mercredi 22 septembre 2010

Place des Vosges

Elle est assise à une table à la terrasse d'un café. Elle prend des notes. Il y a plusieurs petits livres et carnets éparpillés sur la table. Elle a un verre de vin rosé et quelques olives. Elle attend quelqu'un. Un homme arrive sur la terrasse, regarde autour de lui, voit cette femme et se dirige vers elle.
Lui : Bonjour. Ah, c'est vous. Je ne pensais pas. Vous êtes...vous êtes aussi
Elle : Oui, je suis...
Lui : Le "souvenir"
Elle : Oui, mais aussi la trapéziste
Lui : Non, je préfère le "souvenir". Vous permettez que je vous appelle "Souvenir"?
Elle : Bien sûr, mais je préfèrerais que vous m'appeliez F.
Lui : Est-ce un accident ?
Elle :Quoi ?
Lui : Et bien cette chute du trapèze !
Elle : (silence) vous voulez dire dans la pièce ?
Lui : Oui, dans la pièce, si vous voulez, quand vous tombez ; je suis certain que vous le faites exprès, ou plus exactement que vous laissez le destin agir ; et comme le destin n'est pas forcément acrobate ! En fait, vous ne vouliez plus rien faire au moment où vous vous êtes lancée dans le vide. Vous ne vouliez plus rien commander de votre vie.
Elle : Mais, ...
Lui : Et il l'a bien senti, je vous l'assure : il nous l'a dit, vous vous souvenez ? "J'étais sur ma corde, je la regardais, je l'aimais mais je pensais qu'il était possible que je la perde, ce soir, car il y avait dans l'obscurité qui nous séparait une chose étrange, une impression, comme une alerte"
Elle : Une alerte ?
Lui : Oui, une alerte, silencieuse, sournoise, qui s'était installée depuis quelques secondes, portée par les centaines de regards en-dessous de nous qui, les autres soirs, étaient inquiets sans être inquiets... Vous voyez ce que je veux dire ?
Elle : oui, j'ai eu aussi cette impression : une alerte qui se gonflait en-dessous de nous et qui montait lentement comme un brouillard dans une vallée
Lui : comment est-ce possible ?
Elle : je ne sais pas, mais rapidement mon cœur s'est mis à battre et, simultanément, j'ai ressenti une immense lassitude ; vous ne prenez rien ?
Lui : mais ce n'est pas possible ! Une immense lassitude, ça ne se ressent pas subitement, ça monte lentement, oui, comme un brouillard dans une vallée
Elle : c'est drôle que vous repreniez cette image ; je me suis retrouvé il y a quelques années dans un région montagneuse du Japon
Lui : ce n'est pas très original
Elle : non, peut-être, mais c'était une région qui ressemblait aux paysages de certaines estampes japonaises où l'espace semble dilaté, les cascades immenses, quelques maisons en paille posées dans un pli de la montagne, et des personnages à cheval au premier plan qui vont rejoindre sans doute ces maisons
Lui : oui, mais le trapèze ; pourquoi l'avez lâchez ?
Elle : attendez, vous êtes tellement impatient...

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