Caen, préfecture du Calvados, la
ville de Guillaume le Conquérant (1028-1087) dont le tombeau demeure dans le chœur de
l'abbatiale Saint-Etienne, joyau de l'art roman et gothique, merveille épargnée par
les bombes alliées, est aussi le lieu d'une biennale d'architecture qui
s'engage avec courage dans sa 3ème édition.
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Façade de l'Abbatiale St Etienne |
Cette année et jusqu'au 27 octobre,
l'événement est placé sous le double signe de l'habitat et du Portugal ; ce que
traduit son titre "Habiter. Imaginons l'évidence", s'inspirant d'une
phrase du grand architecte portugais, Alvaro Siza, quand il qualifie sa
démarche de création. Deux expositions sont visibles dans le Pavillon de
Normandie - un petit bâtiment portuaire à l'architecture modeste habité du charme particulier de ces
ouvrages francs et fonctionnels - l'une présentant le travail de Paul Chemetov
sur 16 maisons et ateliers réalisées entre 1961 et 2011, l'autre une sélection
de 16 projets récents édifiés en France, chacun donnant à voir l'intelligence
constructive, urbaine ou plastique déployée à l'occasion de leur conception.
Un
film-portrait sur Siza sera présenté. La biennale fait également la part belle
aux débats avec un plateau d'intervenants de très grande qualité et pas moins
de 2 Pritzker Price (équivalent du Prix Nobel), Siza et Souto de Moura.
Enfin,
le commissaire de l'exposition est Frédéric Lenne, journaliste spécialisé en
architecture, urbanisme et politique de la ville et, de surcroit, ingénieur.
Venir pour la biennale pourrait
suffire comme prétexte pour faire le déplacement à Caen. Mais ce serait dommage
de ne pas en profiter pour découvrir une ville en grande partie reconstruite après la
2nde guerre mondiale qui recèle, malgré l'acharnement des bombes, des trésors
d'architecture. En effet, le nombre élevé d'édifices religieux remarquables -
tant par la taille que par la beauté architecturale - peut étonner le visiteur
de passage. L'Abbaye aux Hommes, et son alter ego l'Abbaye aux
Dames, constituent sans doute les deux ensembles les plus prestigieux de la
cité, au centre de laquelle veille la silhouette massive du château du
Conquérant. Mais impossible de ne pas évoquer Saint-Pierre et ses dentelles de
pierre, Saint-Sauveur du Marché et ses clés de voutes sculptées et peintes, ou les
vestiges émouvants de Saint-Etienne le Vieux.
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Palais de Justice |
L'architecture civile n'est pas
en reste avec les maisons à pan-de-bois (2 remarquables fausses jumelles rue
Saint-Pierre), l'alignement d'hôtels particuliers de la rue Jean-Marot (1901), le collège Louis
Pasteur, anciennement lycée de jeunes filles, et l'élégance du dessin de sa
façade datant de 1914, avec ses motifs vernissés et ses volutes Art Nouveau, et
plus près de nous (1995) le vaisseau d'acier laqué noir du nouveau Palais de
Justice d'Architecture Studio, avec ses anneaux géométriques, le jeu
d'emboitement des volumes et du dialogue des matières, et la solennité de la
Justice reinterprétee par quatre portiques de béton brut sous lesquels
l'échine, spontanément, se courbe.
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Vestige industriel |
L'avenir de la ville s'écrit en grande
partie sur la Presqu'île de Caen, vaste territoire "en devenir" de 600 ha dont la requalification a été confiée à MVRDV, une agence hollandaise. Il se construit déjà au
présent sous l'impulsion d'un maire passionné d'architecture : la médiathèque
de Rem Koolhaas (un autre hollandais) sortira de terre dans quelques semaines. Mais ce serait une erreur de ne pas
considérer les quelques bâtiments anciens qui subsistent encore sur le site. Eux seuls
peuvent apporter le supplément d'âme indispensable à un tel projet, et éviter la dérisoire collection d'architectures.
Le minuscule restaurant "Le Quai des Brumes" a évité la démolition. La minoterie toute proche devrait être sauvée. Mais ce n'est pas le cas, semble-t-il, des hangars
en bois dénommés Pavillon Savare,
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Façade bois du Pavillon Savare |
qui jouxtent la future médiathèque. La composition de leurs façades en lattis bois ou dans une association de briques et de bois, leur charpente exprimant vérité constructive et frugalité, dégagent une émotion évidente. Ces lieux ont une âme. Ils
abritent aujourd'hui une association de restauration de vieux bateaux, Le
Conservatoire de la navigation. Des passionnés qui croient encore aux vertus de la mémoire ; et du lien social puisqu'ils accueillent des personnes en réinsertion.
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Bâteau en cours de restauration. Pavillon Savare |
Le bâti - structure et façades bois - est
en très mauvais état et, parait-il, rongé par les vers. Mais on maitrise aujourd'hui
les techniques permettant à la fois de juguler les xylophages, et de rétablir
la solidité structurelle. Bien entendu, il faudrait investir pour sauvegarder
ce patrimoine. Il serait plus facile et rentable (à court terme) de tout raser
et de vendre des droits à construire. Mais ce dont a besoin la ville moderne c'est
de "coutures", de mémoire autant que de modernité, d'une mixité culturelle dans
laquelle le dialogue entre l'ancien et le neuf constitue un liant précieux et vital. "La
modernité a un cœur ancien", nous dit Renzo Piano. Caen doit s'inspirer de Nantes avec
laquelle elle a de nombreux points communs (un passé industriel prestigieux, un
positionnement "marin", des traces d'une activité humaine riche d'humanité, etc.). Il est raisonnable d'être optimiste.
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Façade Librairie Générale du Calvados |
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L'Albatros, vaste oiseau des mers |
Ajouté à ça que Caen est une ville
forcement sympathique : les tripes y sont délicieuses (Brasserie Le Carlotta), et il y subsiste encore plusieurs librairies indépendantes, dont la magnifique Librairie générale du
Calvados (superbe façade bois de 1902) et son albatros aux ailes de géant suspendu au plafond.