samedi 13 mars 2010

Eloge de l'échec



Fin de ma "trilogie" sur "Litterature et architecture" avec ce dernier face à face à Chaillot entre un architecte - Jacques Ferrier - et un écrivain - Jean Rolin.
Rappel pour les profanes :
- Jacques Ferrier est né en 1959 à Limoux capitale de la fameuse blanquette ; non pas celle de ma petite sœur qu'elle réussit parfaitement et dont le pétillant reste - heureusement - du registre précieux de l'imaginaire (on est ici en famille dans le champignon de Paris, la sauce onctueuse à base de bouillon liée aux jaunes d'œuf et à la crème fraîche*, et les dés de veau dont le moelleux est assuré par le choix des pièces : ni trop petites, ni trop épaisses, mais surtout légèrement persillées de gras, afin d'éviter d'être sèches comme le cœur d'un huissier au matin du 16 mars) ; ingénieur centralien, puis architecte, salarié chez Foster puis chez Technip (il fut l'instigateur de cette diversification hasardeuse - quasi prolétarienne - qui a conduit le pape de l'ingénierie du gaz, du raffinage et autres délicatesses industrielles à créer dans les années 80 une ingénierie du bâtiment), Jacques créé son agence aux alentours des années 90 avec François Gruson. Expérience limitée dans le temps, mais qui leur fait partager le Prix de la 1ère œuvre pour les laboratoires de l'Ecole des Mines de Corbeil, où ils servent aux têtes ingénieuses une architecture fonctionnelle, dénuée de maniérisme, un écrin de tôle ondulée pour leurs recherches studieuses et savantes. L'ambitieux sudiste (toujours se méfier des sudistes !) décide de se lancer seul dans l'aventure architecturale. Régulièrement distingué (mais la 1ère marche du podium reste à conquérir !), sollicité aux quatre coins de la planète, disponible, l'architecte affairé (et non affairiste) aux allures de Dorian Gray, cache un appétit de conception que sa curiosité, son talent, sa capacité de travail et d'organisation légitiment pleinement. Auteur du prestigieux Pavillon de la France pour la prochaine exposition universelle à Shangaï, il est également le chantre "d'Hyper-Green", concept de tour durable dont la concrétisation se fait attendre (dommage). Jacques est également écrivain ; la preuve : ne lui laissez pas un paysage à portée de regard (même misérable, même et surtout en déshérence, et plutôt aperçu depuis la fenêtre d'un train), car il est bien capable de vous en extraire un élixir de poésie !
- Jean Rolin, que mon ignorance crasse m'a fait ignorer jusqu'à hier soir - bien que l'un de ses romans, "L'explosion de la durite", soit sur une étagère de ma bibliothèque, épargné à ce jour de toute "effraction" comme dirait Parent -, fut maoïste sans aimer Mao, lauréat du prix Médicis pour "l'Organisation", continue à se revendiquer "écriveur" plutôt qu'écrivain, humaniste possible mais surtout pas humanitaire, trafiquant mélancolique de voitures pourries à travers le continent noir, marin nostalgique et convaincu que toute entreprise humaine se solde par un échec (évènement inéluctable qui peut présenter de réelles vertus). Il peste également contre "le tourisme qui est parvenu à remplir le monde de choses laides, majoritairement". Quelles peuvent être nos points communs identifiables ? Boulogne-Billancourt (il y est né, j'y est vécu et nous l'avons tous les deux déserté), l'Afrique (à la différence que ma 404 était magnifique : robe bordeaux, toit ouvrant, intérieur cuir camel, ), la mer (il rêvait d'être marin, j'ai échappé à la Navale).

L'auditoire est aussi clairsemé que pour la séance précédente ; une excuse : nous sommes vendredi et c'est un week-end d'élections régionales !
"La beauté de l'architecture passe par un détournement de la chose utile." On est dans le noir. J'ai tenté de prendre à la volée ces paroles lues d'un texte de Jacques. Sont-elles exactes ? Probablement. En tout cas, je partage ce point de vue. C'est précisément dans cette proposition que passe le salut artistique de l'architecture. Détournement, ne signifie pas négation ; mais plutôt conquête. C'est l'au-delà de l'utilité assumée, imposée. L'utile est une fonction obligée de l'architecture. Avec elle, l'architecture s'empare de son statut "d'art humaniste".

Jean Rolin s'interroge sur le mystère de la disparition subite de lieux puissants - notamment des cités enrichies par l'industrie sidérurgique - devenues à présent des faubourgs misérables, des territoires dont les traces prestigieuses se lisent à peine ; et parfois comme une honte. Il y a chez l'ancien "mao" une interrogation toute politique. Qu'est-ce qui pousse l'Homme à bâtir et bannir successivement ? Sans doute quelque chose qui le dépasse. Un système qui s'emballe, dé-régulée, comme un train dont les freins ne répondent plus ; une algorithmie économique qui tachycardise ? Les chiens sont lâchés et la curée ne fait pas de quartier. Et puis, je m'interroge encore : qu'est-ce qui sauve une architecture de cette fatalité ? L'esprit probablement. La grâce ? Les Pyramides, le Parthénon, Versailles, la mosquée de Djenné, l'Empire State, le Taj Mahal, les cathédrales, Angkor,... tous unis, au-delà des époques et des distances. Qu'adviendra-t-il des objets bâtis du monde moderne ? Détiennent-ils ce fragment d'immortalité que l'on peut surnommer "civilisation" ?
Jacques conçoit (compose ?) à l'instar de Simenon ; il y a toujours 3 temps dans les histoires de l'inspecteur Maigret :
1) la découvert d'une ville, d'un milieu, de personnages ; et une première intuition
- ici je dois m'interrompre car j'apprends que Jean Ferrat - Jean Tenenbaum - vient de mourir ; et ça me fait un choc ; "La Montagne" est orpheline, "C'est beau la vie", "Que serai-je sans toi ?", "Potemkine", "Nuits et Brouillard" : ça vous fout pas la chair de poule ça ? Retour sur image, flash-back de près de 40 ans. Poussez-vous les jeunes, y a rien à voir pour vous ! Et puis j'apprends qu'il y a eu un petit Jean, dont le père est juif et meurt déporté à Auschwitz ; il n'a que 11 ans et il est sauvé par des communistes. Vais-je apporter ma voix au Front de Gauche ? Venez les enfants : y a à voir et à écouter ! -

2) et puis Maigret doute, c'est l'incertitude, l'engluement, le marasme, ... comme l'architecte : ça va pas fonctionner, le prix est exorbitant, le délai invraisemblable, ...
3) enfin tout se cristallise, le coupable est trouvé...le projet s'éclaire, apparait, s'impose.
"Quand on arrive en Afrique, tout échappe aux précisions", raconte l'écriveur. Euphémisme. Mais n'est-ce pas ce que j'aime de l'Afrique : cet espace-temps in-maîtrisable pour l'homme occidental, cette possibilité donnée à qui veut la saisir d'entrer dans une autre dimension ? Elémentaire, fondamentale, essentielle.
"Ce que l'homme peut faire de plus beau, c'est d'essayer de ne pas y arriver", ajoute Jean Rolin, citant un auteur victime de ma mémoire défaillante.
"La grande différence entre l'architecte et l'écrivain", répond Jacques, " c'est que le premier est condamné à réussir. Et cette exigence lui impose d'être optimiste."
"Un livre est en partie un échec. Quand il est achevé, l'auteur que je suis est insatisfait. Proust - l'immense Proust - sur son lit de mort, ne s'est-t-il pas dit qu'il aurait pu faire mieux ?"
L'échec comme école de l'humilité. Réhabilitation de l'échec dans une société qui sacralise le Prince Charmant - financier, trader, vedette sportive, stararchitecte ? - et qui condamne le crapaud - l'enseignant, le syndicaliste, le travailleur.
Finalement : confronter littérature et architecture permet d'aborder des rivages insoupçonnés...
* je tiens à remercier mon épouse (anonyme elle aussi) pour m'avoir évité le ridicule d'une recette erronée de la blanquette !

1 commentaire:

  1. Comment l'architecte peut-il se donner les moyens de la réussite? comment agir contre la "routine" (pour ne pas dire les culs de sac) des rapports entre partenaires (car il serait erroné de penser que l'architecte agit seul...) et comment peut-il intégrer ou éviter les décalages entre discours et actes, entre la réalité des quartiers et les projets des politiques...
    ...L'architecte doit "tenir les murs" mais souvent il bâtit sur du rêve...Je préfère l'utopie aux rêves !

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