mercredi 13 décembre 2023

« L’échiquier » de Jean-Philippe Toussaint


Divisé en 64 chapitres comme le nombre de cases du jeu d’échec dont il est amateur, cette autobiographie non linéaire - à la manière du déplacement du Cavalier - est suscitée par le confinement, et le risque pour Toussaint d’un certain désœuvrement. La (re)découverte des traces d’un échiquier sur le sol du hall de l’école de son enfance le conduit à structurer son récit en 64 chapitres, comme par jeu. Cette trace aurait pu être un « déclic », un peu comme l’auteur de « La Recherche » avec le goût de la Madeleine trempée dans le thé, comme Laure Murat, l’auteure de « Proust, un roman familial », qui a une révélation après avoir vu dans la série Downton Abbey, un majordome vérifier la distance entre un couteau et une fourchette sur une table dressée pour un dîner, et qui va disséquer - comme on dissèque un cadavre - le milieu aristocratique de ses origines ; mais ce n’est pas le cas.

Il n’y a pas, à proprement parlé, de « récit » dans ce livre au sens « déroulement d’une histoire ». Des personnages apparaissent comme son ami Gilles Andruet, champion d’échecs à moitié fou dont on retrouvera le corps enfermé dans un sac en plastique dans un fossé, Youssoupov, un Maître en échec que l’on pourrait comparer au Czentovic de la nouvelle de Zweig sur la traduction de laquelle Toussaint travaille simultanément à son livre, mais c’est surtout son père qui est une figure dominante - au sens propre car il a toujours refusé de se faire battre aux échecs par son fils - et déterminante dans sa vocation d’écrivain. « Mon père m’a autorisé tacitement à devenir écrivain. Je n’ai pas eu la vocation, j’ai eu l’autorisation. » (p 197)

Toussaint nous livre également sa méthode d’écriture et sa très grande exigence, à la hauteur de sa considération pour la Littérature, mais peut-être aussi à la hauteur de l’opinion qu’il a de lui-même. 

Il y a ainsi une mise en abîme du récit puisque Toussaint évoque le travail qu’il effectue sur son livre.

Le style est beau dans ce qu’il parvient souvent à donner une dimension particulière à quelque chose d’anecdotique. L’écriture de Toussaint fourmille de descriptions de détails qui peuvent paraître insignifiants mais qui, dans la fluidité de la lecture, compose un style et une ambiance singulière.

Le récit de sa rencontre avec Madeleine est très beau (chap. 61)

Le chap 54 dans lequel il définit « l’espace  mental de l’écriture » est superbe : « Qu’importe ce que je recherche à travers l’écriture, qu’importe, finalement, ce que les livres racontent, l’écriture est cet abri mental dans lequel je me réfugie pour résister au monde. » (p 193)

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