Le kiosque devra constater mon absence ce matin (ou peut-être pas : je n’ai pas encore totalement intégré le cercle restreint et de choix des « habitués »).
J’ai déserté Bécon-les-Bruyeres pour le très chic Vesinet. Au programme, balade d’une dizaine de kilomètres dans la « colonie » imaginée par le duc de Morny et l’industriel Alphonse Pallu, et concrétisé par le Comte de Chalot. Ils en firent le premier lotissement de France assorti d’un cahier des charges d’urbanisme très strict ; tout cela dans les années 1850.
Le Vesinet est à un jet de train de Bécon (un roulement de bogie). Une trentaine de minutes.
Imaginez Beverly Hills sans les collines ; un espace au sein duquel lacs et cours d’eau , cascades et végétation luxuriante, composent un écrin idyllique pour recevoir une collection impressionnante de demeures somptueuses dont les propriétaires paient vraisemblablement trop d’impôts.
Ici, les bernaches du Canada ou les hérons cendrés paraissent conscients d’appartenir à un environnement privilégié, tant ils acceptent leurs rôles de figurants dans un décor qui pourrait inspirer les architectes du monde merveilleux et aseptisé de Disney Land : cascades roucoulantes, rocailles, charmants petits franchissements en bois au-dessus de rivières dociles, ombres accortes de chênes centenaires, jardins policés d’arbustes aux parfums délicieux, etc.
Seule ombre au tableau, les déjections des volatiles qui contaminent les rives des lacs et jusqu’aux allées proches où de charmantes têtes blondes s’ébattent sous le regard agacé de parents déjà vieux.
Au terme de notre randonnée, un restaurant, bâti sur l’île du lac des Ibis nous tend les bras de ses fauteuils. Un personnel aux petits soins nous sert en terrasse un déjeuner tout à fait convenable, à l’ombre précieuse de vastes parasols.
A une table proche de la nôtre, deux femmes plutôt élégantes - l’une visiblement plus âgée (dans les 80 ans) et dont la toilette est tout sauf improvisée -, entretiennent une conversation dont je saisis quelques bribes et dont j’aurais aimé être davantage rapporteur.
La plus jeune - veuve ? divorcée ? - a eu le courage de garder son mari plus de 20 ans ; c’est tout du moins l’un des mérites (le plus grand ?) que lui attribue son amie qui lui confie avoir eu la chances extraordinaires de tomber sur deux hommes attentionnés, intelligents et (probablement) beaux. Les a-t-elle tous les deux enterrés ? Je ne le saurai jamais (et vous non plus). Mais aujourd’hui, les hommes, pour elle : c’est fini. Elle ne trouve plus de plaisir à venir, sur une belle terrasse comme celle-ci, déjeuner avec un homme. La plus jeune partage son point de vue et regrette que le souci majeur de ces messieurs soit de se mettre en permanence en valeur et de toujours s’inscrire dans une sorte de compétition à qui sera le meilleur. Je devine que la plus âgée - cheveux longs et roux coiffés en queue de cheval, chemisier violet à froufrou et ample jupe jaune moutarde, bagues aux doigts comme sur un présentoir de bijoutier et boucles d’oreille frôlant la fossette sus-sternale - tient une boutique d’antiquités. Elle dispose certainement de moyens conséquents puisqu’elle a hésité à acheter un château ; mais ses sœurs - dont elle est très proche - l’ont dissuadée. La plus jeune évoque une dénommée « Monique » qui dispose d’une piscine privée dans laquelle elle effectue des longueurs tous les jours. La plus âgée - qui est aussi la plus bavarde - reconnaît qu’elle a eu des parents formidables et que c’est une chance dans la vie. (Je confirme).
Ça parle encore de Belle-Ile en mer et de l’Italie, de maisons en location qui sont déjà toutes louées pour les vacances.
Un tartare de dorade, deux blancs de poulet fermier aux morilles, un millefeuille « revisité » et une bouteille de beaujolais blanc Chardonnay, plus tard, et nous voilà de retour au bercail béconnais.
Et à l’heure où je tente d’écrire cette chronique le chant d’un merle m’accompagne ; moqueur, comme il se doit.
C’est ainsi que vivent les hommes.
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