lundi 31 décembre 2012

La Déesse des petites victoires


Est-ce un livre sur Kurt Gödel, ce génie des mathématiques, contemporain et ami d’Albert Einstein, qui vécut exclusivement dans cet univers de la logique la plus hermétique - mais dont le développement permis des découvertes majeures, notamment en informatique – , fuyant les mondanités et les honneurs, et achevant sa vie de façon pitoyable, hypocondriaque, paranoïaque, misanthrope, d’une maigreur extrême et persuadé d’être parvenu à prouver, logiquement, l’existence de Dieu ?
Est-ce plutôt un livre sur son épouse, Adèle, qui s’est mise cinquante années durant au service de son mari, dans l’ombre du « phénomène », sacrifiant tout ce qu’une vie peut apporter d’agréable sans même l’ombre d’une reconnaissance tant Kurt Gödel était exclusif  en faveur de son travail, et avec une lucidité qui confine au masochisme ?
Kurt Gödel et Abert Einstein à Princeton
Est-ce enfin un livre sur Anna, personnage de fiction, documentaliste au département scientifique de l’Université de Princeton et chargée de récupérer auprès d’une Adèle, devenue une vieille femme irascible,  les archives de son époux qu’elle semble ne pas vouloir céder, et qui sont pourtant d’une valeur capitale pour l’histoire de la recherche mathématique ?
A ces questions, la réponse est bien entendu évidente : c’est un livre sur tous ces personnages, et plus encore, puisque l’auteur nous plonge au cœur de l’une des universités les plus prestigieuses au monde, Princeton, dans un univers fréquenté par les plus grands hommes de science du 20ème siècle : Albert Einstein bien sûr, vieillissant, cabotin et parfois même scabreux, John Von Neumann et Robert Oppenheimer, pères de la bombe atomique, Wolfgang Ernst Pauli, éminent physicien Prix Nobel, Dirac, Prix Nobel  de Physique également pour ces travaux sur l’atome, plusieurs Médaille Fields, tous familiers, voire très proches pour certains, de la famille Gödel.
Yannick Grannec
Mais Yannick Grannec, dont « La Deesse des petites victoires » est le premier roman, n’a pas écrit juste une biographie romancée sur un personnage particulièrement « bizarre » ; elle réussit, dans un style de très grande qualité, à profiter de ce récit qui alterne entre le passé (au travers des souvenirs d’Adèle) et le présent (les rencontres entre Anna et Adèle, et la vie elle-même d’Anna) pour donner à réfléchir sur le sens de la vie, le rapport à l’autre, la question de la vieillesse (et de son « irréparable outrage » ?), l’élégance et la poésie des mathématiques.

C’est une très belle découverte littéraire, et plus encore, car qu’elle émane d’amis très chers qui se reconnaitront, bien entendu, s’ils parviennent jusqu’ici…

samedi 29 décembre 2012

JN SPUART. Poète inconnu

Mais qui est ce JN Spuart dont un recueil de poésies (77) -sans doute édité à compte d'auteur vu la qualité (médiocre) du graphisme et la reliure bricolée - traînait sur un étal parmi d'autres ouvrages désuets dans un vide-grenier que nous avons parcouru un jour pluvieux d'automne à Ezy-sur-Eure ? Et pourquoi me suis-je emparé de cet opuscule dont la couverture exprimait par des tâches multiples comme une indicible lassitude ? Son prix était fixé à 5€ ; j'en fis l'acquisition pour 3, sans imaginer quels petits trésors il pouvait receler. Je l'avais à peine feuilleté, mais l'idée même de découvrir une poésie, fut-elle banale voire mauvaise, m'intrigua. On ne produit pas 77 poèmes impunément devais-je alors me dire. Depuis, la production de ce JN Spuart né à La Ferté Saint Aubin en 1924 et mort à Livry-Gargan en 1968 - ainsi que précisé en caractères des anciennes machines à écrire à ruban sur une feuille volante glissée entre deux pages - m'accompagne au quotidien, et j'ai décidé d'enrichir Everybody Knows avec la présentation régulière des poèmes spuartiens.

Toute la vie (poème 23)

Sur la tête des bourgeons
Perle une nacre de lumière
Dont le soleil s'empare
Comme une conquête légitime
Incubateur de Printemps
Toute la vie réside là
Dressée en ce territoire extrême
Suspendue dans l'air loyal
Au risque de la blessure
Qu'une lame muette inventera
Dans une banale indifférence.

mardi 25 décembre 2012

"Poisons de Dieu, remèdes du Diable" de Mia Couto



En quasi exclusivité !
Après "L'accordeur de silence"*, Mia Couto nous invite à un nouveau huis clos dans une ville du Mozambique,  Vila Cacimba, dans la maison des Sozinho, celle de Bartolomeu le vieux mécanicien de marine et de son épouse, Munda, où Sidonio Rosa, un jeune docteur portugais débarque un jour à la recherche de Deolinda, leur fille unique, dont il est tombé éperdument amoureux quelques années auparavant à Lisbonne. Mais la belle Deolinda n'est pas là ; et autour de cette absence, Sidonio Rosa va découvrir toute l'histoire des petites haines et des trahisons qui tissent insidieusement une toile diabolique entre tous les protagonistes de ce monde qui ne semble survivre qu'au travers de ses souvenirs d'hier et des mensonges d'aujourd'hui. Le jeune médecin va également ressentir toute la distance qui existe entre lui, le descendant des anciens colons portugais et Bartolomeu, le vieil africain malade, nostalgique du paquebot Infante D. Henrique, qui s'exprime le plus souvent par des aphorismes quand il ne s'emporte pas avec violence contre sa femme ou son ennemi juré et rival, Alfredo Suacelência, le politicien.
Écrit dans une langue poétique particulière chargée de saudade "Poisons de Dieu, remèdes du Diable", entraine le lecteur dans un univers unique aux profondeurs de l'âme humaine, où la vérité n'est jamais là où la parole la porte, mais davantage dans le secret des univers intimes que Mia Couto a le talent de nous révéler.
Extraits : "A tant aller et venir, il confondait départ et destination. A tant vivre en mer, il avait perdu sa patrie sur terre. Il n'était de nulle part. D'une vague défaite en écume : c'était celle-là son appartenance."
"Finalement, les hommes sont aussi de lents pays. Et là oú l'on pense trouver de la chair et du sang, il y a de la racine et de la pierre. D'autres fois, cependant, les hommes sont des nuages. Il suffit que le vent souffle et ils se défont sans trace."
* voir Everybody Knows 16/10/2011

Un grand merci à Pierre LC pour ce livre qui sera dans les kiosques début janvier 2013.

dimanche 23 décembre 2012

Perdant magnifique

La douleur  métallique
Des rames sur l'acier glabre
Submerge la mélodie misérable
De l'homme-orchestre
Qui quette trois sous
Des âmes défaites
Avec  la  désillusion
Du perdant magnifique.

Poème de J.N. Spuart (1924 - 1968)

samedi 22 décembre 2012

Pluie et bambou

Le bambou ploie avec mélancolie
Et le balancement humide et lent
De sa silhouette lourde
Imite je ne sais quelle espèce
Précipitée dans la fosse de l'histoire
Qui régnait en maître jadis
Aux temps immenses où  les hommes
Erraient encore à l'état d'utopie
Déjà traqués par l'inspiration divine
Mais vierges de tout massacres.

Poème de JN Spuart (1924 - 1968)


jeudi 20 décembre 2012

Bonne nuit !


Une omelette baveuse (ou dernier texte avant l'Apopocalypse !)

Est resservi ici-bas un texte du 21 décembre 2008 alors que nous vivions sereinement dans l'ignorance d'une Apocalypse à survenir d'ici à 4 ans, jour pour jour (et donc demain !). La question fondamentale est celle-ci : sommes-nous capable d'être aussi désinvoltes la veille du Gib Ganb (et oui : Big Bang à l'envers !) ? Et bien la réponse est : OUI ! La preuve :

La question de l'omelette baveuse est une question fondamentale

Pour une vision plus philosophique, quasi-linguistique et de haute volée de la "bavosité" de l'omelette, se rendre immédiatement après l'amuse-bouche ci-dessous sur le blog de Gérard. Je publie ici mon commentaire qui est bien en retrait sur le plan existentiel, mais, je ne suis pas banquier !

"Excellent (ton texte) ! Où je découvre que, toi aussi, tu as eu une enfance malheureuse peuplée d'omelettes ultra cuites voire dégageant une légère et infâme odeur de cramé. Il est très vraisemblable que tu n'as pas non plus échappé aux œufs trop durs submergés d'une béchamel figée qu'un cuisinier sadique s'employait parfois à teindre en rouge Ketchup périmé. Quand j'ai connu M., je n'avais pas de ronds. Pour manger, mes potes et moi, nous avions très souvent recourt à ce produit qui pourrait vous faire croire en Dieu (si celui-ci ne nous laissait pas quotidiennement dans la m...) ; je veux parler de l’œuf que nous accommodions le plus souvent en omelette ou en soufflé (ah les soufflés !). Comme je me débrouillais pas trop mal en cuisine (la concurrence n'était pas impitoyable) je me suis retrouvé bientôt à élaborer, lors de nos soirées, les omelettes et les soufflés (ah les soufflés !). J'ai développé un savoir-faire empirique et barbare reconnu par le cercle de mes amis et qui (je me le demande à présent) participa peut-être d'une manière déterminante dans la conquête de l'héritière sur laquelle j'avais jeté mon dévolu ! Qui sait où vont se loger les mystères de l'amour ? Dans le texte remarquable que tu consens à nous livrer, il y a - il me semble - une absence : le battage des œufs. La mère Poulard l'avait transformé en attraction touristique. Le battage des œufs est fondamental - me semble-t-il - pour acquérir cette bave qui doit légèrement ourler des lèvres de l'omelette repliée en deux (bien entendu). L'omelette est l'un des plats les plus érotiques que je connaisse. L'omelette elle-même doit présenter une peau légèrement hâlée, perlée de beurre (sans excès). L'omelette baveuse appelle la salade dotée d'une vinaigrette soutenue. Pour moi la reine des omelettes est celle fourrée aux cèpes. Des cèpes bien fermes que l'on aura pris soin de faire revenir au préalable dans une poêle, et que l'on recouvrira du liquide onctueux et mousseux des œufs battus additionnés d'un peu de lait et d'un peu d'eau (un doigt de crème fraiche constitue un bonus), une pincée de fleur de sel (de l'Ile de Ré), et si on est en verve quelques poussières de noix de muscade."

jeudi 13 décembre 2012

Le show Koolhaas (servi au Pavillon... de l'Arsenal)



Une salle "archi" comble, un carré de VIP, un animateur façon grand spectacle, c'était hier boulevard Morland, au "Pav", pour la présentation du lauréat du concours de la future École Centrale en partance sur le Plateau de Saclay aux environs de 2016. Tout le (beau) monde s'était déplacé pour "Rem" (un peu comme on dit "Corbu"), ce grand monsieur longiligne à l'allure de prédicateur austère, dont les propos, toujours énoncés avec calme, avec une pointe d'accent qui ajoute au mystère et sans effets oratoires, sont livrés comme autant de messages mystiques aux foules acquises à la cause koolhaassienne. Rem doit parfois (souvent ? encore ?) être lui-même étonné de cette ferveur populaire (chic). Ceci étant, est-ce surprenant pour un spécialiste du délire ? Au-delà de cet aspect "mégastarchitecte" (le cultive-t-il ? le maîtrise-t-il ?), il faut reconnaître à Rem ce talent presque unique de lâcher dans ses interventions un certain nombre de "scuds" - certains de salubrité publique -, sans avoir l'air d'y toucher (seuls Claude Parent et Ricciotti peuvent rivaliser avec lui dans cet exercice). A Bordeaux c'était contre les tours et l'architecture (art mineur par rapport à l'urbain dans la conception Koolhaassienne), hier soir c'était contre cette vie convenue et sans place pour le dépassement de soi que notre société du prêt-à-consommer nous propose (à moins que ça soit nous qui la choisissions ?), contre ces espaces publics bardés de grilles, rambardes, panneaux indicateurs, accessoires urbains qui finissent d'en privatiser l'accès et les rendre sans goûts ni saveurs, contre la facilité ("l'imagination se nourrit des contraintes"). 
Rem poursuit à longueur d'interventions sa croisade iconoclastique et, même si l'architecture exige d'autres ingrédients, il est indispensable qu'une pensée critique (voire subversive) puisse être énoncée afin qu'elle (l'architecture) ne "fermente*" pas dans l'académisme ou ne se "congestionne*" pas dans le marché. 
Faut-il parler du projet architectural de l'Ecole Centrale ? Sans doute pas puisqu'il n'est constitué qu'à 10% nous a-t-on appris hier soir. Alors trame ou pas trame ? Sérendipité ou non ? Urbanisme intérieur en diagonal ? Mais, au fait : où se cache le Saint-Simonisme dans le projet ? (Voilà une bonne question !). Vous avez dit sensuel ? Comme c'est sensuel...
Rem a évoqué trop rapidement son projet du Chicago Institute qui est un bâtiment absolument extraordinaire.
Hommage aux perdants (magnifiques ?) qui ont fait le déplacement. La palme de la pertinence à Marc Barani interrogeant sur la différence des cultures entre l'Europe du Nord et celle du Sud qui se traduit dans le degré d'ouverture de leurs architectures. Il avait parié pour un bâtiment ouvert sur le parc et une vie en dehors des lieux intérieurs. Palme de la modestie à Dietmar Feichtinger reconnaissant son désarroi devant la complexité du programme.
* clins d'œil aux termes "fermentation" et "congestion" évoqués lors de la conférence pour qualifier le projet (sont-il recyclables ?)
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mardi 11 décembre 2012

Le Louvre de Lens ou la "Haïkarchitecture"






Comment qualifier l'architecture de l'agence Japonaise Sanaa : Claire ? Évanescente ? Légère ? Précise ? Juste ? Effacée ? Epurée ? Discrète ? Peu bavarde ? Minimaliste ? Essentielle ? Elle est un peu à l'architecture, ce que le Haïku est à la littérature : une suite courte de mots simples composant un ensemble d'où se dégage une poésie dont le sens est libre. C'est précisément de "l'Haïkarchitecture". Le bâtiment, composé d'un enchaînement de six volumes élémentaires - des parallélépipèdes plats, tous allongés à l'exception du pavillon d'accueil carré -, blancs, certains vitrés d'autres opaques, pourrait être posé dans un autre paysage, puisque la volonté de ses concepteurs est qu'il se confonde avec son environnement. Exit la posture de la confrontation, du sempiternel dialogue avec l'existant, de l'intégration (qui souvent est incompréhensible tellement elle est, à l'évidence, juste une figure de rhétorique). À l'intérieur le vocabulaire restreint de Sanaa : poteaux dont le faible diamètre, l'élancement et l'espacement interrogent l'ingénieur ; modules élémentaires de panneaux vitrés ou d'aluminium d'une seule pièce sur toute la hauteur de l'espace ; sol en béton blanc ciré ; des poutres-lames d'une finesse remarquable dans la Galerie du Temps dessinant un plafond précis d'une grande élégance ; des boîtes de verre circulaires disposées dans le vaste hall d'accueil composant des espaces clos et ouverts à la fois ; très peu d'équipements d'éclairage visibles et le recours, largement, à la lumière naturelle, qu'elle soit zénithale ou provenant des façades vitrées ; des grilles de faux-plafond métalliques, blanches, dissimulant à peine les réseaux techniques, mais sans mise en scène, ...

lundi 3 décembre 2012

L'année de rhéto




Le Quartier Galliéni et en second plan le dortoir des rhétos
Ce titre ne doit parler qu'à une infime minorité des lecteurs d'Everybody Knows ; normal, puisqu'on désignait par "rhéto" la classe de première au Prytanée Militaire de La Flèche, et que, sauf à avoir été pensionnaire de cet établissement sarthois (Le Mans, Vroum-Vroum, les hunaudières, les rillettes, Fillon), il est légitime de l'ignorer.
Antoine Compagnon est l'auteur de ce livre paru chez Gallimard en octobre dernier. Le nom de cet écrivain ne vous dit rien non plus ? Et pourtant ce Monsieur est professeur au Collège de France, titulaire de la chaire de littérature française moderne et contemporaine. Accessoirement, il est diplômé de l'X, du corps des Ponts et docteur d'état es lettres (en bon franchouillard j'avoue être impressionné par certains diplômes, mais là, c'est plutôt le cursus que je trouve excitant !).
Photo de la 5ème compagnie en 1965-1966
Donc Antoine Compagnon (62 ans) écrit 329 pages sur son année de rhéto (1965-1966) en parvenant à nous (re)plonger dans un univers totalement invraisemblable que l'on pourrait imaginer relevant d'une époque lointaine dans un lieu isolé du reste du monde. Mais le plus étonnant, c'est que dans ce milieu où la discipline et l'ordre sont élevés au rang de références absolues, de vertus cardinales, on (re)découvre une jeunesse très loin d'être soumise, qui transgresse avec violence les codes établis (avec parfois une certaine complicité de l'encadrement), et dont l'attitude vis-à-vis de l'autorité est plus que rebelle, voire révolutionnaire (peut être davantage que dans des établissements plus libres).
Autre paradoxe, celui qui gouverne la relation ambivalente que les pensionnaires entretiennent avec l'institution : rejet mais également attirance (haine et amour), relation qui fait, comme l'auteur l'indique, qu'on n'en sort pas indemne !
Extrait :
"Entrés dans l'armée à 10ans (...) nous étions des mutilés psychiques, des tarés affectifs, certains plus que d'autres, mais pas un seul n'en sortirait indemne. On avait acquis pour toujours une certaine dureté sentimentale, une certaine rigidité mentale, contre lesquelles il faudrait lutter sans cesse et pied à pied pour qu'elles ne reprennent pas le dessus. Tous mettraient longtemps à se rétablir et beaucoup ne se rétabliraient pas."
Écrit avec beaucoup de modestie (l'auteur sous estime souvent ses qualités scolaires), mais aussi avec un zeste d'érudition littéraire qui permet au lecteur de disposer de conseils de lecture certainement avisés, c'est un livre qui pose la question de savoir quelle résonance il peut susciter auprès des brutions (ou des niass si vous préférez) et auprès des pékins également ! Cette question m'intéresse...

jeudi 29 novembre 2012

Au gré du Monde. Izraelewicz et Compagnon

"Et les rares moments où il évoquait ses lectures étaient marqués par une allégresse presque enfantine."
Jean Brirbaum dans l'édito du Monde des Livres, hommage à Erik Izraelewicz.





"En écrivant ce livre, j'avais envie de retrouver les mots qui étaient les nôtres à cette époque, et qui allaient avec un mode de vie que je connais très mal, celui de la province."
Antoine Compagnon*, au sujet de son roman "La Classe de rétho", qui gagnera un exemplaire du Lexical** 2012 et préfacera probablement l'édition 2013 !

* Antoine Compagnon est ancien élève de Polytechnique, Ingénieur des Ponts, docteur d'état es lettres et professeur au Collège de France, titulaire de la chaire de "Littérature française moderne et contemporaine : histoire, critique, théorie." Il a passé plusieurs années au Prytanée Militaire de La Flèche.
** Le Lexical est un abécédaire de l'argot du Prytanée Militaire en cours dans les années 70, réalisé par un collectif d'amis, tous anciens Nass (et néanmoins sympathiques). L'édition 2013 qui est prévue dans les bac début juin (2013) peut être réservé auprès de votre serviteur (prix de vente prévisionnel : environ 20€).

mardi 27 novembre 2012

Poème de JN Spuart (3)

J'ai vu l'anachorète des guerres perdues
Le soldat des méditations naïves
J'ai vu le juste injuste
La soumission assumée
J'ai vu le monde lapidé
Une haine imbécile
J'ai vu des mers arides
Le sacrifice d'Isaac
J'ai vu l'invisible démasqué
La terreur de vos armes
J'ai vu le miroir de vos doutes
La silhouette d'un souvenir
J'ai vu l'excuse de vos charniers
Les larmes sans excuses
J'ai vu le procès des soumis
L'insuffisance se consoler
J'ai vu l'idéal déconfit
Le sang sur vos blouses
J'ai vu la beauté d'un cil
Le cri du porc
J'ai vu l'ennui sur vos lèvres
L'absence de vos rêves
J'ai vu une île submergée
Une tombe anonyme
J'ai vu un rocher habité
Le suicide de la pensée
........
J'ai vu dans l'œil du chat
........
L'espoir

Poème de JN Spuart (2)

Il y a cet âge de déraison
Qu'arraisonne l'ennui
Dans une cale déclassée
Pupille condamnée
Aux vertiges ultimes
D'une poésie branlante
Emmitouflée dans une incertitude
Lasse des approximations artificielles
Envieuse jalouse
Des chevaux ras au ras des rocs qui se consument
.....
Et si la puissance résidait dans un grain de sable ?

lundi 26 novembre 2012

Poème de JN Spuart

Paupières empâtées qui pèsent le malheur
Le visage aux rivages éteints
Sous le sable la source saigne
Et le miracle de l'abstinence vaine
Pour une résurrection insoumise
Que le vent balaye comme une éternité
Parle sans prudence
Car les mots parlent sans comprendre
Les guerres copulent au-delà du temps
Elles mendient leur carcasses
De déportés sans attaches
Que les glaises tentent d'ensevelir
Tombes dérisoires aux ordres
Que la peur bâillonne
Restez ouvertes aux carnages
Le temps illégitime triomphe
L'homme est un coupable provisoire.

Jean-Noël Spuart

Équerre d'argent 2012



C'était notre favori :

Circa, pôle national des arts du cirque à Auch

Et finalement ce fut : le Pôle Petite enfance à la Trinité (Alpes-Maritimes) des architectes de l'agence CAB
 





Le Prix spécial du Jury est revenu au projet de Renzo Piano à Ronchamp, et un 3ème prix au Groupe scolaire Lucie-Aubrac à Nanterre de Ditmar Fechtinger.
(Photos plus tard)
Veinard(e)s : on a (presque) tout changé à droite !

vendredi 23 novembre 2012

Vals, d'après Hélène BINET

Les Termes de Vals. Photo Hélène Binet
C'est une chaise longue dont on devine à peine les pieds. Elle est libre. Son assise et son dossiers sont les deux seules choses qui adoptent des courbes lascives dans cet espace cadré. Ici tout se prête au cadre, à la ligne droite parfaite. La chaise longue regarde - contemple - à notre place le paysage. Le versant opposé de la vallée dont la surface, comme une peau voluptueuse, est une source infinie de curiosité. Le verre du rectangle de la façade est partagé verticalement en deux moitiés inégales par un trait épais d'encre noire. Dans un angle, celui de la plus étroite bande, apparaît un exemplaire unique, précieux, sommaire, de la grange typique de cette région des Grisons. La photo est sombre à l'exception de cet arrière plan habité par la chaise longue. Sur le côté droit, les fins bandeaux de gneiss tissent une ligne de fuite parfaite. Il y a deux ou trois objets discrets autant qu'insolites suspendus dans l'espace, et qui ponctuent la perspective. Au sol, la matière semble brute.
Nota : la photo d'illustration n'est pas celle du texte...
Hélène Binet est une photographe suisse née en 1959. Elle vit à Londres et travaille avec plusieurs architectes de renom, comme Peter Zumthor ou Zaha Hadid. Elle traduit admirablement l'esprit et l'émotion des espaces qu'elle photographie en captant "le jeu correct, savant et magnifique de la lumière sur le béton", presqu'exclusivement en noir et blanc.

mardi 20 novembre 2012

Stadium de Vitrolles



Quoi de neuf ? Le Stadium de Vitrolles, Kaaba laïque désertée de ses pèlerins, garée sur une aire en déshérence, contaminée par des touffes d'herbes erratiques et des arbustes autonomes et chétifs. Reste un blockhaus déchu, radical, dont l'attique déchiré mime les franges rocailleuses de la falaise miniature qui compose au large un horizon sanguinaire. Reste ces deux escaliers de métal rouillé sans personne à secourir, comme deux béquilles ultimes. Reste cette entrée souterraine muette dont on n'entre plus, maquillée de tags dérisoires. Reste une fusée, plantée comme un gigantesque pétard d’aluminium sur une plateforme de lancement aux allures de base oubliée de l'empire soviétique. 
A proximité, des 38 tonnes manoeuvrent avec une application d'AMX 30 dans ce décor façon Bilal. Dans le secret intérieur de la matrice de béton noir, l'espace magnifique survit probablement, avec, figées, invisibles dans la matière et dans le vide, les ombres errantes des fantômes des fêtes passées. L'invention de la ruine moderne. Comme à Croix ? Comme à Sens ?

vendredi 9 novembre 2012

Ferrari ou Deville ?

Alors ? Plutôt mystique ou scientifique ? Saint-Augustin ou Yersin ? La Corse ou Nha Trang ? Sermon ou serment ? Café ou comptoir ? Pasteur ou Pasteur ? "Le sermon sur la chute de Rome" ou bien "Peste et choléra" ? Le Goncourt a tranché en faveur du premier. Il se vendra mieux, mais le second avait le mérite de replacer la curiosité et l'intelligence sur le devant de la scène. "Nous sommes capables, de façon désintéressée, d'infiniment plus que ce dont nous imaginions être capables", écrivait Alain Badiou dans "Le Monde" daté de ce jour.
Relire Ferrari pour ne pas rester sur cette impression d'une histoire un peu brouillonne, tirée par les cheveux, servie par un style auquel il manquerait un peu de ce froissé qui parachève l'élégance, où Saint-Augustin semble être là comme un alibi philosophique.

vendredi 2 novembre 2012

Tempête marine

Tempête d'après Turner
La pluie rafale aux portes
La mer tabasse d'écumes mortes
Un ciel de bronze définitif
L'épuisement en horizons subjectifs
La nuit se gonfle bubon d'encre lasse
L'homme précipite en son impasse.
L'abysse en songe et l'atmosphère gisante
Les délices et les amours, des  hymens galantes
La haine étreint les membres
L'indicible épuise novembre.

jeudi 1 novembre 2012

La cour des Arts de l'Islam au Louvre

Inaugurée fraichement (septembre dernier), la cour des Arts de l'Islam mérite la visite : son architecture est étonnante et la collection absolument remarquable. Pour qualifier leur projet, les deux architectes lauréats, Mario Bellini et Rudy Ricciotti, avaient usé de la métaphore poétique : "voile aérien", "aile de libellule", pour le premier, "mouchoir de soie lâché au fond de la cour", pour le second. Le dossier de presse n'est pas en reste : "ce jeu de plis et replis de la couverture devient alors un drapé soyeux aux reflets micacés et facétieux". Chacun se fera son idée de cette installation composée de 2 000 panneaux triangulaires en acier galva enrobés d'un métal déployé extrêmement fin, portée par seulement 8 poteaux plus ou moins inclinés figurant les piquets d'une tente de bédouin. Pour bénéficier de la meilleure impression possible, il est conseillé de sélectionner une journée de grand soleil avec un ciel bleu péninsule arabique ; la couverture prend alors de très beaux reflets mordorés.
Mais le projet ne se résume pas à ce niveau ; il comporte un sous-sol gagné sur les surfaces originelles dans lequel le noir règne en maître : béton noir des murs latéraux, sol en dalles noires incrustées de paillettes de laiton, faux-plafonds sombres, escalier noir vernis en béton coulé en place dans un coffrage spécifiquement fabriqué (une performance sans doute) dont l'allure évoque une sorte d'odontocète. On retrouve dans cet élément massif, indubitablement, la patte de Ricciotti, gourmand d'une matérialité profonde et quelque part archaïque ; s'agit-il de cette fameuse "physicalité" qu'il s'emploie à exprimer dans tous ses projets ? Il a été rapporté que lors de l'inauguration, Ricciotti a semble-t-il davantage attiré l'attention des VIP sur la contemplation du ventre lisse, noir et luisant de son escalier, plutôt que vers les ailes de l'odonoptère métallique...
On peut regretter que les façades de la Cour Visconti soient désormais en grande partie masquées par le projet. Les pyramides de Pei voisines, sujets de maintes polémiques, ont su préserver les riches façades de la Cour Napoléon. De même, difficile de ne pas remarquer les membrures de la structure métallique porteuse dont les ombres bien visibles (trop ?) affaiblissent l'onirisme du "mouchoir de soie".
Et puisque dans un musée, le plus important reste la qualité des œuvres exposées - même si leur mise en valeur est essentielle -, il faut souligner une fois encore que la collection des Arts de l'Islam présentée ici est absolument remarquable. A l'heure où d'aucuns vous convient au "choc des civilisations", il est bon que l'art témoigne de sa capacité à relier les hommes dans ce qu'ils ont de meilleur : le goût du beau et de l'intelligence.



Bloggers sans bagages

Et je découvre que 3 consultations d'Everybody Knows ont été effectuées ce jour depuis le Mali ! 
Mosquée en terre de Djenné

Le port de Mopti dans la boucle du Niger
Ah, Djenné ! Ah, Mopti ! Ah, les falaises de Bandiagara et le Pays Dogon ! Les reverrai-je un jour ?
Les cases Dogon dans la falaise

L'invention de Morel d'Adolfo Bioy Casares

Un condamné à la perpétuité en fuite échoue dans une île déserte où sévit la peste et sur laquelle il découvre un ensemble de bâtiments vides - musée, bibliothèque, chapelle, chambres, cellules en sous-sol - qui semble avoir été abandonné récemment par ses pensionnaires. Mais bientôt il s'aperçoit qu'il partage temporairement cette île hostile avec des visiteurs aux comportements étranges. Se sachant traqué par la police et redoutant d'être dénoncé, il va continuer à vivre caché tout en épiant, en prenant de plus en plus de risques, ce groupe d'hommes et de femmes dans leur vie quotidienne faite de réunions, de repas, de promenades, de conciliabules ou de séances en plein air au cours desquelles ils écoutent de la musique - Tea for Two et Valencia en boucle - sur un phonographe. Une femme en particulier, aux airs sensuels de gitane, l'attire énormément. Elle a pris l'habitude de venir sur un rocher lire et contempler la mer à la tombée de la nuit. Elle s'appelle Faustine ; elle porte la plupart du temps des vêtements de tennis. Elle est souvent accompagnée de Morel qui, à l'évidence, lui fait la cour, ce qui excite la jalousie du fuyard. Une chose intrigue de plus en plus ce dernier, c'est cette curieuse impression que tous ces gens l'ignorent totalement malgré les maladresses qu'il peut commettre, et qui devraient trahir sa présence.
Borges disait de la trame de ce court roman : "il ne me semble pas que ce soit une inexactitude ou une hyperbole de la qualifier de parfaite".
D'une lecture captivante et parfois énigmatique, ce livre laisse une impression troublante. 
Il y a derrière les impressions du condamné et les situations décrites toute une réflexion sur le destin de l'homme, le temps qui passe et le désir d'immortalité. Une lecture qui exige d'en prolonger l'analyse, ainsi que le suggère la 4ème de couverture : "un roman qu'il ne faut pas se contenter de ne lire qu'une fois, un petit chef d'oeuvre."
Et donc, rendez-vous pris sur internet avec des analyses et des points de vue savants et complémentaires.
 Adolfo Bioy Casares est argentin. Il a obtenu le prix cervantès pour l'ensemble de ses écrits. Il est mort en 1999 à Buenos Aires. "L'invention de Morel" est paru en 1940 et connu un succès immédiat.

vendredi 26 octobre 2012

14

Il y a des auteurs pour lesquels on parle du dernier livre paru en disant c'est "le dernier X", X du nom de l'auteur en question ; as-tu lu le "dernier X" ? C'est vrai pour Jean Echenoz. "14" est donc le "dernier Echenoz". C'est une histoire simple, une petite histoire, sur la toile de fond de la "Grande Histoire". La guerre de 14 ; celle qui avait la préférence de Brassens ("Moi, mon colon, cell'que j'préfère, C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit !"). Blanche est une héritière, fille unique du patron des usines de chaussures Borne-Sèze en Vendée. Elle sort avec Charles, jeune homme ambitieux de 27 ans. Anthime est le jeune frère de Charles. Il est comptable et plutôt effacé, mais il a des copains. La guerre va cueillir tout ce petit monde et les extraire d'une vie convenue, pour entrainer les jeunes hommes vers l'enfer. Un enfer dans lequel, un bras arraché ou une mâchoire déchiquetée correspondent à autant de félicités vous permettant d'être démobilisé.
Il y a le style Echenoz, parfois curieux comme dans les phrases suivantes : "un coup de vent tapageur s'est brutalement levé qui a manqué faire s'enfuir sa casquette..." ; "Ç’avait plutôt pas mal été non plus dans le train, sauf le confort." ; "une dalle de ciment fissuré, juste ornée par les traces de pattes qu'avait précisément laissées un chien (...) gravées dans le mortier frais le jour lointain qu'on l'avait coulé." Mais il y a un "ton" dans ce livre ; celui d'une certaine objectivité des faits ; des faits que le recul du temps ne permets à personne d'apprécier dans l'instant et surtout pas aux acteurs qui ne comprennent rien au déroulement des évènements. Tout les dépasse parce que tout est absurde. 
Pour Echenoz la guerre est une sorte d' "opéra sordide et puant", et comme l'opéra, "c'est grandiose, emphatique, excessif, plein de longueurs pénibles, comme lui cela fait beaucoup de bruit et souvent, à la longue, c'est assez ennuyeux."
Echenoz n'a pas besoin d'emphase pour nous mettre dans le bain de l'horreur. On y est, avec Anthime, et on ne comprend pas bien ce déchainement de folie.
Il y a quelques passages très beaux et en particulier celui où Arcenel, l'un des copains, décide d'aller se promener dans la campagne. C'est le Printemps, le silence est "certes imparfait" (...) et presque mieux que s'il était parfait, (...) comme un amendement mineur donne sa force à une loi, un point de couleur opposée décuple un monochrome, une infime écharde confirme un lissé impeccable, une dissonance furtive consacre un accord parfait majeur (...)"

On lira avec un plaisir simple en quelques heures le "dernier Echenoz" ; s'en souviendra-t-on dans quelques mois ? (Oui, bien sûr grâce à Everybody Knows !)

jeudi 25 octobre 2012

Poètes : on recycle !

Publié le 24 octobre 2009

Pluie

Le jardin est dévoré de mousse.
Le fauteuil en métal vert-anis pleure
Des larmes égarées d'une pluie d'automne,
Et le bois sculpté du cimier bambara
Noirci sa peau sous les sanglots.

Cadel Ubbale

Le cul de Judas


"Le cul de Judas", c'est Gago Coutinho, ce trou perdu au fin fond de l'Angola à 10.000 km du Portugal, de sa femme et de son bébé, "ce mamelon de terre rouge, entre deux plaines pourries", où Lobo Antunes, alors âgé d'un peu moins de 30 ans, a du passer 25 mois en tant que médecin mobilisé pour aller faire cette "putain de guerre" coloniale. Ce livre est un témoignage épouvantable, bouleversant, sur l'horreur de cette guerre et son cortège de misères, d'atrocités, d'injustices, d'absurdes et de déshonneurs de la condition humaine. Son récit est fait en une nuit à l'occasion d'une rencontre du narrateur et d'une fille qu'il drague dans un bar de Lisbonne. L'homme n'a plus guère de considération pour lui-même, cet épisode angolais l'a totalement brisé ; seuls quelques souvenirs d'enfance et une tendresse que l'on sent cabossée, constituent sans doute les derniers éléments qui peuvent donner sens à sa vie. Il y a aussi une rage immense ; envers les politiciens, les hauts-gradés et les verbeux qui sont restés au chaud à Lisbonne pendant que les non-pistonnés d'une génération de jeunes portugais se faisaient tuer ou arracher les membres sur les mines d'Angola ; contre une partie de sa famille qu'il déteste, confite dans la tradition, et qui ne se rend même pas compte qu'en venant acclamer les jeunes patriotes en partance pour sauver "l'empire", "venait là assister à sa propre mort". 
En 1971, dans le "Cul de Judas"
Et puis le style de Lobo Antunes qui se déverse comme un flot impétueux et tourmenté d'adjectifs qui rebondissent, se bousculent, se télescopent entre eux pour former un véritable torrent littéraire dans lequel les plages d'apaisement, si elles sont rares, n'en restent pas moins d'une beauté où la nostalgie du temps qui passe, l'enfance peuplée de mille souvenirs sans importance et les caresses des femmes qu'il a aimée, en composent la matière essentielle.
Ce livre est un chef d'oeuvre (sans doute à ne pas recommander aux personnes déprimées). "Contrastes et Lumières" a produit un texte intéressant et très riche à son sujet.
Extrait (mais on voudrait en mettre mille !) :
"Je flotte entre deux continents qui, tous deux, me repoussent, nu de racines, à la recherche d'un espace blanc où m'ancrer, et qui peut être, par exemple, la chaine de montagne allongée de votre corps, une concavité, un trou quelconque de votre corps, pour y coucher, vous savez, mon espoir honteux."
Antonio Lobo Antunes aujourdhui
Merci à Pierre Léglise-Costa, un ami et traducteur de cet ouvrage, qui ne doit absolument pas regretter de m'avoir fait découvrir ce terrible compatriote.
  

dimanche 21 octobre 2012

Le poids du papillon

C'est un petit livre qui ressemble à un conte, ou mieux, à une fable, avec une morale qui rappelle que sans doute le Diable est dans le détail. 
Deux rois des chamois : l'un est chasseur, braconnier, solitaire, avec plus de 300 chamois tués à son actif, l'autre règne sans partage depuis plus de 20 ans sur sa harde. Tous deux se connaissent, tous deux sont au terme de leur renommée. Erri de Luca, dans une écriture libre, simple et poétique déroule les trajectoires parallèle de ces deux rois de la montagne dont le destin inexorable et ultime, est de se rejoindre, à l'infini,  autre appelllation évidente de la mort. 
Un papillon blanc apparait furtivement dans le récit se posant avec une absolue légèreté, tantôt sur le fusil de l'homme, tantôt sur les bois de l'animal. Mais, comme ce simple effleurement de la main d'une femme qui le trouble, lui, "l'homme sans", aurait pu tout bouleverser dans sa vie de chasseur, le papillon blanc, détail de la nature au poids insignifiant, possède l'indicible pouvoir de vie ou de mort.

Dans la maison


Qui se cache derrière Claude, cet adolescent aux allures angéliques ? Juste un jeune homme, écorché par la vie, dont la sensibilité s'exprime dans l'écriture avec un réel talent que va déceler et encourager jusqu'au harcellement, Germain - Luchini, son prof de lettres désabusé et écrivain raté ?
Un manipulateur, lui-même totalement sous l'emprise d'un voyeurisme névrotique ?
Ozon a fait un film à la fois drôle et tragique. Drôle (souvent) dans le regard qu'il porte sur certains aspects de l'art contemporain (des propriétaires de galerie incultes, des textes abscons qui accompagnent des œuvres improbables et pitoyablement sulfureuses qui s'autoproclament artistiques), dans la description de cette famille de beaufs espionnée par Claude dont le bonheur se résume pour le père et le fils à une pizza-télé devant un match de basket, et pour la mère à des rêves d'architecture tirés des magazines de déco féminins, ... Tragique dans la manière naïve avec laquelle Germain-Luchini s'enfonce dans un piège fatal à la construction duquel il s'emploie aveuglément malgré les avertissements de son épouse (Christine Scott Thomas, toujours superbe, en galeriste un peu désespérée), dans cette recherche d'amour chez Claude qui se nourrit du malheur des autres.
Et si la question était : la littérature sans la fiction se réduit-elle au voyeurisme et peut elle conduire à la folie ? Ou bien : l'idéal de vie n'est-il pas dans un bonheur simple ? Il y a un petit air de "Un été 42" dans ce film, non ?

dimanche 14 octobre 2012

Saison brune


Quoi penser après avoir refermé le livre de Philippe Squarzoni "Saison brune", énorme BD de 477 pages sur la question du devenir de notre monde face à la menace des bouleversements prévisibles dus à la façon dont nous l'exploitons déraisonnablement ? Est-il possible que nous puissions encore inverser le cours des choses ? A lire les entretiens des éminents spécialistes auxquels Squarzoni donne la parole, force est de constater que seule une révolution dans notre façon de vivre pourrait constituer une solution. La question est : comment cette révolution peut-elle s'accomplir ? Y-a-t'il la place pour une hypothèse relevant du sens collectif dont il faudrait que chaque individu - et en particulier les plus riches - soit le porteur ? Une autre hypothèse, évidemment, serait un système dictatorial. Le très grand mérite de ce livre est de poser avec beaucoup de rigueur et d'intérêt, chiffres à l'appui, (on a du mal à lâcher ce livre et on a envie de le lire de bout en bout sans s'arrêter) une question d'ordre écologique qui dépasse la seule écologie pour aller sur le terrain politique. Il n'y aura pas d'avenir pour la planète s'il n'y a pas refondation d'une pensée politique sur la base d'engagements populaires aussi clairs que la solidarité, la réduction forte des inégalités, et le transfert des richesses entre le Nord et le Sud ; en d'autres termes, pas d'avenir sans contraintes fortes appliquées aux plus nantis des habitants de cette terre, et plus particulièrement les plus riches parmi les populations occidentales.
 Mais rassurons-nous : si nous nous appliquons pas ces contraintes, celles qui ne manqueront pas d'arriver seront sans commune mesure !... Alors de deux maux, le bons sens dicterait de choisir le moindre... Mais avons-nous encore du bon sens ? Et le système économique actuel qui dirige et verrouille le monde nous laisse-t-il encore une chance d'avoir du bon sens ?
PS : Merci à PL qui m'a offert ce livre et qui se reconnaîtra sans doute s'il parvient jusqu'ici !

Architecture et cartes postales

Comment apprendre l'architecture avec des cartes postales ? Il suffit de suivre cette adresse, qui vous mène tout droit à un blog remarquable (écriture, analyse, illustrations) : http://archipostcard.blogspot.fr/
Dernier article du jour : l'expo de 37 à Paris et la confrontation des pavillons nazis et soviétiques.

Comment parler des lieux où l’on n’a pas été ?

Et si vous appreniez que Marco Polo (1274-1324), qui effectua un périple de plus de vingt ans en Asie jusqu’à devenir un familier de la cour impériale de Chine et du grand empereur mongol Kubilaï Khan lui-même, n’était en réalité qu’une sorte d’imposteur dont le voyage s’est probablement limité aux faubourgs de Constantinople, voire même selon certaines hypothèses, à la banlieue de Venise ? Si, en plus, on vous disait qu'il était fort probable que Blaise Cendrars, l’infatigable bourlingueur, l'écrivain-voyageur par excellence, n’avait pas emprunter le Transsibérien jusqu’à certaines destinations qu'il a néanmoins décrit à la perfection* ? Si Chateaubriand, l’auteur des « Mémoires d’Outre-tombe » avait en fait imaginé une très grande partie de son voyage en Amérique ? Quelle serait votre réaction ? Seriez-vous troublé au point de rejoindre la foule toujours grandissante des septiques de toutes sortes, jusqu’à peut-être grossir les rangs des adeptes d’une quelconque théorie du complot (« on nous cache tout, on nous dit rien » comme le chantait Dutronc) ? Ou adopteriez-vous plus simplement la thèse que développe Pierre Bayard dans ce livre** d’une intelligence rare (et accessible), écrit dans un style remarquable (l’auteur est professeur de littérature française à l’université), que je tenterais de résumer en une phrase (tout en mesurant ce qu’elle a de réducteur***) : l’imaginaire est souvent plus pertinent que la réalité pour décrire un lieu ou une situation, et la pensée s’aidant de la connaissance, plus apte à nous ouvrir aux cultures extérieures que l'exploration souvent brouillonne et téléguidée des incontournables lieux de la planète qu’il « faut » avoir visités afin d’être capable de cocher dans son petit carnet de voyage mental : « fait » ! 
Merci à FD qui m’en a chaudement recommandé la lecture et qui, comme il est désormais de tradition de l’écrire dans ce lieu, « se reconnaîtra certainement s’il parvient jusqu’ici »…
J’ajouterai que si je partage la plupart des réflexions de Pierre Bayard, j’émets quelques réserves quant à l’application de sa théorie à l’architecture dont l’appréciation, me semble-t-il, ne peut se passer du regard personnel et intime ; regard qui se nourrit bien sûr d’imaginaire mais également d’émotions des sens, tactiles, voire charnelles.
Un mot encore pour souligner qu’avec ce livre, Pierre Bayard nous permet d’anticiper sur un monde à venir, où il est probable que les congés payés à l’autre bout de la planète tiendront du fantasme nostalgique, et où il sera alors utile, pour qui veut encore voyager, de savoir rester dans son fauteuil et simplement imaginer (à ce sujet, se reporter - bientôt - aux commentaires sur la BD de 477 pages, "Saison brune" de Philippe Squarzoni).

*« Emettant quelques doutes sur la réalité du voyage en Transsibérien et ayant communiqué son scepticisme à Blaise Cendrars, Pierre Lazareff s’attira cette réponse célèbre de l’écrivain : « Qu’est-ce que ça peut te faire, puisque je vous l’ai fait prendre à tous ! »
**Pierre Bayard a précédemment écrit : "Comment parler des livres qu'on a jamais lu ?" (faut-il le lire...pour en parler ?)
***Forcément !

vendredi 12 octobre 2012

Cette année je me prends au mot et j'écris

Voila, c'est reparti. Petit exercice d'écriture à partir de quelques phrases imposées par Denise Morel, auteure d'un minuscule opuscule aux pages détachables et "post-itables" qu'une amie m'a offert.
"Sans déclarer ma flamme,
J'ose conter fleurette
Avec des mots choisis."
Comment a-t-elle fait pour me démasquer ? Existe-t-il une seule conversation muette couchée sur le papier qui ne soit une tentative de séduction ? Et si l'une d'entre elles devait échapper à ce destin sentimental, ne faudrait-il pas la répudier pour cause d'infidélité ou de vulgarité ? Et qu'est-ce que la poésie si ce n'est l'expression sensuelle des mots ? Bon : on fait ce qu'on peut ; rien n'est facile ; on avance dans le noir orphelin ; heureusement qu'il existe encore la possibilité de choisir ses mots !...

jeudi 11 octobre 2012

Cosmos for birthday

Une pensée spéciale pour Mado qui se reconnaitra si elle vient jusqu'ici et qui m'a offert des cosmos virtuels sur un mms que je n'ai pas été foutu de planter immédiatement à réception dans mon blog faute d'avoir ouvert mon ordi pour des raisons d'écoute de "The essential" of Léonard Cohen tard dans la nuit...
Bon, maintenant ils y sont et par magie ne faneront pas !

lundi 8 octobre 2012

Nantes. Groupe scolaire Aimée Césaire




Le groupe scolaire "Aimée Césaire" est situé sur l'île de Nantes, et précisément dans le Quartier de la Création, autrefois territoire des chantiers navals où subsistent par endroits, inutiles et pittoresques, les vestiges et les empreintes d'une activité oubliée : rampes de lancement des navires, cales, grues titanesques, rails encastrés dans des sols industriels, chemins ouvriers pavés, etc.
Aujourd'hui, au bruit et à la fureur des constructions navales a succédé un "territoire en devenir" - l'Eco-quartier de la Prairie au Duc - bordé à l'est par les Nefs, immenses halles abritant les Machines de l'île dont le spectaculaire éléphant, et à l'ouest par le quai du Hangar à Bananes habillé de l'alignement minimaliste et monumental des 18 anneaux de Buren et Bouchain.
L'établissement en cours de finitions - mais, curieusement déjà occupé par quelques marmots - se remarque au premier abord par sa clôture d'enceinte constituée de piquets bruts en châtaigner disposés verticalement sur deux, voire trois niveaux superposés, selon une trame d'une assez grande liberté contrainte uniquement par des exigences liées à la sécurité des enfants (ne pas leur permettre de se glisser dans un interstice). Le choix de cette "façade" est lié à l'évocation des "ganivelles", ces palissades de piquets de bois plantées dans la dune pour en limiter l'accès et ainsi la préserver. Cette relation avec le littoral retrouve un écho dans la promenade paysagère que les architectes ont imaginée sur une partie de la toiture du bâtiment ; promenade accessible aux enfants, qui reproduira le milieu dunaire et sa végétation caractéristique (oyats et autres immortelles) ; promenade qui donne également l'impression qu'un morceau du site lui-même s'est levé de terre.
Trois autres considérations ont dicté le parti des architectes (les agences Bruno Mader de Paris et Mabire-Reich de Nantes) : 1) la volonté de préserver une certaine intimité à la cour de récréation : des immeubles de neuf et dix étages doivent en effet être édifiés à proximité de l'école, et l'urbanisation future du quartier devrait fortement augmenter le passage au nord de la parcelle 2) la nécessité de conjuguer quatre programmes distincts (une école maternelle, d'une école élémentaire, d'une crèche associative et d'un centre de loisirs) 3) l'inscription du bâtiment dans une logique cohérente avec la notion d'éco-quartier.
De ces trois contraintes, les architectes ont su tirer le meilleur en termes d'orientation, de protection vis-à-vis de l'extérieur et de consommation énergétique.
Par ailleurs, parce qu'ils attachent une attention toute particulière au fait de montrer aux enfants une certaine "authenticité" de la construction, les concepteurs ont choisi de laisser le béton brut apparent dans les espaces extérieurs. Cette minéralité assez puissante, teintée des encres des huiles de décoffrage, est atténuée (ou plutôt contrebalancée) par la chaleur et le naturel du bois, très présent dans le traitement des façades sur cour et des parements intérieurs.
Au plan extérieur parfaitement rectangulaire, les architectes ont opposé un espace intérieur de la cour aux formes plus curvilignes - féminines ? - évoquant douceur et protection.
Depuis le 1er étage, la perspective ouverte sur la ville ancienne permettra aux regards des enfants de s'exercer à distinguer et reconnaître une autre architecture, tantôt solennelle, parfois industrieuse, mais toujours témoin de leur histoire. 
L'architecture du groupe scolaire Aimée Césaire est attentive et attentionnée, et en plus parfaitement servie par une qualité de finition remarquable.

Le mot de la fin au poète :
"Rêve n'apaisons pas
parmi les clous de chevaux fous
un bruit de larmes qui tatonne vers
l'aile immense des paupières."