mardi 17 février 2009

Le procès verbal


1er roman de JMG Le Clézio, alors agé de 28 ans, couronné par le Prix Renaudot, Le Procès verbal raconte l'errance folle, inutile et chaotique d'un jeune homme, Adam Pollo, (le double de Le Clézio ?) dans une cité balnéaire. Le style, le texte font continuellement écho à cette folie ; je veux dire par là, qu'il ne s'agit pas d'une histoire simplement racontée à laquelle le lecteur assiste en spectateur ; l'écriture est souvent incohérente, la mise en page perturbée, certaines descriptions paraissent dérisoires, attachées à un détail qui semble sans aucune signification et sur lequel le texte s'attarde comme une torture. Il y a une résonnance absolue entre le contenu du texte et le chaos mental d'Adam. Il y a des violences (la scène avec le rat) et des états de décadence qui surprennent de la part d'un auteur plus connu pour sa très grande retenue et son calme. Les personnages anonymes qui errent dans les pages sont également vus au travers du regard d'un fou. C'est un livre troublant, parfois menaçant dans le sens où il est déséquilibré (comme le héros). Et puis, il y a cette femme, Michelle, qu'il a aimé violemment (au sens propre) et qui représente son seul lien avec une forme de raison, mais qui finit lamentablement dans les bras d'un américain vulgaire aux cuisses potelées et graisseuses.
J'ai voulu faire l'exercice de lire un livre écrit il y a plus de 35 ans par un auteur "institutionnalisé" aujourd'hui afin de savoir s'il y avait déjà les éléments du talent littéraire. Curieusement, j'ai trouvé dans les 1ères pages quelques effets un peu trop visibles, aux accents gracquiens. Et puis, au fil des pages, tout ceci s'est estompé et j'ai plutôt été subjugué par l'originalité et la profondeur du texte.
La nef des fous de Brueghel

C'est intéressant de relire l'interview de Le Clézio au sujet de son livre (paru dans Le Point) : "C'était une drôle d'époque. J'ai commencé à écrire ce livre alors que la guerre d'Algérie n'était pas finie, et que planait sur les garçons la menace d'être envoyés dans le contingent. Un de mes camarades, un garçon très artiste, très rebelle, nommé Vincent, du fait de ses mauvaises notes est parti à la fin de l'année 1960, et il a été aussitôt tué dans une embuscade. Un autre convoyait des fonds pour le FLN. Un autre était revenu en permission, le cerveau lessivé, ne parlant que de bazookas et de « bidons spéciaux » (comme on nommait pudiquement le napalm). Certains de mes camarades pour échapper au Moloch se tiraient une balle dans le pied, ou s'injectaient de la caféine pour feindre une tachycardie, ou construisaient une folie qui au cours des semaines de traitement à l'hôpital militaire devenait réelle. L'état d'esprit, c'était un mélange d'agressivité et de dérision, duquel le mot « absurde » ne rendait qu'un faible écho. En même temps régnait en France un racisme anti-arabe des plus répugnants, dont je ne peux m'empêcher de ressentir la résurgence aujourd'hui.

Alors j'écrivais « Le procès-verbal » par bribes, dans le fond d'un café, en y mêlant des morceaux de conversation entendus, des images, des découpes de journal. Au jour le jour. Le roman a été fini après les accords d'Evian, quand j'ai compris que la menace s'arrêtait, que nous allions vivre. Il est resté un peu plus d'un an à l'état de manuscrit, puis a été présenté au prix international européen Formentor (la récompense était un séjour tous frais payés dans l'île de Formentera), mais c'est Uwe Johnson qui l'a eu ! L'automne suivant, j'ai été consolé par le prix Renaudot !"

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