dimanche 24 mars 2024

Ce matin au kiosque - Le « passeur » de la gare de Bécon-les-Bruyères. « La Saintonge sanglante ».

Le kiosque de la gare de Bécon est décidément le lieu des rencontres formidables.
 
Jean-Michel, le libraire aux faux airs bougons qui a fait de cet espace un havre de sociabilité, est un « passeur » hors pair. Il connaît toutes les petites habitudes de ses clients, lesquels seraient sans doute déçus s’il oubliait (comment le pourrait-il ?) de leur adresser quelques mots qui les font sourire en les appelant par leur surnom, ou s’il omettait d’anticiper leurs demandes, avant même qu’ils l’aient formulée : le café allongé avec un pain au chocolat pour l’un, juste son quotidien pour un autre. Jean-Michel est mon agent ; mon agent secret, en quelque sorte. Il met en évidence au-dessus de sa caisse un exemplaire de mon dernier recueil de poésie, indique à la cantonade, lorsque je suis là, que l’auteur est ici présent comme s’il s’agissait d’un événement, et tient au chaud un ou deux exemplaires de mon roman, « Abuelo ».


Je suis certain qu’Emmanuel Bove, s’il avait connu Jean-Michel, l’aurait inscrit dans les pages de son « Bécon-les-Bruyères » paru il y a près d’un siècle.


Ce samedi 22 mars 2024, nous avions convenu (avec Jean-Michel) que je viendrai au kiosque à 10H00 afin de rencontrer un couple qui avait fait l’acquisition de l’opus3 de la série « Apprentissage » de mes poèmes. J’étais à l’heure et je m’apprêtais à attendre mes lecteurs sur une table de la terrasse abritée du parvis de la gare et réservée à la clientèle du kiosque, quand un monsieur d’un certain âge - disons dans les 80 ans -, accompagné d’un petit chien, a pris place à mes côtés, encouragé en cela par Jean-Michel. 

Nous engageâmes presque immédiatement une conversation autour des livres et de l’écriture. Il me fit la confidence qu’il aimait écrire mais, curieusement, ne lisait pas. Il y avait une pointe de regret dans sa voix. Nous découvrîmes que nous avions un autre point commun en dehors de l’écriture : notre attachement aux Charentes. Je l’ai écouté me dire qu’il était originaire du village de Dompierre-sur-Charente, entre Saintes et Cognac. Ses parents étaient venus s’y installer en 1929. Il est parvenu avec bonheur à racheter la maison familiale dans laquelle il passe sept mois de l’année ; il y part dans quinze jours pour revenir à Bécon en novembre seulement. Il aime écrire donc et, d’ailleurs, il a écrit un livre en 2019 qu’il a auto édité, "La Saintonge sanglante", évoquant un drame de son enfance. Ce drame a trait à son père. En 1943, celui-ci succède au poste de maire de la petite commune de Dompierre. J’ai oublié pour quelle raison son prédécesseur avait quitté son mandat. « Mon père avait de l’instruction, c’était un petit village de la campagne profonde charentaise ; il est devenu maire parce qu’il était le seul à savoir lire et compter. Mais à la fin de la guerre, il a été accusé de collaboration. Vous savez, cette sale période de l’épuration…, et il a été fusillé. Ma mère était enceinte de moi, veuve avec déjà cinq enfants. Elle avait 38 ans et elle a dû quitter Dompierre. Nous sommes arrivés à Courbevoie, j’avais neuf mois. Je me suis renseigné et bien documenté sur le contexte dans lequel mon père a été arrêté et passé par les armes ». 

Bien qu’il n’ait pas été possible d’élucider avec précision les raisons de l’exécution de son père, Jean-Pierre R. (c'est le nom de mon interlocuteur) est convaincu, comme il l’avait déclaré au journal "Sud-Ouest" à l’occasion de la parution de son livre, que « son père a fait l’objet d’une exécution sommaire pour assouvir la vindicte d’un groupe d’hommes assoiffés de vengeance, imbus d’une autorité acquise par les troubles d’un après-guerre houleux. » Il va même plus loin en désignant les communistes. « Le parti représentait à cette époque une force politique importante, 30% de la population française ; vous le savez certainement. Mais les communistes étaient essentiellement présents dans les villes. Ils ont voulu conquérir les campagnes. Un communiste en vue a Paris a été parachuté dans notre village. Mon père en a certainement fait les frais. » 

L’homme assis en face de moi a maintenant les yeux brillants de larmes. Il poursuit : « Vous voyez, c’est pas croyable : voilà près de 80 ans que tout ça s’est passé et je ne peux m’empêcher d’être très ému. » La blessure est encore vive. Celles de l’enfance sont souvent les moins faciles à guérir. 

Je n’en saurai pas davantage sur cette tragédie. Mon interlocuteur passe à autre chose ; il a écrit un second livre, plus autobiographique. Il a fait le récit de ses années à Courbevoie et en particulier de son combat en faveur de la MJC qui se trouvait à la place actuelle du cinéma Abel Gance. « C’était à l’époque du maire précédent Kossowski, Charles Deprez. Il était FN ou tout du moins d’extrême-droite. Il a fait six mandats, 36 ans ! Si bien qu’avec les 3 mandats de Kossowski, je n’ai connu que deux maires à Courbevoie. Je déteste ces types qui s’accrochent comme des sangsues à leur siège de maire ou de député. »

Ce dénommé Deprez finira par avoir la peau de cette MJC, repère probable, à son goût - je ne vais pas parler d’esprit -, d’affreux gauchistes de tout poil… 

J’apprendrai également qu'il a exercé en tant que kiné, qu'il a participé à de nombreuses associations et que, s’il n’a rien d’un coureur ou d’un homme à femmes - c’est lui qui me le dit - il s’est marié trois fois, et cette vie engagée (si je peux me permettre cette expression) lui a fourni une matière riche, suffisamment pour écrire ce second livre et peut-être même un troisième (en cours).

Mon couple de lecteurs n’est pas venu au rendez-vous. ce sera pour une autre fois. Mais la rencontre improvisée sous l’égide du maître de céans, Jean-Michel, avec cet octogénaire alerte, courbevoisin d’origine charentaise à l’enfance tourmentée et à la compagnie bien agréable, m'a permis de coucher ici ce modeste récit, ce fragment d’humanité.

lundi 4 mars 2024

Le Silence, le ?, et la mémoire délavée

J’ai passé sous silence plusieurs livres lus entre « Le consentement » et « Indépendance » sur lesquels il faudra que je revienne. « Le Silence », justement, de Denis Lehanne, que l’on m’avait chaudement recommandé et qui m’a passionné moyennement. Un autre livre à tendance dystopique dont j’ai oublié le titre et qui évoque l’histoire d’un groupe de noirs qui doit fuir la ville de Boston où des groupes paramilitaires d’extrême-droite commettent des exactions la nuit, et se réfugie dans la propriété de l’ancien président des USA, Thomas Jefferson, personnage ambigu, auteur d’une descendance prolifique avec des esclaves noires ; livre qui ne m’a pas enthousiasmé plus que ça. Et enfin, « La mémoire délavée », de Natacha Appanah, qui m’a enchanté.