mardi 31 mars 2009

Au pays


Le dernier roman de Tahar Ben Jelloun nous introduit dans l'univers d'un émigré d'origine marocaine, Mohamed, venu en France en 1962, un peu par hasard, pour travailler aux usines Renault. Mohamed est musulman, pieux sans être intégriste. Sa femme (ils ont été mariés à 15 ans et ils sont cousins) l'a rejoint et lui a donné 5 ou 6 enfants avec lesquels il n'a jamais vraiment eu de relations paternelles : départ pour l'usine tôt le matin, fatigue du soir. Et puis, les épanchements ne sont pas dans la nature de Mohamed ; pas dans sa culture de laisser transparaître ses sentiments. Sa vie aurait du être celle que ses parents avant lui ont connue ; réglée sur le devoir, le respect (de la religion, du père), la fatalité. Mais ce voyage en "Lafrance", cette vie sur une terre étrangère qui finit par lui arracher ses enfants en les intégrant, sera toujours une sorte d'exil. Sa vie, la vraie, est au bled. Il sait pourtant qu'"au pays", ce n'est pas le paradis et que, par exemple, il ne sera pas soigné dans des hôpitaux gratuits, que la corruption existe, que les villageois se jalousent, etc. ...
Et puis "lentraite" arrive ; à 60 ans. Alors que pour tous ceux qui ont eu le même parcours que Mohamed, c'est enfin la possibilité de prendre un repos bien mérité, pour lui, c'est une nouvelle fracture. Sa vie était jusque là réglée sur le travail - bien fait -, la prière, les rites familiaux - même si la famille s'était réduite avec le temps et le départ des enfants, détournés par la "Lafrance". "Lentraite", c'est un jour le départ au pays avec un rêve...
Tahar Ben Jelloun utilise un vocabulaire simple, alternant phrases courtes et phrases longues, ces dernières coorespondant très souvent à la description des sensations qui habitent ou que perçoit Mohamed ; celles de son univers ou celle du monde de "Lafrance" qui est "autre", définitivement. De nombreux personnages traversent le roman et composent comme une galerie du regret : Nabile, cet enfant mongolien adopté par Mohamed et qui, seul, lui est fidèle ; Katy, la prostituée marocaine également, devant la roulotte de laquelle les ouvriers font la queue, et puis certains de ses camarades qui trahissent leur culture, d'autres qui finissent abandonnés de tous, alcooliques ; les syndicalistes, les faux imams.
C'est un livre très attachant qui nous aide à comprendre le regard de l'autre, celui de l'émigré. Difficile dorénavant de croiser un maghrébin d'un certain âge sans penser au Mohamed de Tahar Ben Jelloun.
Nota : la traduction du titre de la version italienne (plus courte) était : "Elle l'a tué"

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