Ce n’est pas le goût d’une madeleine trempée dans le thé, mais la découverte d’une scène de la série « Downton Abbey », quand un majordome vétilleux vérifie le respect de la distance normée entre la fourchette et le couteau sur une table dressée pour un dîner, qui fait remonter chez Laure Murat « un signe lointain venu de l’enfance », à l’instar du narrateur de « La Recherche du temps perdu ». Ce geste anodin va lui faire prendre pleinement conscience de la vacuité profonde du milieu d’où elle vient ; celui de la très haute noblesse - son titre est quand même « princesse » ! Elle n’a cependant pas attendu cet épisode pour prendre ses distances avec ce « monde de pures formes », puisqu’elle le quitte définitivement après avoir avoué son homosexualité à sa mère. Elle a alors une vingtaine d’années.
Avec « Proust, un roman familial », Laure Murat nous permet d’entrer dans ce monde clos de la grande aristocratie et, prodigieux, l’ombre de l’écrivain de Combray nous accompagne pas à pas dans la visite des « lieux » de son enfance.
Historienne et professeure de littérature à l’UCLA, elle se plait à nous livrer l’impressionnante intrication (contamination ?) entre sa famille et les personnages de la « Recherche ». Mais, il y a davantage que ces seules parentés : il y a les codes. Ceux-là même que l’auteure connaît parfaitement et que Proust s’est délecté à décrire dans son œuvre.
Le va-et-vient entre realité et fiction, histoire et roman, la démystification de l’aristocratie en tant que légitime à s’octroyer des privilèges, nourris par une connaissance approfondie, à la fois de sa famille et de l’œuvre proustienne, fait de cet essai aux allures de roman, un livre magnifique qui appelle, à peine refermé la dernière page, une seconde lecture comme on reprend d’un plat délicieux.
Quand Laure Murat, après ce « déclic » provoqué par ce « détail marginal » de « Downton Abbey » s’engage dans ce livre, son sujet est de « rendre hommage au pouvoir d’émancipation de la littérature, à partir d’une lecture située. » Elle transforme parfaitement ce défi et si tout un chacun n’a pas forcément besoin d’être « sauvée par Proust », comme elle avoue, dans la dernière phrase, l’avoir été, il est à parier que de nombreux lecteurs (re)viendront grâce à elle vers « La Recherche » pour y trouver tout ce que la littérature peut apporter dans nos vies de lucidité et de rêve.
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