Quatrième et dernier opus de la série des "Marie" de Jean-Philippe Toussaint, "Nue" est d'abord servi par une très belle écriture ; une écriture inventée, un style, celui de Toussaint, avec l'alternance de longues phrases qui se déploient sur la page avec la volupté d'une immense bannière flottant au vent (je pense au drapeau parfois hissé sous la voûte de l'Arc de Triomphe dans l'axe des Champs-Elysées), des parenthèses triviales - l'instantané de la pensée -, des séquences plus courtes de mots simples évoquant le détail mais loin (très loin) de la banalité du roman de tête de gondole.
L'histoire est celle d'une relation entre un homme et une femme, Marie, qui a "ce don, cette capacité singulière, cette faculté miraculeuse, de parvenir, dans l'instant, à ne faire qu'un avec le monde, de connaître l'harmonie entre soi et l'univers, dans une dissolution absolue de sa propre conscience." Ce que le narrateur qualifie de disposition océanique. Lui est amoureux d'elle ; un amour inquiet (l'amour n'est-il pas nécessairement inquiet ?). "C'était donc encore une fois pour m'apprendre la mort de quelqu'un que Marie m'avait appelé." La relation n'est pas simple, mais elle ne présente pas un degré d'étrangeté exceptionnel. Elle est composée de tous ces petits malentendus, ces ratés, des instants sans relief apparent mais chargés d'une tendresse indicible. Marie a un secret, mais ce n'est pas la clé du roman. "Nue" est un livre d'atmosphères (la Place Saint-Sulpice sous la pluie d'automne), d'odeurs (celle que la chocolaterie incendiée répand sur l'Ile d'Elbe et en particulier dans le cimetière ; "cette odeur lancinante de chocolat (...) qui se mêlait à l'odeur abstraite de mort qui régnait dans le cimetière"), de nostalgies (la chambre de la maison de famille profanée, les êtres qui disparaissent).
Il y a aussi ces deux scènes "improbables" du défilé de la robe en miel (tragique) et de l'aventure voyeuriste sur le toit du Contempory Art Space (plutôt comique).
Une phrase encore sur la création artistique : "La conclusion inattendue du défilé du Spiral lui fit alors prendre conscience que, dans cette dualité inhérente de la création - ce qu'on contrôle, ce qui échappe -, il est également possible d'agir sur ce qui échappe, et qu'il y a place, dans la création artistique, pour accueillir le hasard, l'involontaire, le fatal, le fortuit." Uniquement dans la création artistique ?
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