juge d’instruction, coordinatrice du pôle anti-terroriste. 2016 : un nombre important de jeunes français sont de retour de Syrie où ils s’étaient engagés dans les troupes de l’EI. Elle est chargée d’instruire leurs dossiers et, en particulier, celui de Kacem qui présente tous les signes du repenti. Dans le même temps, sur le plan personnel, Alma est sur le point de divorcer et elle est tombée amoureuse de l’avocat de Kacem. La « décision » est double : celle de signer ou non une ordonnance de mise en liberté, et celle de rester ou non avec son amant, contrairement à toutes les règles déontologiques.

Karine Thul a écrit un roman qui décrit avec beaucoup de précisions le quotidien du métier d’Alma, lequel exige d’aller puiser au plus profond de sa conscience et de ses ressources physiques ; une vie partagée entre la recherche de la vérité et les assauts continus du doute ; une vie qui peut se retrouver un jour, par la faute d’une « décision », au bord du précipice.

La lecture est captivante. On sent monter le drame au fur et à mesure des chapitres, jusqu’au dénouement tragique auquel succède le « Lekh lekha du Cantique des Cantiques » : « va-t’en vers toi, va pour toi. »

jeudi 2 mars 2023

La petite fille de Bernhard Schlink


Kaspar tient une petite librairie dans Berlin. Il vit avec Birgit, son grand amour, qu’il est parvenu à exfiltrer d’Allemagne de l’Est dans les années 60. Mais l’ancienne très belle étudiante des chemises bleues pour laquelle il avait eu le coup de foudre lors d’une de ses toutes premières rencontres avec des étudiants de l’Est, n’est plus qu’une femme à la dérive, alcoolique, qu’il retrouve un soir, noyée dans leur baignoire. Alors qu’ils étaient devenus des étrangers l’un à l’autre, Kaspar va découvrir, en explorant l’ordinateur de Birgit, une vie qu’elle lui avait cachée, une fille qu’elle avait eue avec un autre homme avant de le connaître, qu’elle avait abandonnée à sa naissance et qu’elle désirait maintenant revoir. Kaspar va se mettre en quête de cette enfant, la retrouver, pour découvrir qu’elle vit avec un homme radicalisé a l’extrême-droite neo-nazie dont elle partage les idées. Le couple a une fille, Stenza, que Kaspar va considérer comme sa petite-fille. Il parviendra à faire accepter au couple de recevoir chez lui l’adolescente de 14 ans dont les seuls désirs sont de revoir une ancienne amie de sa mère, féministe-punk et d’extrême-droite, et d’aller visiter le camp de Ravensbruck où a sévi Irma Grese, celle que l’on a surnommé la « Hyène d’Auschwitz » ; deux femmes qui sont pour la jeune Stenza des modèles.

Bernhard Schlink, l’auteur du magnifique « Le liseur », signe avec « La petite fille »un roman dans lequel la tendresse et l’altérité se confrontent au ressentiment et à l’intolérance. L’écriture narrative, sans fioritures ni effets de style, d’une lecture fluide, participe au réalisme des personnages. Le livre nous invite à considérer, sans les cautionner, les moteurs de la haine de l’autre aux premiers rangs desquels figurent les sentiments de relégation et de mépris, le nationalisme exacerbé, la bêtise et le complotisme, entretenus par la propagande ; moteurs que l’on retrouve aujourd’hui dans les mouvements de type QAnon ou dans le poutinisme.