jeudi 10 octobre 2013

Fondation Iberê Camargo à Porto Alegre


L'homme parait assez fatigué. Il n'est plus très jeune à tout juste 80 ans. Sa silhouette est fragile. Le regard est attentif, curieux, légèrement voilé par instant : quelque chose mêlant humilité et enchantement. Ses mains tremblent imperceptiblement. Une barbe blanche que l'on devine aujourd'hui et qui, plus jeune, était évidente, parcourt son visage mince. Son nez est grand. Sa tête plutôt petite, chenue sur le sommet. Sans doute est-il surpris du nombre impressionnant de personnes venu l'écouter ce soir. C'est probablement un record pour cet espace qui accueille tant d'illustres conférenciers. Il se cale dans un fauteuil derrière une table juchée sur une petite estrade métallique. Un immense mur blanc derrière lui sur lequel seront projetées des illustrations de son travail. Il tente de prendre la mesure de la salle sur deux étages et de la foule qui l'a envahie en parcourant des yeux la semi obscurité dans laquelle baigne son auditoire compact (beaucoup de très jeunes étudiants, certains assis en tailleur au bord de l'estrade, d'autres accoudés au balcon de la mezzanine ; on a du fermer les portes avant l'heure de la conférence). Un ami le présente. Un discours lu de quelques minutes. Eloge. Puis il saisit le micro à deux mains, cale davantage son dos en arrière.  Sa voix grave, chargée de la fumée des centaines de milliers de cigarettes qu'il a fumées dans son existence, est très belle. Il préférerait sans doute parler en compagnie d'une cigarette. D'ailleurs, à la fin de la conférence, l'un de ses premiers réflexes sera de sortir un paquet de sa poche , le montrer à ses hôtes avec un sourire interrogatif : on peut vraiment pas s'en griller une à présent ? Maudit règlement. Il est là pour présenter un travail qui vient de s'achever à Porto Alegre, au Brésil. Il montre d'abord des dessins un peu brouillons qui sont pour certains des impasses. Indispensables dit-il au processus de création qui n'est pas linéaire comme chacun sait, et qui peut même (doit ?) inverser les logiques. Synthèse avant analyse. Le tout puis ensuite les parties. Surtout ne pas s'enfermer trop tôt dans une idée qui se prétend aboutie, au risque de domestiquer la créativité. Et revenir dans une dynamique circulaire (il dessine des grands cercles avec ses bras). Emprunter ce chemin délicieux guidé par le hasard qui vous fait voyager autour d'un problème. Il fait des allers-retours entre la table et l'écran. Il plisse les yeux dans ses silences. Il scande des "une autre" impératifs pour passer à l'image suivante. Soudain, il s'arrête sur l'une d'entre elle et pointe une arabesque constituée de deux ou trois volutes perdues dans un dessin encore très libre, presque abstrait. Là, d'un imaginaire qu'il dit fabriqué sans méthodes de toutes ces choses vues, oubliées, accumulées, perdues, contaminées entre elles, surgit une fulgurance : l'idée originelle de ses rampes autour desquelles tout le projet pourra se déduire.
C'était un soir d'octobre 2013 (le 8 précisément) au Pavillon de l'Arsenal à Paris. Une conférence de Monsieur Alvaro Siza, immense architecte portugais.

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