dimanche 18 janvier 2009

Ibos et Vitart



Un texte à paraître dans '"l'Ingénieur Constructeur" sur la médiathèque André Malraux à Strasbourg des architectes : Myrto VITART et Jean-Marc IBOS

Dans une précédente chronique consacrée à Strasbourg, j’avais écrit : « la médiathèque d’Ibos & Vitart actuellement en fin de chantier, devrait marquer la production architecturale 2008.
Outre le dessin des façades qui, dans la production de l’agence, est toujours d’une très grande précision et d’une simplicité apparente qui rime avec élégance, le travail des bétons à l’intérieur du bâtiment - poteaux-champignons et empreintes des planchettes de bois sur la matière - est d’une beauté irréfutable."

Une année plus tard (septembre 2008), le bâtiment achevé tient toutes ses promesses, et l’ancien entrepôt Seegmuller peut être fier de sa reconversion en un lieu de culture pour tous, riche de 250.000 livres et de 160.000 références directement accessibles, mais riche également sur le plan architectural, tant dans l’intelligence de la relation à la mémoire du lieu que dans l’écriture contemporaine des nouveaux espaces.

Un peu d’histoire.
Comme le rappelle un texte inscrit sur la façade de l'entrée principale, c'est en 1902 que la société Seegmuller s'est implantée sur le Bassin d'Austerlitz, ancien Port de la Porte des Bouchers. En 1932, les architectes Umbdensbock et Weber réalisent un ensemble de bâtiments industriels sur ce qui est dénommé le "môle Seegmuller". L'activité de la société, qui dispose d'une flotte de chalands rhénans et de péniches de canal, cessera en 2000.

Une halle « lavée de son pittoresque »
C'est le bâtiment situé à l'extrémité du môle doté d'un silo à grains en guise de proue et d'un corps principal à usage d'entreposage des céréales, qui a été investi par les architectes Ibos & Vitart, dont le travail ingénieux de restructuration et d'extension a permis, tout en offrant le double de surface*, de préserver l’esprit de cette architecture « vertueuse » dont on perçoit, par le dessin d’une modénature précise et plein de retenue, ou l’utilisation de matériaux ordinaires - briques et bétons massifs - l'affirmation d'une vocation inudstrieuse.

Sur la très haute façade d’entrée, l'intervention des architectes s'est voulue minimale : quelques retouches de détail sur des ouvertures en partie basse et le choix d'une mise en couleur argentée de la totalité de la surface, comme une toile donnée au graphiste Ruedi Baur pour y imprimer les premiers textes d’un dialogue original entre littérature et architecture.

Pour reprendre l’expression des architectes, la halle de jadis a été « lavée de son pittoresque » (le remplissage en brique des longs pans), afin de ne conserver que l’essentiel et apporter un maximum de lumière jusqu’au cœur du bâtiment dont la profondeur est supérieure à 20 mètres.
La partie centrale (les entrepôts) a été rehaussée de 3 niveaux et allongée dans sa longueur ; cette extension restant dans l’alignement d’origine des façades, les planchers existants donnant le « tempo » des planchers nouveaux.
Tout le projet s’organise selon un process simple : le public entre par une extrémité et les livres par une autre ; entre les deux volumes d’extrémité, se situent les plateaux libres de lecture, lieux de rencontre entre le lecteur et le livre.

Un ruban rouge : fil d’Ariane ou dispositif freudien ?
Passé le sas d’entrée, le visiteur est immédiatement saisi par la beauté de l’espace dans lequel il se trouve : au-dessus de lui et sur une trentaine de mètres de hauteur, le volume évidé, pur, de l’ancien silo à grains, chaque étage étant souligné par une simple façade de verre toute hauteur laissant pénétrer la lumière et deviner l’activité des plateaux ; devant lui la perspective parfaitement réglée, sérielle, du grand espace public (accueil, cafeteria, consultation) zébré d’un ruban rouge qui contamine avec impertinence toutes les surfaces placées sur son parcours aléatoire.

Ce ruban, dont le cheminement a été créé au sein de l’agence elle-même, contribue à donner une unité à la médiathèque, à tisser le lien entre les espaces restructurés et la partie neuve, mais aussi à rompre avec fantaisie la raideur toute fonctionnelle d’un espace originel tramé, mathématique, sévère.

Dans les étages, plusieurs lieux sont remarquables.
Tout d’abord les salles de lecture de la partie ancienne : l’alignement des piliers massifs en béton coiffés de chapiteaux trapézoïdaux, avec leur peau grossière marquée des veines des planchettes bois du coffrage, confère à ces espaces une beauté archaïque ; la hauteur libre relativement faible, le dépouillement des surfaces (il n’y a pas de faux-plafonds et les sols sont en béton avec juste une résine), le réglage précis (quasi maniaque) des réseaux, la perception silencieuse de l’eau qui borde le bâtiment, tout concoure à apporter une impression de calme propice à la lecture.
Sur deux niveaux, on trouve dans la partie neuve d’autres salles de lecture, lumineuses, parcourues des reflets de couleur du ruban rouge, et des paillettes dorées du sol de la salle du patrimoine installée dans un écrin de verre, comme un élément précieux au centre du dispositif.


Le soin apporté aux détails est omniprésent : les réservations dans les poutres béton semblent tracées au laser, les modules rectangulaires des châssis de façade ont été calepinés afin de ne jamais laisser voir les rattrapages de trame obligés d’une intervention dans l’existant, le dessin des raidisseurs de la double peau en inox poli miroir tient de l’orfèvrerie, jusqu’aux courbures des fils d’alimentation des plafonniers, dont la petite histoire retiendra que l’indication donnée aux ouvriers fut de copier sur la silhouette particulièrement galbée d’un mannequin célèbre…Les ouvrants pompiers ont été étudiés afin de se confondre parfaitement dans la trame de façade.

Au centre du bâtiment, à la jonction entre la partie restructurée et la partie neuve, les architectes ont installé les distributions verticales dans une mise en scène orchestrée par un « Chambord » métallique qui permet à cette trémie d’être très lumineuse.

Dans la médiathèque d’Ibos & Vitart, la technique et l’architecture ne se combattent pas ; elles s'épousent même, un peu comme pour le rouge et le noir de la chanson de Jacques Brel.


Un mot sur la signalétique et l’œuvre graphique de Ruedi Baur. Difficile de ne pas la remarquer tant elle est présente, contribuant à rappeler la mémoire d’un lieu assez fortement tagué avant sa rénovation, mais aussi respectant le mot d’ordre des architectes : «l’idée de la signalétique, c’est qu’elle ne constitue pas un élément intermédiaire ; tout doit appartenir à l’architecture ». Ruedi Baur a répondu avec zèle à cette contrainte, multipliant au sol, sur les murs ou sur les poteaux, des morceaux de textes dont sont extraits et mis en évidence les mots nécessaires à la signalétique, tandis que le reste de la phrase est en second plan, les lettres partiellement effacées.

Parmi ces textes, une citation inscrite sur un antique cadran solaire que je vous livre en guise de méditation : Tenere non potes, potes non perdere diem**. »


* 18.000 m2 SHON pour un coût travaux de 64 millions d’Euros HT

** « Tu ne peux retenir ce jour, mais tu peux ne pas le perdre. »

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