7h30, ma baguette sous le bras, je me dirige vers le kiosque. Je sais que 7h30 est l’heure d’ouverture. D’ailleurs une table et des chaises sont déjà installées sur le parvis et un homme, debout près d’elles, est en train de boire un café dans un gobelet en carton. Nul doute : le café provient de notre passeur.
J’entre par l’entrée donnant dans le hall de la gare et Jean-Michel en m’apercevant : « Tu reviens de l’Ile de Ré, toi ? Y’avait du vent ! », me signifiant qu’il a deviné que je sortais du lit (à moins que ça ne soit qu’un acces de jalousie car côté cheveux, notre passeur, repassera…).
« Et tu repars quand ? » Quand je vous dis que Jean-Michel est aimable ! Seulement, le gusse qui prend ça au 1er degré, il a de quoi penser que le libraire est peu sympathique. « Jeudi. Jeudi, je descends pour les obsèques de mon frère ainé. Dans le Sud, sur la Côte d’Azur. » Un infarctus dit « silencieux ». Pour ceux que ça intéresse : voir Wikipedia.
« Ici, rien. Juste un ado perché sur le toit avec un fusil et qui tentait d’abattre des pigeons », me répond-Jean-Michel à la question : « Et ici, quoi de neuf ? »
Il rajoute : « Alors : tu es tombé sous le charme de Marc Lévy ?
- Pas vraiment, mais c’est un type intelligent
- Pour vendre ses livres
- Pas seulement. Tout ce qu’il touche, il le transforme en or. Tiens, ton kiosque : il en devient le manager et il multiplie par 3 la surface de vente et les recettes. Après le documentaire « 20 jours à Marioupol », il a été interviewé. Ça a pris un peu des allures de tribune politique. Melenchon et l’extrême-droite en ont pris un maximum.
- Il est devenu le BHL de l’Ukraine ?
- Pas impossible. J’ai toujours pensé qu’il se lasserait de son succès d’écrivain et qu’il passerait au cinéma. Je me suis trompé, il est resté dans la production de livres, mais ce ne serait pas impossible qu’il endosse l’habit de BHL.
- Il a la réputation de ne pas être sympathique avec les libraires et de venir vérifier si ses livres sont exposés de façon correcte.
Une dame d’un certain âge est venue acheter son magazine télé. Elle a un petit look de randonneuse. Son surnom : « Mme Gloasguen ». La discussion part sur le fondateur du Guide du Routard.
« Il était copain avec mon ancien DG, Louis de Rostolan. On en a bouffé du Guide du Routard ! Il fallait faire des campagnes de pub tous les quatre matins ! De Rostolan ne serrait pas les mains, il les tapotait. Philippe Delherme, je l’ai eu comme client. Très sympa. Sa femme venait vérifier si on avait mis les livres de son mari bien en évidence.
Une cliente entre. Jean-Michel la connaît bien. Elle est de Gauche.
- Alors, le Front populaire ? lui demande-t-il.
- Navrant ! On dirait qu’ils veulent se saborder
- Et ta fille ?
- Elle a envie de tout foutre en l’air, la révolution ! Elle est révolutionnaire, antifa, … on a peur pour elle parfois…
Normal, je dis : pas évident d’être antifa, mais si j’avais 20 ans, j’aimerais avoir ce courage. Elle connaît le Saint-Sauveur ? Oui, mais elle n’y va pas.
On poursuit, JM et moi, par des considérations sur le contexte politique, la « stratégie » de Macron, l’explosion probable du NFP où tout du moins de la scission d’avec les mélenchonistes, Attal qui prend son autonomie, les types de droite qui se bouffent le nez et se positionnent pour 2027, de Villepin qui juge que c’est un « bâton merdeux » ce poste de 1er ministre, de Villepin qui roule à gauche, comme Toubon ; des gars qui se bonifient en vieillissant (rares), …
J’ai regardé un instant son présentoir à BD. J’ai dit à Jean-Michel qu’il lui en manquait une, remarquable qui parlait des nuisances de la finance. Je prendrai en photo la couverture et lui enverrai (Il s’agit, pour les intéressés de : « La machine à détruire - Pourquoi faut-il en finir avec la finance ? »).
Il m’a dit qu’un des habitués du parvis possédait 5000 BD qu’il entreposait dans son sous-sol. Il lui en parlerait.
Et au fait : quel temps il va faire aujourd’hui ?
Pas terrible, il va pleuvoir, pronostique notre passeur.
Il est temps de ramener ma baguette à la maison. Une baguette croustillante (comme toujours à Becon), du beurre et de la confiture, le tout tremper dans un café expresso : une félicité !
C’est bien ainsi que les hommes vivent.
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