lundi 26 février 2024

« Indépendance » de Javier Cercas

« Indépendance » est le 2eme opus de la trilogie « Melchor Marin » de Javier Cercas. Lu après le tome 1 et le tome 3, j’ai eu le sentiment que ce roman achevait la trilogie.

A côté de l’énigme policière assez sordide - dont l’intrigue est livrée par un procédé narratif très intéressant -, Javier Cercas décrit une société catalane gangrenée par les riches et la collusion entre le monde mafieux des affaires et le pouvoir politique. Les acteurs de ce dernier sont des comédiens sans autre intelligence que celui de prodiguer de beaux discours et de manœuvrer avec l’air du temps. Populisme, stigmatisation de la gauche en la déclarant extrémiste, reniement des engagements, enmêmetempstisme : un cocktail qui ne vaut pas qu’au-delà des Pyrénées… Une belle fin avec un éloge vibrant au roman « qui ne sert à rien, sauf à nous faire vivre ». 

mercredi 7 février 2024

Une goutte d’eau

Les cinq plus grandes fortunes sur la planète ont vu leur patrimoine doubler depuis 2020, et « Nous ne pouvons pas continuer avec ces niveaux d’inégalités obscènes » dénonce l’ONG Oxfam, avant le Forum de Davos. 

Son rapport « Multinationales et inégalités multiples » fustige les grandes entreprises qui « En faisant pression sur les travailleurs et les travailleuses avec des salaires qui augmentent moins vite que l’inflation, en évitant l’impôt, en privatisant l’Etat et en participant grandement au réchauffement climatique, (…) creusent les inégalités. »

La mise en place d’un impôt sur la fortune des multimillionnaires et des milliardaires, pour laquelle Oxfam milite, pourrait rapporter jusqu’à 1 800 milliards. Il participerait à une meilleure justice sociale avec le démentelement des monopoles privés et le plafonnement de la rémunération des PDG. 

Combien d’écoles, d’hôpitaux ou de projets pour aider à la lutte contre le réchauffement climatique, pourrait-on financer avec cette « goutte d’eau » dans le portefeuille de ces gens ?

lundi 5 février 2024

« Le consentement » de Vanessa Springora

Je ne suis pas parvenu à quitter « Le consentement », le livre-témoignage de Vanessa Springora relatant l’emprise que le quinquagénaire « G.M. » - Gabriel Matzneff - s’est délecté d’avoir sur elle alors qu’elle n’avait que 14 ans, avant d’en avoir fini de lire la dernière ligne. Le livre achevé au cœur de la nuit, il me reste, en dehors du dégoût pour cet homme d’une perversité criminelle, auquel les qualificatifs de pédophile, manipulateur, mythomane, délinquant sexuel - ou « éphèbophile » comme l’invente l’auteure -, peuvent être attribués avant celui d’écrivain, des interrogations au goût amer : Comment tous ces intellectuels, dont le rôle essentiel à mes yeux est de nous aider déchiffrer les mystères de la vie, ont-ils pu être à ce point complices et même « souteneurs » (le terme n’est pas usurpé) des agissements de G. au point de flatter son ego surdéveloppé en l’invitant sur les plateaux-télé, dans une émission-phare de la littérature (« Apostrophes ») ; comment un président, figure de la culture « à la française », a-t-il pu cautionner l’écrivain-pervers et son œuvre scélérate jusqu’à lui témoigner son admiration, quand, régulièrement, des passants ordinaires, sans doute moins cultivés mais certainement plus clairvoyants, n’hésitaient pas à dénoncer le criminel ? Comment tous ces intellectuels « de gauche » ont-ils pu être entravés par ce mantra qu’ils avaient aidé à institutionnaliser : « jouir sans entraves » ? On va dire « autre temps, autres mœurs ». Mais les oppositions récentes à condamner certains comportements au prétexte « qu’on ne peut plus rien dire, qu’on ne peut plus rien faire » prouvent que l’histoire n’avance qu’à petits pas.

Le livre interroge aussi sur la question de la séparation entre l’œuvre et son auteur. Pour ma part, j’ai tranché : avant d’être écrivain, Céline est un ignoble raciste antisémite et avant d’être « un monstre sacré » du cinéma, Depardieu est un gros porc (ce dont il ne semble pas se cacher vu ses grognements  poussés à la seule vue d’une jeune femme, voire d’une jeune fille). Libre à chacun de lire Céline ou de visionner Depardieu. 

Par ailleurs, une œuvre d’art et son auteur ne sont pas au-dessus des lois ; production humaine par excellence, celles-ci participent entièrement de ce qui fait « humanité », c’est à dire cet ensemble de règles communes qui permettent à une société d’élever quelques digues à la barbarie quand la seule conscience n’a jamais suffit.

Je réserverai un hommage ultime à Denise Bombardier (1941-2023) qui est courageusement intervenue (elle fut la seule) lors d’un Apostrophes en mars 1990 pour dénoncer le caractère éminemment criminel des agissements de Matzneff que le microcosme de l’édition protégeait alors par son silence. 

Dixit Wikipedia, à la suite de cette intervention, les ouvrages de Denise Bombardier ont cessé d’être recensé ; en 2019 (hier !), l’ancienne directrice du « Monde des livres » (qui soutient toujours le pedocriminel Matzneff) la qualifiait de « purge » qui « participe à une chasse aux sorcières ».