mardi 21 mai 2024

Ce matin au kiosque 23 - Un architecte-bucheron - Des personnages en quête d’auteur - Ginette - Des mendiants

Il est un peu avant 11h quand je me pointe au kiosque. Pascal est assis à sa place habituelle, face au parvis et à la table la plus à l’Est (un Eden…). Il est seul avec Utah (a lonesome biker). J’apprendrai que Philippe et Martine sont en Lettonie. Ils font bien : le risque que ce petit pays balte passe sous la férule de Poutine dans un futur proche n’est pas à exclure. Il suffirait que Trump gagne les élections américaines de novembre. C’est assez incroyable d’imaginer que le destin d’un peuple peut se jouer à des milliers de kilomètres de distance.  C’est le syndrome du battement d’ailes du papillon en baie de Sydney appliqué à l’humanité. Nos monuments aux morts de la « Grande guerre » des coins perdus de nos campagnes seraient peut-être moins garnis de noms (et n’existeraient peut-être pas), si l’archiduc Francois-Ferdinand ne s’était pas fait assassiner à Sarajevo le 28 juin 1914. Mais peut-être pas…

Être libraire au kiosque de Becon-les-Bruyères, ce n’est pas exclusivement recevoir, enregistrer, trier, placer, vendre, réempaqueter, etc., des quantités quotidiennes de revues et de livres, c’est aussi jouer l’assistant social. Tiens, ce matin, Jean-Michel me montre un homme au téléphone qui arpente le parvis. Il est surpris qu’il soit déjà sorti de l’hôpital. « Il est alzheimer. Il se perd, il ne sait plus où il se trouve et comment rejoindre sa maison », me dit notre passeur. Il va vers l’homme en question et l’invite à s’asseoir sur l’une des chaises du parvis. « Il téléphonait à sa femme, car il est perdu. » Jean-Michel a le numéro de téléphone de sa femme dans un petit carnet. Ça s’appelle la bienveillance et la solidarité. 

La maman de Pascal l’a rejoint. Ce dernier entre dans le kiosque pour commander un café et un chocolat. Je leur dit à tous les deux que je suis venu tard car j’étais plongé dans la rédaction d’un article pour le magazine « Séquences Bois » ; une interview d’un architecte-bûcheron, comme il se décrit lui-même. Un homme d’une grande sensibilité à la nature et aux métiers du bois ; matière vivante et vraie ("savante; correcte et magnifique" ?).

Jean-Michel voudrait me faire connaître plusieurs personnages hauts en couleur qui passent régulièrement dans son antre. Vincent, le marseillais, dont je connais à présent la réputation de conteurs d’histoires, Sylvie (rapport à la sylviculture) et d’autres. Des personnages en quête d’auteur en quelque sorte.

J’interroge sur cet homme que j’ai vu apparaître l’autre jour vêtu d’un costume surprenant en polaire - veste et pantalon - aux motifs camouflage, et coiffé d’une sorte de béret. « C’est mon neveu, dit Pascal. Il est un peu spécial. Il s’est fait faire cet ensemble en Afrique du Sud. »

Ginette, la petite grande dame (Cf « Ce matin au kiosque 3 ») entre à petits pas, se saisit de l’Humanité et de divers autres magazines. Jean-Michel lui a mis de côté le Libé. Il n’y en avait que deux. À les entendre parler, Ginette est allée faire un tour dans les Yvelines, mais j’ai l’impression que notre passeur s’en enquiert comme si elle était partie à l’autre bout du monde. Elle est revenue saine et sauve, les bêtes sauvages des Yvelines l’on épargnée. Elle est aussi parvenue à éviter le déchaînement des éléments naturels (je veux parler des orages qui n’ont pas manqué, hier en fin d’après-midi, de frapper Bécon).

Cher lecteur, vous allez me dire que ce que j’écris aujourd’hui n’a pas l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette. 

Vous voulez que je vous parle de ce procureur de la Cour Pénale Internationale qui vient d’émettre un mandat d’arrêt à l’encontre de Netanyaou, de son ministre de la défense et de trois hauts responsables du Hamas ? Des avancées des troupes russes en Ukraine et des risques toujours plus grands d’un conflit mondial ? De cet avion de Singapour Airlines pris dans des turbulences à 11 000 mètres d'altitude et dont les passagers ont dû être secoués comme dans une lessiveuse avec un bilan d’un mort et d’une trentaine de blessés ? De « Sexe, mensonge et vidéos » qui passait hier à la télé et pour lequel Jean-Michel émet une hypothèse très pertinente et que j’ai déjà oubliée ? Du Vésinet ? Ah non, c’est déjà fait ! De cet ancien PDG d’EDF qui passe en procès pour avoir généreusement (euphémisme) rémunéré quelques conseils (des gusses aux CV joufflus) à coups de millions ou de montant à 5 chiffres ?

J’ai oublié de vous dire que j’en sais désormais plus sur les trois personnes - 2 hommes et une femme - qui font la manche à la porte de chacune des 3 boulangeries de Bécon. Bien sûr, ils sont roumains ; je m’en doutais. Mais Georges est sans doute le plus malin des trois qui vous dit autant de fois « bonjour, comment ça va » que vous allez passer devant lui. J’ai remarqué qu’il était organisé, ce Georges : tabouret pliant, couverture quand il fait froid et parapluie les jours pluvieux. Il a sa boulangerie. Jamais on ne le voit ailleurs. Le meilleur emplacement. On l’envierait presque. Presque…

Une société qui accepte ses mendiants n’est sans doute pas aussi mauvaise que ça…

Est-ce ainsi que les hommes vivent ?

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