Tout a commencé ce matin par un débat sur le mot « compliqué ». Évidemment, Jean-Michel, mon passeur, est une nouvelle fois à l’origine de ce qui fut une (très) belle rencontre.
« Bonjour mon oiseau des îles ! » (n’a-t-il pas même parlé de « colibri », ou je brode ?). Il ajoute à mon intention : et une bretonne ! La vraie Bretagne, dit-elle, celle du Finistère. Et l’île ? Ouessant.
Objection de ma part sur la « vraie Bretagne » : et les Côtes d’Armor ? Oh, les Côtes d’Armor, les maisons d’architecte… , dit la jolie jeune femme en mimant la minauderie. JM : attention, il est architecte ! Vous êtes architecte ? me demande-t-elle. Non, mais j’ai beaucoup travaillé avec des architectes. Et puis, il est l’auteur de ça (JM sort la casquette d’agent littéraire et montre le recueil « Apprentissage » qui trône toujours devant la caisse), et puis de ce livre aussi (il saisit un « Abuelo » en ajoutant : et ça se passe à Brehat !).
Elle avoue qu’elle serait plus sensible au roman qu’à la poésie. Je fais l’intéressant en citant Odysseas Elitis (Poète grec et Prix Nobel de littérature) : « La poésie ne sert à rien qu’à vivre en pleine lucidité. » Et bien, vous voyez : je suis lucide, me dit-elle. Je lui dit que je peux comprendre car la poésie (et voilà le déclencheur) c’est « compliqué ».
Je n’aime pas le mot « compliqué », dit-elle, d’un ton vif. Elle s’explique (je traduis) : « Qualifier quelque chose de « compliqué », c’est souvent instaurer une certaine distance entre la chose et la personne afin de faire croire à cette dernière qu’elle n’est pas au niveau. »
Je comprends, mais certaines œuvres par exemple - en peinture contemporaine, ou en poésie - nécessitent un apprentissage, une initiation minimale. Cependant, je crois que certains auteurs se réfugient derrière un discours abscons pour cacher la vacuité de leur propos. Et si on les juge ainsi, c’est que, évidemment, on est trop c.. .
Elle fait un métier « compliqué » dans lequel elle s’efforce de rendre les choses simples, quand nombre de ses collègues persistent à les rendre inintelligibles pour le « non-sachant ». C’est la posture que je reproche à certains architectes qui ont besoin de ce piédestal pour exister. Mais de quel métier s’agit-il ? Fiscaliste. Fichtre ! Le gauchiste que je suis associe immédiatement le terme à « optimisation fiscale », voire « fraude fiscale ». Elle avoue (en plus elle est honnête ! Diable…) qu’elle a pratiqué un temps cet exercice consistant à utiliser les failles de la loi, mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Jolie, honnête, sage. Diable ! (Répétition).
Nous venons à parler de littérature et, plus exactement, de l’incidence de l’espace dans lequel se trouve le lecteur sur son intérêt pour le livre. Pour elle, le lieu ou la position sont importants. Elle prend l’exemple de la plage. « On lit allongés, avec l’horizon de la mer. Quand un livre m’ennuie, je peux y retrouver de l’intérêt si je choisis un autre lieu. » J’apprends qu’elle n’est pas très « plagisme » et qu’à la mer, elle se baigne et puis quitte rapidement la plage (sauf peut-être si elle a un bon livre).
Je lui demande son prénom. « Il est double : Anne-Isabelle. » JM la prévient alors que je tiens un blog et qu’elle risque d’y figurer. « Il y a un droit de censure ? », me demande-t-elle. « J’y figure tous les jours ! dit JM.
« Oui, bien sûr, il y a un droit de censure. Je confirme. Son titre : Ce matin au kiosque. »
« Au kiosque ? Mais ce n’est pas un kiosque… dit-elle.
La petite-grande dame de Bécon (« Ginette », traduit JM) le désigne par « le magasin de presse ».
C’est beau, le magasin de presse, dit AI (je viens à l’instant de remarquer que c’est l’acronyme de « Artificial Intelligence », il va falloir que je me méfie…).
Je vérifie si JM n’est pas contrarié quand je le présente comme « kiosquier ». Pas du tout. C’est vrai que j’aime davantage le « Passeur ». AI acquiesce.
Elle m’apprend que le « kiosque » en Côte d’Ivoire, son pays d’origine (celui de son père ? de sa mère ?) avec Ouessant, désigne des petits baraquements aux toits de toile où les ouvriers et les chauffeurs de taxi, ceux qui vont au travail et ceux qui finissent leur nuit, viennent boire un café (lyophilisé avec beaucoup de lait, du lait concentré sucré - « c’est comme ça qu’on boit le café là-bas », précise-t-elle), ou manger des plats avec de la sauce tomate. « Y-a-t-il aussi des « tabliers ? », je lui demande, ces petites roulottes ambulantes où vous pouviez acheter à Ouaga n’importe quoi à l’unité, en particulier les cigarettes. « Bien sûr ! Et, savez-vous qu’on peut même téléphoner ; il y a un portable avec un fil et on paye juste au temps passé. On sait se débrouiller là-bas, et avec l’électricité c’est pareil, on paie avec une carte, comme ça on peut ajuster sa consommation. Pas de gaspillage ! ».
J’évoque « Monogaga », une petite crique, les paillotes et la soirée passée à déguster une langouste qu’un pêcheur était parti nous chercher, qu’il nous avait coupée en deux dans le sens de la longueur et puis fait griller sur un feu de bois. Un aperçu du paradis.
« C’est le coin que je préfère, Monogaga, ça ressemble à la Bretagne », ajoute-t-elle.
Je saurai aussi (mais ça c’était bien avant que nous évoquions mon passé colonial) qu’elle se méfie des personnes qui ont un talent exacerbé et qui peuvent être des pervers, égocentriques, qui se gargarisent de leur personnage et dont l’envers du décors est médiocre. Je lui ai cité ce poète, récompensé par le Goncourt de la poésie, qui a été condamné pour des brutalités conjugales d’une violence inouïes (j’ai lu les compte-rendus d’audience), sévices qu’il a exercés sur son épouse (une de ses anciennes étudiantes) durant une vingtaine d’années, qu’il a partiellement justifiés comme indispensables à sa créativité et qui a écrit des poèmes d’une sensibilité remarquable.
Aujourd’hui, c’était une très belle rencontre de plus, pleine de charme et d’intelligence.
Ginette, la « petite-grande dame de Bécon » est arrivée un peu plus tard, lors de mon second passage (j’étais allé faire valider ma procuration au commissariat d’Asnieres). Libé et l’Huma sous le bras. Nous avons échangé avec Pascal (et Utah, toujours assez indifférent) sur le contexte politique. Nous sommes sensiblement sur la même longueur d’onde. Les derniers propos de Macron m’ont convaincu définitivement (sauf coup de Trafalgar) de soutenir autant que je pourrai le NFP ; quoique l’on puisse penser des « melenchonneries », il y a avec le NFP un projet de solidarité, de justice sociale et résolument écologiste. Je suis prêt à en débattre !
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