(Je me dépêche de finir cette chronique de samedi dernier car je sais que Jean-Michel, à l’heure qu’il est, s’impatiente devant l’écran de son smartphone et derrière la caisse du kiosque. Dimanche, rien : jour de repos, jour du Seigneur. (« Et l’écrivain vit que tout cela était bon »).
Je note, dans le No 3880 de Télérama de cette semaine, ma proximité (le mot est faible : complicité ?) avec Alice Munro, autrice canadienne récemment disparue et prix Nobel de littérature en 2013, qui s’est attachée à décrire la vie de gens ordinaires même si, disait-elle, « je me méfie de ce mot ‘ordinaire’. Cela suppose qu’il y aurait des gens extraordinaires. Qui est ‘extraordinaire’ ? Je ne sais pas. »
Un point de divergence avec cette dame : je sais qui est « extraordinaire » ; c’est simple : tout le monde, à commencer par les gens « ordinaires ». Ce sophisme pour conclure qu’il n’existe aucune personne « ordinaire »… et certainement pas sur la terrasse du kiosque de la Gare de Bécon les Bruyères ! (J’ai appris - et la SNCF le sait visiblement - que les règles de la toponymie voudraient qu’il n’y ait pas de tirets dans le nom de Bécon les Bruyères car il ne s’agit pas d’un nom officiel, ici de commune).
Je cesse ma philo à deux balles pour vous informer, lecteurs ordinaires-extraordinaires, que la météo est particulièrement clémente ce matin et, précisément, sur ce fragment de territoire de quelques centaines de m2 déserté - car l’heure est matinale - par le peuple des « habitués », à commencer par Pascal et Utah.
Le temps (clément) pour moi de discuter le bout de gras avec Jean-Michel que j’ai surpris à mon arrivée, un petit sourire complice en coin, en train de lire mon blog et les 2 chroniques qu’il avait en retard, et Pascal arrive avec Utah en laisse sur un air de blues (Fip que Jean-Michel met en ambiance musicale dans la « boutique de presse »). Une arrivée digne.
Je vais rester en tête à tête avec Pascal durant mon bref passage ce matin. Quelques personnes connues de lui viennent le saluer. Elles ne manquent pas d’admirer Utah. J’ai omis de dire que la chienne semble apprécier mes caresses. Je dois avouer que c’est agréable de la caresser : on a l’impression de passer ses doigts dans la fourrure d’un mouton. Je pense à ce tableau saisissant de Zurbaran qui représente un agneau, les pattes liées par une corde, et que l’on va probablement sacrifier. La peinture est tellement réaliste et tellement belle qu’on a l’impression que l’agneau est en vie ; on sent son odeur, on imagine son toucher. Synesthésie des chefs d’œuvre.
De quoi parlons-nous ? de belles voitures ! Le hasard fait qu’une Thunderbird coupée blanche passe à cet instant le long du parvis. Pascal nous fait remarquer le son du moteur : une petite merveille de V6 qui ronronne d’impatience. Il n’ira pas jusqu’à nous préciser à quelle génération elle appartient (certainement aux premières des années 50-60). Au même moment, Jean-Michel sort une tête de son antre pour nous faire remarquer que les enceintes du magasin « crachent » un blues d’un musicien connu des deux compères et ignoré par moi. Un « bouillon de culture » ce kiosque ! Je dis ça parce qu’ils poursuivent en évoquant des séries des années 70 (L’homme de fer et ??) et, en rajoutant dans une érudition qui me dépasse, ils citent le nom des acteurs principaux et des anecdotes à leur sujet. Arrêtez tout ! Je prétexte le fait que je n’avais pas la télé à l’époque et que je travaillais, moi messieurs (alors que d’autres glandaient probablement), pour masquer mon manque de curiosité et mon inculture crasse.
« L’homme de fer », je me souviens quand même d’avoir vu un ou deux épisodes de ce feuilleton (on appelait pas ça encore des « séries »), avec cet homme à forte corpulence dans un fauteuil roulant (Raymond Burr), ex-policier privé de l’usage de ses jambes après avoir reçu une balle dans la colonne vertébrale, et le tout sur une musique de Quincy Jones… (merci Wikipedia).
Jean-Michel remet une couche en rappelant que Raymond Burr a tourné avec Hitchcock dans « Fenêtre sur cour ». Eh oui, bien sûr : le suspect No1.
Enfin, cette chorégraphie - la T-bird et le blues -, Mesdames, Messieurs, vous connaissez des lieux sur terre, en dehors peut-être de Memphis (Tenessee), où vous pouvez assister à un tel spectacle totalement improvisé ?
Je vais vous dire : la gare de Bécon, si Dali était passé par là, sûr qu’il aurait connu une « éjaculation mentale » et une « extase cosmogonique » et que la gare de Perpignan serait tombée dans les oubliettes de l’histoire de l’art !
Le calme, le luxe et la volupté baudelairienne déclinent ici ce que « félicité » veut dire.
C’est bien ainsi que les hommes vivent.
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