dimanche 31 janvier 2010

Ci-dessous un texte que l'on m'avait demandé d'écrire pour une revue dont le thème central était l'Ile de France. J'avais "quartier libre" (ou "carte blanche" ?)!

Quoi de neuf ? L’Ile de France, bien sûr ! Dans « Ile de France », il y a « île ». Ça me plait bien. Mais « France » aussi, je ne suis pas ingrat. Je ne vous cache pas qu’il existerait « Ile du Monde », que je trouverais ce nom assez joli également.

Mes premiers souvenirs correspondent à un paysage insulaire. Avez-vous remarqué ? Le mot « île » est une réconciliation définitive des genres ; le masculin et le féminin, sans histoires, juste en trois lettres. Mon île était de granit rose avec des mimosas, des crêpes beurre-sucre, El Campesino, et un requin-pèlerin échoué sur le port. On prenait alors les touristes pour des voyageurs. L’authentique n’était pas encore pittoresque. A l’Ascension, le sol des rues se parait de pétales multicolores. On buvait du Pam-pam et le cidre était encore élaboré sur place. Les morts du cimetière marin bénéficiaient d’un bain posthume aux marées d’équinoxe. Les marins vivants noyaient leur ennui dans des tournées de mauvais vin.

Les îles exercent sur moi un pouvoir d’attraction un peu sorcier.

Quand je me promène le long de la Seine, du côté des îles Saint Louis et de la Cité, je pense à Venise. J’imagine la ronde des vaporettos frôlant les quais de pierre, les traversées périlleuses de traghettos au Pont-Neuf, la parade des Rivas sous les ors distants de la Tour d’Argent.

Quand je suis à une terrasse de l’île de la Jatte, je pense à Mopti. J’imagine que je suis à la terrasse lacustre du Bar Bozo. J’ai devant moi le spectacle biblique de ces immenses pinasses bariolées qui sillonnent le Niger. J’écoute Baudelaire : il y a une sorte de plaisir mystérieux et aristocratique pour celui qui n'a plus ni curiosité ni ambition, à contempler, couché sur le belvédère ou accoudé sur le môle, tous ces mouvements de ceux qui ont encore la force de vouloir, le désir de voyager ou de s'enrichir."

Quand je flâne au cimetière des chiens d’Asnières, sur une terre orpheline de son fleuve, je pense au Burkina, comme une île délaissée par le monde entier. Il doit faire 40°C à l’ombre d’un baobab. Je ne sais plus ce que j’attends. Et je revois cette petite fille Mossi surgit de nulle part m’apporter un peu d’eau trouble dans une calebasse car elle sait que je dois avoir soif.

Quand je m’introduis dans le jardin ouvrier de l’île Saint-Germain, face aux ruines du « Crach des ouvriers », je pense à ces images oubliées en noir et blanc, aux paupières encore lourdes, aux gamelles en fer blanc suspendues au bout des bras, aux ombres résignées venues d’autres horizons qui se glissaient en trois-huit derrière des postes mécaniques.

Quand je suis dans l’île aux cygnes, pourquoi mes pensées vont-elles vers Siem-Reap ? Je suis au sommet du temple d’Angkor, comme au sommet d’une île émergeant d’un océan végétal. Le soleil se couche sur la jungle. Entre les pierres immobiles, se faufilent, furtives et silencieuses, des pièces de tissus couleur safran.

Quand je suis … je vous avais prévenus : les îles exercent sur moi un pouvoir d’attraction un peu sorcier.

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