Ici on tente de s'exercer à écrire sur l'architecture et les livres (pour l'essentiel). Ça nous arrive aussi de parler d'art et on a quelques humeurs. On poste quelques photos ; celles qu'on aime et des paréidolies. Et c'est évidemment un blog qui rend hommage à l'immense poète et chanteur Léonard Cohen.
mardi 20 janvier 2009
Nord Vietnam
Cette photo est un appat. Elle a été déposée "comme si de rien n'était", au détour d'un blog, avec l'attention perverse d'un Tzaroff, comme une mine antipersonnelle conçue pour être déclenchée par un lecteur naufragé à l'occasion de son passage à proximité. Voici déjà quelques jours que je l'ai identifiée. Comme un fauve attiré par l'odeur d'une proie trop visible, je rode autour avec une certaine méfiance. Je la renifle avec précaution. Je la taquine du regard. Pour l'instant ma prudence m'a épargné l'irréparable. Mais je sais que l'issue est inéluctable, fatale même : le prédateur succombera à la tentation de se saisir de cet appat facile, refermant sur lui le piège diabolique. Mais dans cette parade sauvage, il ne sera pas dit que l'animal ne tente pas, ultimement, une élégance, une sorte de baroud d'honneur, une dernière révérence, dont l'exercice emportera tout ensemble, et sa victoire dérisoire et sa faiblesse assouvie.
A la faveur de la nuit, le fauve s'est emparé de la proie et, autant de l'approche émanait une certaine noblesse, autant la conquête prend des allures de retraite, comme si, le but atteint, la nature authentique de la bête reprenait le dessus, effaçant le masque factice des illusions originelles. Mais observons l'animal se débattre de sa proie :
"Ce paysage, saisi en plongée dans la torpeur tremblante d’une après-midi voilée de soleil, bien qu'apprêté par le galbe fier des champs de riz, maquillé d'ocres sombres et d'angéliques fanées, ne parvient pas à dissimuler la sauvagerie rampante que l’histoire des folies de l’homme a inscrite sur son relief damné : derrière chacun de ses monticules herbeux, chacune de ses fleurs définitivement fauchées, aux extrémités désertées des arbustes timides, se terrent les cicatrices béantes d'un destin pétrifié, nourri des brûlures du napalm, engorgé de bombes au phosphore, jamais rassasié de membres amputés, hier, aujourd’hui, demain et encore plus tard, ici, là, toujours, toujours, et toujours.
Dans l’air épuisé de chaleur, l’écho sinistre des pales des hélicoptères bombardiers raisonne encore, pitoyables et impitoyables, entre les pentes sèches des vallées dréssées comme une camisole.
Dans une cache sous la terre, sous un buisson de tiges séchées, dans l’ombre d’un jour travesti en nuit, le souvenir absent d’une famille torturée.
Et puis la Conscience, l’indicible et tortionnaire Conscience du bien qui suinte de ces anfractuosités maudites comme les résidus bitumineux d’une terre définitivement polluée.
Nord Vietnam, autre terre de toutes les souffrances, terre qui peuple le cortège des terres abandonnées des dieux, terre de misère et de beauté, terre des longs cils noirs posés sur le regard des femmes désirées, terre des silhouettes pressées sautillant au rythme comique du balancier, terre des buffles luisant d’eau et de lumière, terre d’une aube peuplée de cris, terre du soleil qui s’immole sur les rochers d’Along, terre de la longue pirogue qui fuit sur l’onde muette, terre de l’oubli et du pardon."
Le fauve disparait dans les buissons. Le chasseur s'est assoupi. Nul ne vit la conquête. Le monde entier peut contempler le larçin.
Cadel Ubbale
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Ce qui me fascine dans ce pays, c'est cette juxtaposition permanente entre la tragédie et la candeur. Il y a la surface et la profondeur. Tout le Vietnam est là!
RépondreSupprimerDerrière les sourires, il y a eu d'atroces souffrances. Mais ces souffrances ne sont pas exposées, elles constituent le socle d'une force intérieure extraordinaire.
Qu'on passe en les ignorant, ou qu'on ait une conscience aigüe de ce qui s'est passé, cela ne change rien pour un Vietnamien. Ce qui compte c'est le présent et comment on va s'en sortir aujourd'hui. Le passé, les souvenirs terribles, ça fait partie de la sphère intime... (ou de la propagande officielle). C'est ce que j'ai cru apprendre au contact de certains d'entre eux. Comme tu l'as senti ce paysage exprime cela.
La fleur de lotus nait dans la vase infecte des étangs et sa beauté éclate à l'air pur.
C'est effectivement une chose qui nous avait troublé : le pardon des vietnamiens vis à vis de leurs anciens bourreaux ! Belle leçon.
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