dimanche 31 décembre 2023

"Les dés" d'Ahmet Altan

 Avec ce dernier roman, qui se situe dans la Turquie du début du 20ème siècle, l'auteur du formidable "Madame Hayat" et de l'émouvant "Textes de prison", livre le portrait d'un homme jeune, Zayia, qui commet son premier meurtre alors qu'il n'a que 16 ans. Il le fait pour venger l'assassinat de son frère ainé, un caïd, auquel il voue une admiration sans bornes. Pour Zayia, c'est une question d'honneur. Ne pas tuer l'assassin de son frère serait une preuve de lâcheté et une humiliation qui retomberait sur toute sa famille. Zayia est insensible à la mort, laquelle vaut mieux que la perte de sa fierté et de son honneur. Seules les femmes parviennent à susciter quelques émotions chez lui qui se traduisent par une certaine gène, le désir froid de la domination, mais peut-être aussi par le sentiment d'une absence quand la jeune fille qu'il côtoie à Alexandrie le quitte définitivement pour aller étudier en Europe. 

Zayia découvre la passion du jeu - les dés - en prison après sa condamnation pour le meurtre de l'assassin de son frère. Une fois libre, il se dérobe à la réalité en jouant au casino de manière compulsive, indifférent au fait de gagner ou de perdre. Cette ivresse du jeu lui permet de croire qu'il échappe à la condition ordinaire de tous ces gens qu'il croise et qu'il hait, car ils sont dépourvus de la seule chose qui compte pour lui : son honneur et son destin qu'il imagine, progressivement, immense.

Ahmet Altan évoque à travers ce portrait le difficile rapport que les codes de la tradition et du patriarcat ont institué entre les hommes et les femmes dans certaines cultures, et certainement encore dans la Turquie actuelle. Il dénonce le danger de la perte de tous les repères de sociabilité qui peuvent conduire à commettre des actes irrémissibles. 

C'est pourquoi, on peut se poser la question suivante : Ahmet Altan a-t-il voulu dresser le portrait-type d'un fanatique - ou même d'un terroriste - pour lequel la soumission à un destin fantasmé et mortifère devient le seul moteur de vie ? C'est probable.

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