mercredi 6 janvier 2010

Neige


J'avais pris le train au matin et il faisait encore nuit. La lune honorait la Seine d'un disque parfait abandonnant son reflet glacé sur la peau épaisse du fleuve. Je n'avais dormi que quelques heures. Le hall de la gare semblait épuisé, lui-aussi. Discipliné - ou simplement prudent ? - j'étais monté dans le wagon dont le numéro était inscrit sur mon billet. Je m'étais assis bien calé sur un siège du fond, presque allongé. Quand le train est parti j'ai placé mon manteau par dessus ma tête de telle sorte que j'étais comme dans un minuscule abri obscur. J'avais l'impression de pouvoir me faire oublier du reste du monde. J'ai senti le train qui vibrait prenant lourdement une vitesse de croisière programmée. Mon corps suivait le rythme des vibrations tourmentées du wagon. Des bruits de frottements métalliques, sourds, équipés d'accents plus ou moins aigus, parvenaient à se glisser sous le manteau, au cœur du nid. Je maintenais mes yeux ouverts pour bien voir ce noir absolu, chaud et bruyant. Je savais qu'il faisait froid dehors. Cette idée m'était extrêmement agréable. Çà pouvait être une idée détestable. J'aurais aimé observer longtemps cette obscurité délicieusement tiède. Je savais que dehors c'était le vacarme des aciers, et les gifles du vent. C'était un bonheur supplémentaire. Il n'y avait presque personne dans le wagon. c'était une victoire. Et puis je me suis endormi. Profondément. Quand je me suis réveillé, tout était encore parfaitement en place : l'obscurité, le froid imaginé, le vacarme légèrement feutré du dehors. J'ai soulevé mon manteau. Il faisait jour. Un jour d'une blancheur d'hostie. La campagne - nous étions en pleine campagne - disparaissait, trouillarde, sous la neige. Nous doublions à grande vitesse des colonnes de pylônes dressés comme des patrouilles inquiétantes, pétrifiées ; leurs pieds absents dans l'écume immaculée. Parfois le train longeait un épais mur végétal surchargé de poudre glacée. Le souffle du vent faisait alors se lever comme un voile de mariée qui confondait le spectacle.

2 commentaires:

  1. C'est vrai que les sensations que l'on éprouve dans un train sont souvent magiques. Comme toi, j'ai des souvenirs de train plein la tête. D'un côté il y a comme un retour à l'état de foetus dans le giron maternel, de l'autre il y a la rythmique du coeur qui bat la mesure et qui résonne en nous, comme dans un blues rapide. Et puis il y a cette sensation de traverser l'espace, on est dedans, sans toutefois l'être vraiment, un peu comme au cinéma mais à la puissance 10. Il y a vraiment beaucoup à dire sur les trains, en particulier sur les trains de nuit. Merci d'avoir évoqué ce thème.

    RépondreSupprimer
  2. Quel cachotier ce Gérard ! Alors, toi aussi ? Dans les trains de nuit ?

    RépondreSupprimer