dimanche 24 janvier 2010

En voiture Simone !

Une femme d'un certain âge (environ le mien !) vient s'asseoir à sa place qui se trouve être à côté de celle que j'occupe - mais qui n'est pas la mienne - dans un train de samedi matin qui sent le sommeil et la nuit courte. Il est possible que j'usurpe précisément sa place. Elle s'aperçoit de mon interrogation muette. Il n'en est rien, mais cet échange bref suffit à donner un prétexte pour engager la conversation entre deux inconnus. C'est elle qui s'engage. J'apprends entre deux arrêts un nombre très important de choses sur sa vie. J'en livre un peu, bien entendu.
Elle est d'origine espagnol. Habite dans cette ville de la Mayenne, seule, la semaine. Depuis 17 ans. 17 années qui lui ont permis d'élever ses enfants. 2 filles. Une est assistante sociale et l'autre esthéticienne à domicile. La seconde a du monter à Paris car dans cette ville de province elle n'aurait pas trouvé de travail. Son mari vit à Paris. Un petit appartement en location. Ils se retrouvent chaque week-end ; une fois c'est elle qui "monte", une fois c'est lui qui "descend". Il est patron d'une petite entreprise de fret routier. Quelques camions qui sillonnent l'Europe. Elle, elle n'a jamais voulu venir vivre à Paris. Surement pas ! Et puis mon mari, quand il revient, il est au milieu des arbres et des vaches. Il est content. Une petite entreprise c'est mieux par rapport à la crise. Mais c'est vrai, les camions, mon mari il dit qu'on pourrait faire mieux vis-à-vis de l'environnement : le fluvial, il n'y a presque plus rien, et puis par le train, on amènerait les containers sur les trains, et même par la mer ; rien n'est fait. Elle porte un parfum bon marché. Comme c'est le matin, l'odeur est assez forte. Curieusement, les effluves capiteuses se mélangent avec des relents de maison de retraite. Je dis ça un peu brutalement, mais c'est l'exacte vérité. Donc, ça y est, nos filles sont casées. Ouf ! Autonomes. Plus de tonnes de linge à laver le week-end. Comme je suis seule maintenant, j'ai pris un petit chien. Un beagle. Vous voyez ce que c'est un beagle ? Oui, c'est bas sur pattes et un peu long (j'ai envie de dire "comme un grosse saucisse", mais je mime simplement la taille avec mes mains), et puis avec des oreilles qui pendent (je mime à nouveau). C'est un chien de chasse, me dit-elle. Quand je monte à Paris, je le laisse à mes parents. Ils habitent tout près. Mais quand il sent que je vais partir il fait le loup. Je lève les sourcils. Oui, le loup. Dès qu'on est absent, il fait le loup. C'est pour les voisins que je lui dis : "arrête de faire le loup, doggy !". Quand on part quelques jours en vacances, on est obligé de le mettre au chenil. Mais il n'aime pas ça. Il perd 2 ou 3 kilos car, au chenil, il ne veut pas manger le matin. A Noël, on est allés à Noirmoutiers. On avait décidé de l'emmener. Il y avait des bois autour de la location. Il partait toute la journée chasser les lapins. On l'entendait aboyer. Il revenait le soir tout fatigué. Mais il était mieux que dans le chenil. Et puis je vais me promener tous les jours avec lui. Comme c'est un chien de chasse il peut faire des promenades de 2H. Vétérinaire ? Votre fils ? Nos voisins sont vétos. Lui fait les gros animaux et elles les chiens et les les chats. En période de vêlage, il est appelé toutes les nuits. Un chat ? Non, je suis allergique. J'ai immédiatement des rougeurs qui apparaissent sur la peau et j'enfle énormément (elle mime qu'elle enfle ; je comprends). Dehors le paysage est voilé par la grisaille d'un matin pluvieux d'hiver. Comme si on avait étendu un immense papier calque sur la campagne. J'aperçois un troupeau de vaches à la robe marron, terre de Sienne. La silhouette d'un taureau majestueux se détache sur fond de prés, de clôtures et de mares. Une compagnie de saules pleureurs se lamente. Le train passe vite ; pas le temps de compatir. Votre fille, elle voyage. Nous à notre époque, on ne partait pas comme ça, mais les jeunes maintenant, pour eux c'est rien. J'ai emmené mon père en avion à Vallaloid l'année dernière. Hop, en 1h30 on était en Espagne. Lui, il me disait qu'il lui fallait près de 15H00 dans le temps pour aller à Vallaloid ! Le papi, il était aux anges ! Je somnole. Je m'assoupis presque. Cette femme est plutôt sympathique. Son visage est normal. Je remarque ses lunettes à montures dorées et ses ongles peints en rouge foncé. Elle a l'air gentille ; trop sans doute pour un mari camionneur, seul toute la semaine à Paris depuis 17 ans. On arrive au Mans. Des maisons à un étage, toutes identiques dans leur configuration de base, mais toutes différentes dans les bricolages accolés aux façades de derrière (celles que l'on voit du train), et l'exploitation anarchique des lopins de jardin qui viennent mourir au pied du ballast. Cette fois je me fais déloger par un homme d'un âge encore plus certain que le mien, avec une belle barbe blanche et un sourire un peu désolé du dérangement qu'il me cause. Je ne lui dis pas qu'il me sauve, en quelque sorte, car ce n'est pas vrai ; il est très probable que ma voisine (mon ex-voisine devrais-je dire) m'aurait livré d'autres secrets : son prénom (Simone), son plat favori (un cake aux olives dont tous les amis raffolent ; Simone, refais nous du cake aux olives !), ses faiblesses (un cors au pied récalcitrant probablement), son aversion des huissiers (ils sont méchants, j'avais un beau-frère huissier), son dégoût des paparazzis qui s'acharnent sur Johnny (on aime ou on n'aime pas, mais c'est quand même un grand Monsieur de la chanson), sa préférence pour Carrefour plutôt qu'Auchan (je vous conseille les démarques), sa télé grand format (mon mari m'a fait installer un home-cinéma pour lui le week-end), le fait que Julien Courbet en rajoute toujours un peu et qu'elle préfère Jean-Pierre Pernot (ah, vous aussi ?), l'architecture ? oui Paris c'est magnifique m'aurait-elle dit et je rêve d'aller à Venise, alors il est probable que, si je ne m'étais pas à nouveau assoupi, j'aurais tenté de faire l'intéressant en lui parlant de Venise...on ne se refait pas !

2 commentaires:

  1. J'ai bien aimé cette image :(Dehors le paysage est voilé par la grisaille d'un matin pluvieux d'hiver)... Comme si on avait étendu un immense papier calque sur la campagne...!

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