jeudi 25 octobre 2012

Le cul de Judas


"Le cul de Judas", c'est Gago Coutinho, ce trou perdu au fin fond de l'Angola à 10.000 km du Portugal, de sa femme et de son bébé, "ce mamelon de terre rouge, entre deux plaines pourries", où Lobo Antunes, alors âgé d'un peu moins de 30 ans, a du passer 25 mois en tant que médecin mobilisé pour aller faire cette "putain de guerre" coloniale. Ce livre est un témoignage épouvantable, bouleversant, sur l'horreur de cette guerre et son cortège de misères, d'atrocités, d'injustices, d'absurdes et de déshonneurs de la condition humaine. Son récit est fait en une nuit à l'occasion d'une rencontre du narrateur et d'une fille qu'il drague dans un bar de Lisbonne. L'homme n'a plus guère de considération pour lui-même, cet épisode angolais l'a totalement brisé ; seuls quelques souvenirs d'enfance et une tendresse que l'on sent cabossée, constituent sans doute les derniers éléments qui peuvent donner sens à sa vie. Il y a aussi une rage immense ; envers les politiciens, les hauts-gradés et les verbeux qui sont restés au chaud à Lisbonne pendant que les non-pistonnés d'une génération de jeunes portugais se faisaient tuer ou arracher les membres sur les mines d'Angola ; contre une partie de sa famille qu'il déteste, confite dans la tradition, et qui ne se rend même pas compte qu'en venant acclamer les jeunes patriotes en partance pour sauver "l'empire", "venait là assister à sa propre mort". 
En 1971, dans le "Cul de Judas"
Et puis le style de Lobo Antunes qui se déverse comme un flot impétueux et tourmenté d'adjectifs qui rebondissent, se bousculent, se télescopent entre eux pour former un véritable torrent littéraire dans lequel les plages d'apaisement, si elles sont rares, n'en restent pas moins d'une beauté où la nostalgie du temps qui passe, l'enfance peuplée de mille souvenirs sans importance et les caresses des femmes qu'il a aimée, en composent la matière essentielle.
Ce livre est un chef d'oeuvre (sans doute à ne pas recommander aux personnes déprimées). "Contrastes et Lumières" a produit un texte intéressant et très riche à son sujet.
Extrait (mais on voudrait en mettre mille !) :
"Je flotte entre deux continents qui, tous deux, me repoussent, nu de racines, à la recherche d'un espace blanc où m'ancrer, et qui peut être, par exemple, la chaine de montagne allongée de votre corps, une concavité, un trou quelconque de votre corps, pour y coucher, vous savez, mon espoir honteux."
Antonio Lobo Antunes aujourdhui
Merci à Pierre Léglise-Costa, un ami et traducteur de cet ouvrage, qui ne doit absolument pas regretter de m'avoir fait découvrir ce terrible compatriote.
  

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