lundi 2 août 2010

Les réflexions architecturales d'un chauffeur de taxi


On dit des chauffeurs de taxi qu'ils ne savent parler que de banalités et que, souvent, leur intérieur ressemble au comptoir du Café du Commerce. Je suis tombé l'autre soir sur un spécimen assez rare qui m'a entretenu pendant 1/2 H des styles en architecture, et plus précisément de sa vision de ce que devait être l'architecture parisienne. Je suis, hélas, obligé de résumer !
La leçon inaugurale s'est engagée dès la sortie de la gare Montparnasse et l'éloge de la Place de Catalogne dont le style romain, impérial, représentait la seule exception de réalisation moderne qu'il pouvait tolérer à Paris. "Je n'aime pas du tout les immeubles des années 60, 70 et 80 ; 90 aussi d'ailleurs." Me dit-il. "Si : certaines façades en brique, celle des HLM proches du périf (les HBM ; NDR) sont travaillées ; il y a des décrochements, de l'allure, un rythme. Mais regardez-moi c'est façades (il me montre un immeuble d'habitation effectivement banal), c'est laid. Paris est une ville que le monde entier nous envie. Et Paris, c'est la pierre de taille, les sculptures, les beaux balcons." Je lui dit que ce n'est plus possible de construire les immeubles en pierre de taille (ma 1ère et avant-dernière contribution au débat).
"Mais si c'est possible."
Et il embraye sur un autre sujet, La Défense, qu'il considère un peu comme une "réserve" où il est toléré de mettre des spécimens rares de l'architecture délirante en verre et en acier. Mais surtout pas en dehors.
"Il parait qu'il y a quatre couches superposées. On ne s'y retrouve pas. J'ai des collègues qui sont des spécialistes de La Défense. Mais ils connaissent rien au Marais. Moi je connais par cœur le Marais. Mais, ne me demandez pas d'aller à La Défense ! Tiens, la Pyramide du Louvre ; moi j'aurais fait une sorte de très grande lampe, très ronde, très ouvragée, avec des beaux montants en cuivre (là, frayeur car il lâche le volant pour me montrer une idée de la taille de la lampe en cuivre ouvragé), qui aurait été au centre d'une grande spirale abritée où les visiteurs auraient pu attendre à l'abri."
Je me dis à cet instant : on l'a échappé belle quand même ! Imaginez un référendum populaire. une idée comme ça, avec la culture architecturale du bon peuple de France... (Là je joue un peu les snobs, je l'avoue, mais ça me démangeait...la facilité !).
"Au lieu de ça, il y a cette pyramide en verre. Savez-vous de combien de plaques elle est composée ?"
"Non", je lui réponds.
"666". (...) Et oui, le chiffre des francs-maçons."
Je me dis que je suis sans doute le dernier à ignorer ce détail que je vais, rapidement, tenter de vérifier*.
Et le trajet s'est poursuivi, la logorrhée également. Il en a même oublié de changer de tarification en quittant Paris !
En final, sur le trottoir, le Michel-Ange des faubourgs m'a déclaré fièrement qu'il avait acquis un petit pavillon des années soixante dont le toit à deux pentes venait à l'origine jusqu'à terre. Il a déposé le toit et travaillé une charpente de façon à disposer d'un comble aménageable avec fenêtres à la Mansard, et surtout il a fait porter sa charpente par des étais de chêne visibles de l'extérieur, qui se croisent comme dans un logis normand du 17ème siècle.
J'avais très fortement envie de me coucher et j'ai pensé qu'il valait mieux, pour interrompre cette leçon d'architecture, y aller d'un compliment facile : "Et ainsi, vous avez créé une architecture qui remonte le temps !"
J'ai senti mon homme rassuré et fier en remontant dans son taxi. Son enthousiasme et ma patience m'avaient fait gagner environ 10€ !

* après vérification, c'est une vrai connerie (Dan Brown l'a repris, c'est vous dire)

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