dimanche 27 mars 2011

Tour Horizons ; questions.


C'est son deuxième nom ; initialement elle avait été baptisée par son auteur - le très médiatique architecte Jean Nouvel - la "Non-Tour". Mais, la connotation négative de l'appellation originelle fut abandonnée au profit d'un imaginaire plus porteur (quoique ...) : "Horizons" ; au pluriel (plus on est de fous, plus on rit ?).
Elle est sise aux limites du "Trapèze" de Boulogne-Billancourt, et de l'ensemble rugueux et populaire de la Cité du Pont de Sèvres.
Revenons aux origines ; pourquoi "Non-Tour" ? Parce qu'elle se présente, non comme un monolithe vertical classique, mais comme un empilement de trois bâtiments distincts (modénature, revêtement de façades, matière, épaisseur) à la manière d'une ziggourat dont la silhouette n'est pas sans évoquer le tombeau de Cyrus à Pasargad ; avec une sorte de serre façon Truffaut en pinacle en lieu et place du temple minéral...
En architecture contemporaine nous baignons actuellement dans le style "empilatif" : Vitra House d'Herzog et de Meuron à Bâle, New Museum of Contemporary Art de New-York des japonais de Sanaa, future médiathèque d'Angoulême de Françoise Raynaud, sans oublier le projet d'Edouard François à Champigny. Dans cet exercice, dont le côté ludique et juvénile n'échappera à personne, il est d'heureuses compositions et d'autres moins géniales...
Le traitement sculptural du bloc inférieur de la Tour Horizons évoque - au risque de la métaphore un peu lourdement appuyée - le jaillissement tellurique, l'origine brutale de la matière construite. Réalisé par un artiste rompu aux techniques de l'illusion par son travail aux Studios Disney, la sculpture du béton noir projeté est remarquable : on croirait véritablement voir et toucher la paroi rocheuse d'une falaise ancienne, ridée par le temps et lissée par les intempéries. Qu'en penserait Loos ?

Le second étage de cette fusée définitivement clouée au sol s'inscrit dans un registre totalement différent : l'architecte a mis en scène un damier aléatoire composé de boîtes élémentaires en revêtement de céramique de deux couleurs (blanc et noir), comme clipsées sur de longs bandeaux de terre cuite couleur brique. S'agit-il d'évoquer le passé industriel du lieu dans une réminiscence du matériau culte de l'industrie (la brique), et celle du processus d'élaboration des produits manufacturés issus de cette même industrie ? S'agit-il de faire transpirer sur cette façade le "génie du lieu" des anciennes usines Renault ? Mettre en scène quelques fragments d'une histoire sociale autant que romantique définitivement enfouie sous les m3 de béton ?

Le troisième et dernier étage adopte une façade de verre plutôt classique. L'originalité réside dans la forme de l'édifice : une cabane, une serre, dont le toit à double pente évoquant la chaumine traditionnelle peut constituer une provocation dans l'écriture d'un objet comme une tour. S'agit-il d'un post-modernisme revisité ?

Deux dispositifs sont à souligner : la possibilité d'accéder à des balcons arborés à chacune des ruptures horizontales de l'édifice, et le hall d'accueil traité comme une vraie cathédrale de béton évoquant d'avantage l'espace brut d'une salle des machines souterraines que celui d'un futur lobby de siège social. Au sujet de cet espace - véritable hymne au génie civil - c'est l'obligation d'amener la lumière au cœur d'un édifice d'une épaisseur non standard qui a conduit les concepteurs à imaginer un dispositif de type périscope. Une ouverture a été créée au niveau de la terrasse du second bloc, et la lumière est réorientée jusque dans les entrailles de l'édifice par une rampe réfléchissante. Ingénieux sans doute car cette épaisseur constituait un obstacle réel à l'usage de l'immeuble ; il n'en reste pas moins que cet espace résonne étrangement du mythe platonicien.

Jean Nouvel attache une importance capitale à la notion d'architecture contextuelle ; c'est à dire d'une architecture qui compose avec son environnement. Qu'en est-il à Boulogne au-delà des métaphores et des suggestions évoquées précédemment ? Y-a-t-il résonance avec le skyline boulonnais en général, et les tours du Pont de Sèvres en particulier ? Faut-il aller chercher un ancrage plus lointain à cette stratification dans le relief en terrasses des coteaux de la Seine, à l'horizon de Meudon ou de Saint-Cloud ?
Une chose est certaine : ce bâtiment "empilatif" ou "empilatoire" nourrira les polémiques ; n'est-ce pas, en définitive, l'une des fonctions cardinales de l'art ? Mais l'architecture, qui s'impose d'avantage aux citoyens - et jusqu'à la cité elle-même -, que les représentations des autres arts, ne doit-elle pas promouvoir d'autres vertus ?

2 commentaires:

  1. Est-ce que tu pourrais évoquer les futurs utilisateurs de ce bâtiment dont la description m'a plu, des cols blancs sans doute mais peut-être aussi des individus en recherche de logement. Tes photos m'ont évoqué les maisons
    "tour" du Yemen, bâties en pizé...

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  2. Chère Françoise,
    Bonjour tout d'abord. J'espère que le sud-ouest va bien !
    Je n'ai pas précisé qu'il y avait "tromperie sur la marchandise" : la totalité de l'immeuble est destinée à recevoir du bureaux, contrairement à l'illusion que donne la morphologie de la ziggourate ! A ma connaissance les 15 étages supérieurs sont loués au laboratoire Roche. La mixité (bureaux-logements) est un vœu pieux aujourd'hui : les investisseurs et les promoteurs n'y sont pas favorables. C'est vrai que ça pose quelques problèmes, mais encore faudrait-il avoir la volonté de s'y frotter !

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