jeudi 5 novembre 2009

Evènements extraordinaires d'une journée ordinaire

- J'ai été bloqué plus de 20' ce matin dans une minuscule cabine d'ascenseur avec 12 autres otages avant qu'une aide extérieure se manifeste et nous libère d'une promiscuité angoissante ; d'autant que j'avais été le dernier à m'introduire dans l'appareil élévateur. Pour ce forfait, je me suis cru obligé de brasser l'air au-dessus des têtes circonspectes avec un magazine de promotion immobilière dont la deuxième de couverture affichait sans honte un vilain pastiche Gaudien en mal de location. J'ai même poussé la pénitence jusqu'à sortir mon IPhone et enclencher "Aqualung" de Jethro Tull. Mais j'ai senti que j'en faisais trop. Nous étions 5 femmes et 8 hommes, probablement de confessions et d'origines diverses ; mais il s'agit là d'une simple supputation de ma part. Ce qui est certain, c'est que nous étions un échantillon d'humanité. Nous étions tous propres, et que je sache, personne n'a paru être incontinent. Ca aurait donc pu être pire !
- J'ai été conduit par un ami dans une Jaguar V8, intérieur cuir beige et loupe d'orme panoramique (feulement intérieur de la mécanique bien sûr), jusqu'à la station Alma-Marceau où j'ai pris le métro, comme un prolo, jusqu'à Richelieu-Drouot (ce qui aurait pu constituer le début d'une chanson à succès).
- J'ai admiré la corniche du plafond d'une grande salle de jeu 19ème un peu décatie, et remarqué l'inquiétude des figures de stucs et des blasons épiques évoquant les tropiques et la franc-maçonnerie (ou l'inverse) qui en ornent le périmètre, face à la menace d'une modernité annoncée dont les représentants fêtaient l'assaut imminent, autour d'un buffet de petits-fours en sursis (n'ai pas vu les salons très privés de ces messieurs)
- J'ai semé le doute dans le cerveau d'un jeune entrepreneur prêt à se laisser désabuser, comme un fruit trop jeune et trop mûr à la fois
- J'ai lu, copié, collé, supprimé, transféré, enregistré, classé, annoté 72 mails que je n'avais pas encore lus, copiés, collés, supprimés, transférés, enregistrés, classés ou annotés
- J'ai reçu un Monsieur très distingué (cravate rouge, veste pieds-de-poule et mocassins à glands) aux mains calleuses et aux ongles imprécis qui venait me vanter tout l'intérêt que nous aurions à participer à l'opération de conception, à Erévan en Arménie, du siège social d'une banque dont il imaginait déjà parfaitement la silhouette : un cylindre central en verre distribuant trois ailes coiffées de toitures en pente jusqu'au sol, à la façon curieuse des églises du coin (m'a-t-il dit)
- J'ai retenu de cet entretien que des choses passionnantes : que l'Arménie avait été l'un des tous premiers (le 1er ?) pays à être christianisé et à édifier des églises (les mêmes qui ont des sortes de chapeaux pointus) dès le 3ème siècle ap. JC ; que la frontière avec la Turquie était gardée par des troupes soviétiques (ça ne coutait rien aux arméniens) ; qu'au Nord, c'était l'Azerbaidjan (à vérifier), un autre ennemi juré de l'Arménie ; qu'à l'Est c'était l'Iran et qu'il était probable que les iraniens se doteraient de la bombe nucléaire grâce aux arméniens puisque qu'une centrale iranienne était à 30 km à l'intérieur du territoire arménien (ai-je bien compris ?) ; qu'en tout état de cause, nous devrions prévoir de construire l'édifice bancaire en question à partir de matériau du cru (CQFD)
- J'ai pris un petit café amer (ce qui n'a rien d'extraordinaire)
- J'ai à nouveau lu, copié, collé, supprimé, transféré, enregistré, classé, annoté les 25 nouveaux mails qui avaient profité de mon cours de géographie politique pour s'insinuer dans ma boîte électronique
- J'ai pris le métro jusqu'à St Paul ; une nuit humide et douce s'était emparée de la ville comme une rumeur, et j'ai remonté (descendu ?) la rue des Rosiers en croisant un couple de juifs traditionnels (intégristes ?), en découvrant la boutique qui vend prétendument le meilleur falafel du monde (mais pourquoi mentiraient-ils ?), et en finissant mon trajet à la Maison de l'architecture
- J'ai rencontré des personnes que je connaissais et qui (par chance ?) me connaissaient aussi ; nous avons échangé des certitudes, et puis des doutes aussi (c'est nouveau)
- J'ai du m'excuser auprès d'un certain nombre d'entre elles de devoir repartir si rapidement au prétexte que ... et, c'est certain, tout le monde ou presque a du me regretter
- En sortant j'ai croisé un homme qui venait d'arriver dont le dos était appuyé contre le mur, et ses mains posées sur deux cannes. Il était architecte et photographe. Il était, car il n'exerce plus, ne peut plus exercer ; il est atteint d'une très grave maladie dégénérative. Nous nous étions rencontrés il y a deux ans dans mon bureau, je voulais lui confier un reportage photographique, il m'avait appris ce qu'était une "nuit américaine". Il était "trop cher" ; mais à y réfléchir, nous ne le méritions certainement pas. Nous nous sommes revus, il y a quelques mois. Il avait déjà ces terribles accessoires et l'on devinait l'atrophie d'un de ses membres inférieurs dans le flottement de la jambe de son pantalon. Il a un visage que je trouve beau et des yeux attentifs qui vous sourient. Sa bouche aussi sourit. J'aurais aimé connaître cet homme plus tôt, il y plusieurs années ; nous aurions été amis, c'est certain. Aujourd'hui le fossé n'est-il pas trop large ? Est-ce trop tard ?

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