vendredi 6 novembre 2009

Variante : Evènements ordinaires d'une journée extraordinaire

- J'ai commencé par rater le train. Je l'ai fait exprès : quand j'ai vu les voitures bondées d'individus louches qui n'étaient pas près à céder leur place, je n'ai pas voulu me retrouver entasser comme dans une cabine d'ascenseur avec des meurtriers en puissance. J'avais déjà donné en quelque sorte (cf infra)
- J'ai donc pris le suivant où il y avait effectivement moins de suspects
- J'ai lu debout quelques pages de Paasilinna en volant (presque) au-dessus de la Seine et du périphérique. Et jusque sur le quai de la gare, dans les escaliers grouillant d'une humanité laborieuse qui avait du se donner le mot : à 8H30, tous dans les escaliers de la gare St Lazare. Quelle idée ! Et puis même dans les escaliers mécaniques qui vous acheminent à bon port comme un produit manufacturé sur le tapis de l'usine de production. Et puis enfin sur le strapontin de la ligne de métro automatique qui vous propulse à des kilomètres à l'heure dans les entrailles de la terre sans que personne n'y trouve à redire.
- J'ai finalement relevé les yeux de mon livre quand la bande des pilleurs de tombes revenait au grand galop sur le lac glacé. Le soleil tentait de se frayer un chemin entre les accessoires urbains et les individus louches. Une odeur de macaronis brulés avait envahi la galerie commerciale ; mais c'était plus agréable que l'odeur d'urine frelatée qui m'avait cueillie au sommet de l'escalator
- J'ai enfilé des réunions comme d'autres des perles
- J'ai consulté mes mails ; aucun ne me vantait les mérites d'un allongement de la bite et ça m'a plutôt réconforté
- J'ai fait un tour dans les étages en fin de matinée et j'ai surpris des groupes d'employés en train de s'arsouiller dans tous les coins ; normal, c'était vendredi et tout le monde sait qu'en France, le vendredi après-midi, il y a deux sortes d'employés : les supérieurs qui ont une réunion de travail impérative sur un parcours de golf et les autres (et il faut bien qu'ils se consolent)
- Je suis allé déjeuner avec un couple d'architectes jeunes, sympathiques et très excités ; l'homme ne cessait de se frotter convulsivement le dessus de la main gauche avec la paume de la main droite, comme s'il avait pris sa main gauche pour ses chaussures du dimanche ; évidemment, ça lui posait des problèmes pour manger ; on a d'ailleurs du attendre qu'il ait fini de cirer sa main gauche pour commencer ; c'était pas malin : les quenelles étaient froides !
- Quand je suis sorti, les pavés des trottoirs étaient toujours en place, et je n'ai rien remarqué de particulier sauf peut-être qu'ils étaient lisses, de tailles semblables et parfaitement bien assemblés (les pavés) ; ce que tout le monde ne remarque pas, je tiens à le signaler !
- J'ai acheté Le Monde afin de disposer des dernières nouvelles des crimes de l'Humanité ; accessoirement de la chronique gastronomique et de la rubrique nécrologique
- Quand je suis revenu dans la tour (car je travaille dans une tour), je me suis enduit les mains, le visage et la moitié du corps de la substance alcoolisée que les patrons ont installée dans les halls afin que le virus de la grippe H1N1 ne monte pas dans les étages
- En entrant dans l'ascenseur, je me suis regardé dans la glace et comme j'étais seul je me suis dit tout haut : "qu'est-ce que t'as vieilli mon vieux !" ; et le miroir, comme dans Blanche-Neige, m'a répondu tout bas : "Mais tu as de beaux restes, tu sais !"
- Dans l'après-midi, plusieurs de mes collaborateurs ont défilé dans mon bureau croyant sans doute qu'ils parviendraient à me soutirer un bon conseil ; j'ai tenu bon. Ce serait quand même trop facile !
- Des mails, encore des mails, toujours des mails ; alors j'ai vu une icône sur le bas de mon écran qui ressemblait à une poubelle et j'ai précipité tous ces mails dans les flammes de l'enfer avec un rire sardonique
- C'est à ce moment précis que mon écran a pris feu ; en quelques secondes des flammes gigantesques se sont échappées de mon ordinateur accompagnées d'une fumée épaisse et goudronneuse
- A l'étage, ils ont pensé que je faisais des merguez et que je prenais beaucoup de liberté avec le règlement, mais comme je suis le chef, personne n'a osé broncher
- Pendant que mes collaborateurs médisaient sur moi, j'enfilais mes chaussettes, puis mes chaussures (dans cet ordre là), saisissais mon famous blue raincoat, décrochais les cadres de ma femme, mes enfants, ma grand-mère et mes petits neveux (la fibre familiale !), et m'enfuyais de ce maudit étage.
- Bien entendu mes collaborateurs, toujours aussi médisants, pensèrent que je partais précipitamment en réunion de travail au golf
- quelques minutes plus tard, au moment précis où je m'engouffrais dans les ouvertures béantes du métro parisien, je jetais un dernier regard par-dessus mon épaule et je constatais alors qu'un niveau entier de la tour était en train de brûler et que, déjà, des collaborateurs impatients et un peu exubérants se jetaient par la fenêtre
- Puis il y eu une énorme explosion et l'ensemble de la tour fut pulvérisée dans l'espace
- Je ne suis pas curieux de nature, mais là j'ai quand même stoppé ma marche vers les profondeurs du métropolitain pour contempler le spectacle
- Je dois dire que le plus amusant, c'était les gars qui s'agrippaient aux bras de leur fauteuil et qui effectuaient une parabole magnifique avant de s'écraser sur le macadam
- Certains rebondissaient sur les lampadaires en fin de course, ce qui leur valait deux points de pénalités
- Des esthètes tentaient un amérissage sur la Seine
- Certains râleurs dans la foule qui maintenant avait envahi le boulevard, ont regretté qu'il n'y ait pas de bouquet final ; un perspicace a prétendu que c'était en raison de la crise
- J'allais me laisser absorber par la gueule béante du réseau de transport collectif quand mon réveil sonna ; ça sentait effectivement le brûlé, mais c'était l'odeur croustillante du pain grillé ; quelqu'un était donc déjà levé

2 commentaires:

  1. Je n'ai jamais essayé le jeu du rebond sur lampadaire, mais ça doit être génial. Bravo pour ta prose !
    Ton fidèle lecteur G.

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  2. Si t'essayes, tu nous préviens !

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