dimanche 1 février 2009

Impressions sur "Terre Natale"


"Ailleurs commence ici"

D'abord j'ai tenté 3 fois de voir cette exposition. Finalement la 4ème fut la bonne. Juste 20' de queue sur le trottoir glacial du boulevard Raspail sous le regard romantique du cèdre de Chateaubriand. (Au fait : est-ce bien un cèdre ? Etait-ce bien Chateaubriand ?) J'avais emmené avec moi un livre (des nouvelles inédites de Tchekov ; je sais, c'est très snob, mon fil me l'a déjà fait comprendre !). Des groupes d'étudiants s'épataient entre eux. Devant. Derrière. Je tentais de m'imprégner de Tchekov avec mes écouteurs dans les oreilles (mais sans musique !). Ils étaient au présent au 21ème siècle, à une période que l'Histoire jugera sentencieusement comme "l'avant quelque chose" (mais quoi ?) ; j'étais dans la Russie du Moyen Age de la fin du 19ème siècle. Les paysans se nomment des moujiks, ils portent des "touloupes" à la place de jeans, et les petits bourgeois s'appellent des barines. Les routes sont pleines de boue. Les forêts sont profondes peuplées de loups. Les villages de bois brulent souvent. Les hommes boivent toujours. Miracle de la littérature : ailleurs dans l'espace et dans le temps !
Une fois pénétré dans la Fondation Cartier, difficile de ne pas être happé par l'escalier qui descend au sous-sol : il vous tend ses marches de béton. Je ne sais pas si l'exposition à un début. En fait, a posteriori, peu importe. Dans une obscurité relative, Virilio est projeté en boucle grandeur nature ; il marche dans une petite ruelle pavée que l'on imagine parisienne, en ouvrant régulièrement les bras, ponctuant de ce geste un peu maladroit les mots très importants, empesés de gravité, de son discours. Je pense à l'énergumène dans "Tintin et l'étoile mystérieuse" qui parcourt les rues de la ville annonçant la fin du monde. J'ai sans doute tort, car tout ça est très sérieux. 2 milliards de migrants. Paradoxe : les sédentaires sont des nomades qui sont partout chez eux (TGV, aéroports, bureaux, hôtels, ...) et les nomades, eux, ne sont nulle part chez eux ; sédentaires des bidonvilles peut-être ? L'"outre-ville" est annoncée raisonnant avec "outrance" ou "outre-tombe" peut-être. Les déséquilibres sont intolérables et nous les tolérons. Accrochés au plafond, alignés comme à l'armée, plusieurs dizaines d'écrans diffusent des films relatant avec force grésillements, sauts d'images, cadrages approximatifs - bref toute une panoplie d'effets en rapport avec la précarité des situations - des pérégrinations de réfugiés. Je pense à "Eldorado" quand un groupe de réfugiés franchit de nuit un mur. 45' pour la prochaine séquence d'un film sur ? dans une salle à côté. Je m'abstiens. Plus on vieillit et plus c'est dur d'attendre : comme si l'on pressentait que l'on allait attendre bientôt trop longtemps ! Je remonte à l'étage ; je veux dire au rez-de-chaussée. Derrière un grand rideau noir, il y a une grande salle, avec un grand écran. Les gens sont allongés à même le sol (de la moquette, ouf !). Je me fraie un chemin entre les corps concentrés sur la projection d'individus représentant des groupes ethniques menacés : par l'homme blanc, par l'oubli, par l'exil, par la sélection naturelle, par le monde comme il va. Par nous sans doute qui sommes allongés, silencieux ; nous, les fameux "hommes blancs" qui ne comprendrons jamais la "terre-forêt" de ces autres hommes et de ces femmes, étrangers, presque incongrus, d'une autre planète, sacrifiés sur l'autel de notre confort. (Il y a un type qui n'a pas compris que s'il est au 1er rang il ne permet pas aux autres de lire les sous-titres ; un "homme blanc", c'est certain). Il y a cette femme qui parle devant la mer et dans le vent, jusqu'à ce qu'elle dise qu'elle n'a plus de mots et qu'elle pleure ; "je n'ai pas de mots". Ne plus avoir de mots pour un être humain, n'est-ce pas une perte d'humanité ? Une autre, ridée comme une très vieille pomme, les lèvres épaisses et pratiquement immobiles, les yeux tristes de résignation, qui nous parle de son "peuple", qui n'est plus constitué que de 11 membres, et qu'elle est la seule femme, et de ses enfants, et toutes ces questions pour lesquelles il n'y a plus de réponses possibles ; sa voie est grave, lourde et brisée comme des rochers au pied d'une falaise.

Sculpture de Zadkine (mise en bouche pour Gérard)

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