samedi 2 novembre 2013

Les Renards pâles

 C'est parce qu'il ne parvient plus a payer son loyer et qu'on le menace d'expulsion, que Jean Deichel, "ce type de 43 ans taciturne qui touche les Assedic et n'en fait socialement qu'à sa tête", décide d'aller vivre dans sa voiture, et d'attendre la venue de l'"intervalle", cette impression indicible mêlant des sensations contradictoires, "comme si vous tombiez dans un trou et que ce trou vous portait". Cet "intervalle", il en fait une première expérience, un soir à la terrasse d'un café où il rencontre fortuitement un ancien copain, artiste, en compagnie d'autres artistes assez déjantés (l'un d'entre eux - le Bison - "refaçonne l'art" en "performant la destruction" par l'exposition d'organes de lapins ou de poulets qu'il a lui-même égorgés...). C'est aussi à cette occasion qu'il découvre l'un des animaux sacrés des Dogon du Mali : un petit chacal qui est appelé le Renard pâle. Au cours de ces errances dans le XXème arrondissement il tombe à plusieurs reprises sur des inscriptions anarchistes accompagnées d'un dessin étrange - "sorte d'épouvantail : cancrelat de sortilège, poisson-sorcier" - et c'est une femme vertigineuse, radicale et extrêmement sensuelle, Anna, surnommée "la reine de Pologne", qui va l'introduire chez les Renards pâles.

Il y a, dans la seconde partie du livre de Yannick Haenel (auteur de "Jan Karski"), celle consacrée à l'éloge de la violence des laisser-pour-compte de notre société, un mélange de "no future" et de mysticisme vaudou qui se veut prémonitoire des révoltes urbaines à venir, et qui témoigne assez bien du caractère irrationnel (et revendiqué comme tel) dans lequel la contestation s'exprime  aujourd'hui, idéologiquement désenchantée et lobotomisée par les réseaux sociaux.
L’écriture est souvent très belle, précise, poétique. Le ton est par endroit (2ème partie surtout) presque divinatoire (animiste ?) ; dans l'esprit de la cosmogonie Dogon. On peut s'interroger sur le risque pris par Yanick Haenel : celui d'une récupération de sa révolte libre de toute entrave par les "tous pourris" ou autres adeptes de la théorie du complot.
Les Renards pâles liront-ils ce roman qui pourrait être un livre culte pour eux, ou bien sont-ils définitivement dans l'"intervalle", incapables de saisir cette "chance" que la rencontre de certains livres offre car "en vous incorporant leurs phrases vous poursuivez votre métamorphose." ?

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