mercredi 25 janvier 2023

Part art et par nature

 

"Par art et par nature" est un essai que l'architecte Philippe Prost, Grand Prix National d'Architecture 2022, a publié en 2019, opus qui livre une partie de ses réflexions sur l'architecture militaire - dont il est l'un des plus éminents connaisseurs - et sa relation avec les préoccupations architecturales actuelles comme l'environnement, le paysage la sobriété, etc.

Prost souligne le lien étroit, la dualité, entre les artefacts et le naturel. Son essai évoque la qualité des paradoxes, des confrontations, dans la réflexion sur le projet : immobile vs mobile, défensif vs offensif, intérieur vs extérieur, etc. Les sciences de l'ingénieur ont longtemps exploré cette dialectique du paradoxe dont on peut penser qu'elle participe utilement du questionnement.

Sa définition de l'intelligence est à retenir : "Le style de l'intelligence, (...), c'est à dire une manière d'agir fondée sur la faculté de comprendre, qui définit, à mes yeux, l'art et la manière du grand ingénieur."

On peut regretter que dans cet essai la "nature" ne soit pas étendue au "vivant" dans son entièreté, dont on mesure chaque jour l'importance pour notre survie. 

Gageons qu'un prochain essai s'en fera l'écho et peut-être même qu'il évoquera l'esthétique des édifices militaires dont l'une des caractéristiques premières est de relever le défi de Vitruve : Firmas, Utilitas et Venustas.

mercredi 11 janvier 2023

Rue St Sépulcre

Les deux enfants sont assis sur un trottoir. 


Le sol est revêtu d’une matière sombre et molle : un bitume, à la surface duquel subsiste les traces d’un lissage maladroit qui dessinent sur la surface les volutes d’un ciel nuageux ?  Le jeune garçon - 5 ans, davantage ? - a les jambes repliées, les coudes posés sur les genoux et les mains serrant ses joues au niveau de la bouche. Il est de trois-quarts, adossé a un mur de couleur ocre dont on devine le grain du crépi - fatigué - et sur lequel on peut distinguer quelques lambeaux de collages et de tags. Ses cheveux sont courts, de couleur chocolat, peignés en arrière et légèrement crantés sur le devant. Son front est bien dégagé, le dessin de son oreille gauche est d’une grande finesse, ses sourcils sont imperceptiblement froncés. Ses yeux sont fixes, grand ouverts. Il observe fixement la petite fille - elle a sensiblement son âge - assise à ses côtés, légèrement en avant. Lui est donc un peu en retrait. Tout dans son attitude semble exprimer un mélange de doute et d’envie ; peut-être une résignation ; une envie teintée de regrets ? Peut-être celui de ne pas rayonner une forme de beauté et de pureté, comme cette petite fille. Il porte des escarpins noirs comme s’ils étaient en velours, un short aux rayures horizontales alternées blanches et noires à la manière d’un polo de marin, et un T-Shirt à manches courtes. Sa peau a la couleur et l’aspect de l’étain ; gris-argent avec des reflets. Elle, elle est probablement accroupie, mais l’amplitude de sa robe - comme si elle était enveloppée dans un nuage d’un bleu mousseux - ne permet pas d’en avoir la certitude. Elle tient dans ses bras, bien serré contre son corps, dans une attitude protectrice, presque maternelle, un jeune chien aux poils blancs et doux. Son avant-bras droit porte l’animal et sa main gauche ouverte lui caresse le museau avec délicatesse. Sa tête légèrement inclinée et le geste de sa main évoquent beaucoup de tendresse. Elle protège le chiot dont les yeux sont mi-clos, témoignant de l’infinie félicité qu’il goutte à cet instant. Les bras de la jeune enfant sont entièrement nus. Sa peau est fraîche et d’un rosé assez pâle. Ses cheveux sont coupés courts également. Ses deux immenses yeux d’un bleu gris qui semble contempler le vide ou un rêve, la moue résignée de sa bouche aux lèvres pleines sans être charnues - comme à peine sevrées -, le dessin de son nez d’enfant que les années n’ont pas encore affirmé, son front plutôt haut, partiellement masqué par quelques mèches châtains aux reflets roux, tout ce visage exprime une douceur lucide vis-à-vis d’un monde dont elle n’ignore pas la réalité, le mélange complexe de beauté et de laideur.

Deux signatures figurent en bas de cette composition : Lidi.a sur la robe de la petite fille et qkelo entre les pieds du garçon.

Rêvons d’une autre ville !


Très belle découverte de la pensée de Marc Held, célèbre designer et penseur ici de la ville utopique, avec ce livre en forme de testament (même si on souhaite à ce Monsieur de 90 ans, encore de nombreuses années à vivre), mais aussi d’hymne à une refondation : « Rêvons d’une autre ville ! » 

On ne le suivra pas forcément dans toutes les conditions qu’il propose d’imposer (l’oxymore est voulu) pour l’édification d’une cité idéale - laquelle requière surtout un « homme nouveau » -, pas plus que dans son éloge sans trop de nuances des vertus du passé, mais sa dénonciation de l’absurdité du consumérisme, l’obligation de revenir à des méthodes de travail moins aliénantes, à l’usage de matériaux plus sobres sur le plan énergétique et à une véritable éthique humaniste (pléonasme ?), dans une démarche libérée des effets de mode délétères, résonnent chaque jour avec plus d’intensité et de pertinence, sauf à se réfugier dans le déni ou « assumer » un cynisme mortifère.

C’est certainement un ouvrage qui mériterait une lecture critique dans les écoles d’architecture et d’ingénieurs.

dimanche 8 janvier 2023

La nouvelle internationale fasciste


Quelques réflexions suite à la lecture de ce livre d’Hugo Palheta.

Ce n’est effectivement pas parce que le fascisme n’est jamais parvenu à se fédérer en une internationale comme a pu le réussir, en son temps, le mouvement socialiste, que ce type d’organisation, à la faveur de l’impasse du néolibéralisme et des conséquences du dérèglement climatique (crises des ressources, augmentation des flux migratoires, conflits sociaux, pandémies, etc.), n’est pas susceptible d’advenir. L’installation un peu partout dans le monde de gouvernements autocratiques, dont certains témoignent de penchants non dissimulés en faveur de l’extrême-droite (Russie, Hongrie, Turquie, Inde, Émirats, Arabie Saoudite, Brésil et USA hier, Italie aujourd’hui, …), la poussée des partis d’extrême-droite partout en Europe, la désaffection des citoyens des pays démocratiques envers les institutions, sont autant de voyants inquiétants. L’alliance de la Russie et de la Chine dans l’émergence d’un contre-pouvoir à l’Occident et le messianisme de Poutine peuvent à terme former un pôle central, exemplaire pour toutes les thèses du fascisme : ultra-nationalisme, rejet des migrants, soumission à un état fort, violence envers les minorités religieuses et de genre, lois sécuritaires, etc.

Quelle alternative la gauche est-elle capable de proposer aujourd’hui ? Dans tous les cas, une union des forces constitue la condition sine qua non. Mais pour que cette union se produise, il faudra un « déclic ». Je crois pour ma part que celui-ci n’interviendra qu’à la suite d’une situation catastrophique : soit d’origine climatique (sècheresse ou tempête extrême), soit d’origine conflictuelle interne ou externe (guerre fratricide ou conflit mondial). Sachant que ces « catastrophes » sont également susceptibles de produire l’inverse : une fascisation radicale.