dimanche 3 novembre 2013

Une enfance de Jésus

 Un homme (il a peut-être 45 ans) et un jeune garçon (5 ans probablement) arrivent en fin de journée dans le camp d'aide aux nouveaux arrivants de Novilla, le "Centro de Reubicacion" (Centre de Déménagement). Ils sont fatigués et ils ont faim. Ils viennent de passer une semaine sur la route en provenance du camp pour immigrants de Belstar où ils sont restés  6 semaines au cours desquelles on leur a inculqué quelques rudiments d'espagnol, la langue de leur nouveau pays.  De quel pays s'agit-il ? Où habitaient-ils auparavant et quelles étaient leur vie ? Pourquoi ont-ils quittés leur terre et pour quelles raisons ont-ils embarqué dans ce bateau ?  Ces questions restent sans réponse.
A Belstar, des noms leur ont été donnés. Simon, pour l'homme et David pour l'enfant. Simon a recueilli David à bord du bateau qui les a amenés dans ce pays. Il était seul et sans papiers d'identité. Il se sent responsable de lui et n'a qu'un seul objectif : retrouver la mère de David et lui confier l'enfant car "la place d'un enfant est auprès de sa mère", et que lui, malgré tout l'amour qu'il lui porte n'a pas "le droit d'avoir des exigences", comme il veut s'en persuader. 
A Novilla tout semble sous contrôle, même les êtres humains, leurs sentiments ; ce qui révolte Simon qui a "faim de beauté, de beauté féminine. Je suis affamé en quelque sorte." écrit-il.

Simon trouvera la mère de David très rapidement. Ou plutôt se persuadera que c'est elle, Inès, cette jeune femme élégante qui vit avec nonchalance à la Residencia, un domaine protégé, interdit aux enfants et réservé à une certaine classe supérieure de la population.
David est un garçon qui n'est pas ordinaire : surdoué ? Très probablement. Entre la mère et le fils s'établit une relation particulière. Simon a l'impression qu'Inès infantilise le jeune garçon et le surprotège.
Simon continuera de travailler comme un forçat aux docks à décharger des sacs de grains à dos d'homme, mais s'efforcera de rester en contact avec le garçon car, en définitive, il lui manque énormément.
J.M. Coetzee livre un roman très troublant et mille questions surviennent après en avoir achevé la lecture. 
Et d'abord pourquoi ce titre "The chilhood of Jesus" ? David, Ines et Simon représentent-ils la Sainte Famille ? Est-ce parce que Simon est extraordinairement intelligent, défiant son maître comme Jésus les grands prêtres du Temple ? Que le jeune garçon affirme un jour, à l'occasion d'un de ses nombreux caprices : "Je suis la vérité" ? Des longs dialogues entre Simon et David, au cours desquels le premier tente de lui enseigner les bases de la relation aux autres et une certaine morale, faut-il voir l'enseignement qu'un Joseph aurait pu transmettre à son fils adoptif au destin extraordinaire ? 
Une autre interrogation porte sur le traitement des immigrés. Là la question est plutôt simple : sommes-nous prêts à les accueillir sans vouloir tout changer en eux ? 
Mais pourquoi Coetzee a-t-il choisi de décrire un pays (utopique-socialiste ?) qui a adopté un grand nombre de dispositions en faveur de tous, et en particulier des travailleurs : gratuité des transports, des cours du soir à l'université, de la cantine, etc. ? Ce pays a semble-t-il ses privilégiés à la Residencia. Lesquels ne semblent pas obsédés par leurs avantages. Les gens de ce pays sont pleins de bonne volonté, d'une humanité un peu molle, mais manque en définitive de chair, de sensualité (comme le regrette vivement Simon !).
Autre chose : David n'est-il pas le symbole de l'enfant-roi de nos sociétés "occidentales", celui que ses parents idolâtrent et auquel ils cèdent absolument tout. L'enfant qui est lui-même, d'une certaine façon, un caprice que ses parents se sont offerts pour meubler leur vie ?
Que représente le senor Daga, ce bagarreur, ce voleur, cet homme oisif qui ne donne que de mauvaises idées à l'enfant ? Si l'on doit poursuivre la parabole : le diable ?
Il reste donc encore au moins 995 questions... qui apparaissent les unes après les autres, dans le désordre, comme les étoiles dans un ciel qui prend sa nuit.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire