mardi 21 février 2012

Cette année je me prends au mot et j'écris ! (8)

Le Post-it du jour :
"Chaque jour est exceptionnel.
Plus d'idées noires.
Je tourne la page."

"Chaque jour est exceptionnel" Je ne sais pas qui a écrit cette première connerie. D'ailleurs, il n'a pas signé. Pas fou le bougre ! Mamadou s'est levé ce matin à 3H30. Comme tous les matins depuis qu'il a débarqué dans notre-beau-pays-la-France, il y a 4 ans, après avoir voyagé sur plus de 7000 km dans des conditions (exceptionnelles), traversé huit pays, versé plus de 6000 € à des crapules (ordinaires). Il s'apprête à emprunter notre réseau de transport en commun (exceptionnel) pendant 2H et 15 mn. Changer 3 fois et marcher encore à peu près 20 mn. Mamadou est mousse. Non, pas sur un paquebot de croisière qui risquerait d'aller se vautrer sur les rochers d'une côte sur laquelle il a accosté jadis à bord d'une coquille de noix, avec 30 personnes à bord (et à peu près le même nombre de disparus). Mousse sur un chantier. C'est à dire homme à tout faire, et en particulier :
- le barbecue de midi avec les planches en bois des anciens coffrages, dans le fût scié en deux dans le sens de la longueur ;
- les courses pour les uns et les autres à l'arabe du coin ;
- l'achat des packs de Kro pour les non musulmans ;
- le nettoyage des chiottes éternellement dégueulasses ;
- le nettoyage de la salle de réunions (ça c'est pas un problème) ;
- le balayage devant l'entrée ;
Parfois il donne un coup de mains à l'homme-trafic (celui qui guide les toupies ou les semis pour entrer dans le chantier), mais c'est exceptionnel.
Mamadou n'a pas à se plaindre car tout le monde l'aime bien. Jusqu'au "Grand Chef", celui qui vient pour les grandes occasions. Toujours en arrivant il le prend par le coude avec un grand sourire en lui disant devant les autres chefs (qui le suivent) : "Ça va Mamadou ? T'es bien avec nous, Mamadou ? C'est un joli prénom, Mamadou !"
Mais voilà que le chef du syndicat lui a dit que le mousse s'était fini. Hygiène, risques, plus de bières sur les chantier, la Cramif, les inspecteurs, etc. Alors Mamadou s'est levé quand même ce matin à 3H30, mais il sait que ce lundi est un jour exceptionnel car il ne sera plus le mousse. Il va quand même aller devant l'entrepôt à Saint-Denis attendre, avec une cinquantaine d'autres, un boulot pour la journée. Il y a toujours des cuves à curer, des maisons à déménager, des marchandises à transporter, des hangars à vider, des autres à ranger. Une journée exceptionnelle, quoi !

Des idées noires, Mamadou, il peut pas ne pas en avoir. Tout est noir chez lui, sauf le fond de son œil, tout blanc.  Alors plus d'idées noires, ce serait plus de Mamadou du tout. Mais les idées noires de Mamadou, ce ne sont pas nos "idées noires" à nous. Pas le temps pour celles-la. Trop fatigué. Pas le temps de penser à sa cousine qui était belle même si elle boitait, et qui est restée au village. Son père est aveugle à présent. C'est un cousin qu'il a retrouvé dans un foyer qui lui a dit ; et puis aussi que sa mère était morte. Alors il n'y a pas d'idées noires avec le billet de 20€ glissé chaque début de mois dans l'enveloppe qui ne parviendra peut-être jamais jusqu'au village.

"Je tourne la page". Encore une connerie. Croire que c'est toi qui tourne la page ! La page, elle tourne toute seule, bougre d'âne ! Et plus vite que tu ne le voudrais ! Et parfois, quand tu roupilles un peu, tu te rends compte que c'est pas une page, mais un chapitre entier qui est tourné.

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