dimanche 21 décembre 2008

La marathonien aux semelles sanglantes

J'emprunte à Gérard cette photo mystérieuse prise un matin d'automne à Hyde Park. Le joggeur inconnu a hanté pendant de longues années les jours et les nuits de mon ami. Par un concours de coïncidences (sans obligation d'achats) j'ai reconnu la foulée de cet individu. J'ai raconté l'histoire à Gérard. Il semble guéri. C'est beau l'amitié.

J'ai bien connu le coureur à pied que le hasard t'as permis de prendre en photo un matin d'automne (le 9 octobre 19.. précisément, jour de mon anniversaire – comme ça tu y penseras !) alors que tu sortais d'un pub anglais du cœur de Londres (comme l’aurait-dit le regretté Serge) où tu avais du accomplir ton devoir d'accompagnateur de quelques clients (cette fois il s’agissait de joyeux drilles quoique un peu sots mais assez fortunés pour mériter des attentions de banquier : deux dentistes, un huissier de justice, trois experts et un agent d’assurance), qui n'avaient eu de cesse depuis le matin où vous foulâtes le sol britannique que de te questionner sur la possibilité d’aller à l’essentiel : les putes dès le premier soir car, après concertation démocratique, l’unanimité des participants s’était déclarée contre la suggestion - que tu avais chuchotée d’un air gourmand dans l’avion lors de ton débriefing - de réserver le premier soir à la visite de la Tate Gallery et les soirs suivants aux putes bien entendu. Tout à ton plaisir de gouter aux délices de la contemplation prochaine des toiles de maîtres, tu ne vis pas l’ombre de la stupeur parcourir en une seconde les visages benêts de tes invités. Ton inclinaison pour la matière artistique avait failli te perdre (les cons menaçant d’en parler à ton supérieur avec lequel ça se passait toujours comme ça : les putes dès le premier soir). Mais, observant que tu avais vraiment à faire à des embourbés du bulbe, ta clairvoyance, ton professionnalisme et ton à-propos légendaires t’ont alors dicté de procéder d’urgence à un rectificatif que tu leur a livré en pâture d’un air faussement complice : « Messieurs, la Tate vous avez compris qu’on s’en branle ; on va aller se « tâter » autre chose, si vous me suivez. Les putes, c’est pour ce soir ! ». Alors là, c’était « bingo » ! Même l’huissier de justice a saisi la blague et c’est lui qui le premier a lancé un « pour Gérard, hip hip hip… ! », repris pendant plus d’un quart d’heure par chacun des sinistres couillons que ton supérieur de l’époque t’avait demandé exceptionnellement de convoyer (il faudra que tu éclaircisses un jour ce mystère), jusqu’à ce qu’une hôtesse passablement accorte, à qui l’un des experts-comptables demanda si elle pouvait se mettre à poil (ce qui déclencha instantanément un ricanement grotesque chez l’autre expert du passif), sécha en 2 secondes la misérable troupe par un lapidaire : « bon les mous du bide et du reste, faudrait voir à la fermer, sinon on va se fâcher ! », appris vraisemblablement lors d’un stage de convoyage des cadres sup du BTP pour les matches du tournoi des 6 nations.
Je me marre, mais te souviens-tu que le thème officiel de ce voyage d’études était : "Des conjectures sur la conjoncture en terme de prospective macro-économique comparée entre le secteur bancaire rural du bas Sussex (là, ça avait également bien plu au dentiste) et la région proche de La Motte-Beuvron » ? Quelle subtile couverture pour cette petite virée entre dépositaires de comptes bancaires joufflus !
Tu étais alors banquier, et quand on est banquier, on n'en reste pas moins homme ; pas vrai ?
Donc ton gars, je l'ai bien connu. Il s'appelait - et s’appelle encore – Charles-Edouard Linguat. Il était postier, marié, père de deux petites filles : Anne-Louise et Marie-Charlotte, âgées respectivement de 6 et 8 ans à l'époque de la photo. Sa femme le trompe bien entendu (pas seulement parce qu'il est postier ou coureur de fond, mais parce que c'est comme ça et qu’il faut bien que le corps exulte – comme aurait dit le vieux Jacques). Elle le trompe avec son patron, un sinistre snob du nom de Grégoire de Clorennec, agent immobilier de son état. Alors que ton objectif (un Leica ……) est en train de saisir Linguat dans une foulée allègre autant que matinale, sa femme - Marie-Elizabeth- est en train de se faire sauter par de Clorennec ; et pire que tout : dans le lit conjugal, sur l’empreinte encore tiède, du corps sportif de ce pauvre cocu de Charles-Edouard ! Mais ce que ne sait pas ce con de Clorennec, c'est que Charles-Edouard ne va pas courir 3 heures comme d'habitude (il se prépare pour le marathon de Londres qui doit avoir lieu dans 10 jours), mais une heure seulement car il a une colique d'enfer due très vraisemblablement au pâté de foie de Marie-Elizabeth qu'il s'est tapé hier soir (le pâté de foie et non Marie-Caroline, évidemment, autrement il y aurait accord du participe passé au féminin et tapé ce serait écrit « tapée » ; cette digression grammaticale pour convenir une fois encore que le diable est bien dans le détail !). J’éviterai de donner la recette du pâté de foie de Marie-Elizabeth dans ces pages car, l’ayant également testé(e) (les deux : je dois avouer que je fus moi-aussi l’amant fugace de Marie-Elizabeth, mais je précise : avant l’agent immobilier ; j’ai une éthique et un honneur !), la colique me ravagea jadis une matinée entière. Donc Charles-Edouard, qui n’en peu plus de se contracter les sphincters anaux tout en s’exerçant à parfaire sa foulée marathonienne (essayez si vous vous croyez plus fort !) va prendre la décision fatale de revenir plus tôt que prévu chez lui, au 14, Clayton Street, à quelques encablures d’Hyde Park. Comme c’est un mari attentionné (je souligne, car on ne parle jamais assez des maris attentionnés dans la littérature contemporaine), il va s’arrêter chez Starbucks, à l’angle de Clayton Street et de Macadam avenue, acheter un sac de muffins aux pépites de chocolat à la jeune serveuse qui a une poitrine euphorique, des lèvres charnues à la limite du vraisemblable, un regard langoureux de vestale crétoise, des boucles blondes qui caressent le galbe rose de ses épaules ligotées par ses bretelles de soutien-gorge comme les paupiettes de mon boucher, et… (je m’égare), alors que s’il avait été un peu plus perspicace, il aurait défoncé la porte de l’armurier qui est à l’angle de Buildmaster road et de Canargy Street, acquis un Smith et Wesson, et troué proprement la tête de son rival, alors que …
En sortant de Starbucks il croise Mrs Butterfly qui, comme chaque matin que notre Seigneur fait, promène ses minuscules Yorkshire (5 en tout !) à la manière de la vieille dame « d’un poisson nommé Wanda ».
« Morning, Mrs Butterfly ».
« Morning, Mr Linguat », lui répond la septuagénaire tout en laissant son regard imperceptiblement s’attarder avec une certaine nostalgie sur la braguette du boxer-short un peu ajusté de Charles-Edouard.
« To be and to have been, that is the problem ! », répliqua Charles-Antoine dans un anglais approximatif quoique primesautié.

Et voilà notre Charles-Edouard, inconditionnel de Philippides, qui arrive au seuil de son domicile adoré. Il saisi sa clé de la main droite, la gauche tenant toujours avec délicatesse le sac de muffins aux pépites de chocolat que la serveuse à la poitrine charnue, aux boucles blondes invraisemblables et langoureuses … (stop : je m’égare). Il pousse délicatement la porte de couleur verte (plus précisément « Old Green England ») de son abri qu’il croit familial et se déchausse sur le tapis brosse sur les poils duquel se détache en lettre gothique et de couleur sombre un « Bienvenue » franc et massif qui ne trompe pas quant à la qualité de l’accueil qui peut être réservé à toute personne de passage (sous réserve de disposer d’une carte de séjour en règle ; c’est quand même la moindre des choses !). Je tiens à noter ici, afin que le lecteur sache que je ne suis pas insensible à un certain degré de précision dans le récit, qu’un écrivain plus soucieux du détail que moi pourrait évoquer le fait que ce tapis brosse, comme tous les tapis brosse du monde d’ailleurs et pour peu qu’on s’y intéressât, abrite dans l’épaisseur de ses poils drus, une incroyable richesse, une profusion d’éléments aussi différents que des milliers de colonies d’acariens grouillant d’activité, des vestiges plus ou moins décomposés de déjections canines, quelques traces d’urine témoignant du passage récent et probable d’un incontinent (serait-ce l’oncle de Marie-Elizabeth ?), des bouts de poils de toute sorte, et bien d’autres échantillons de la vie quotidienne qu’un esprit curieux et littéraire saurait résumer en quelques pages bien senties, fustigeant définitivement l’indigence de la littérature contemporaine qui ne sait plus disserter que sur des thèmes sans doute fondamentaux, mais néanmoins arides, comme : « Et si c’était vrai ? », ou « Serais-tu là ? », ou encore « Je reviens te chercher ».
Bien, revenons pour notre part à notre héros : la caméra de surveillance du hall d’entrée, que Charles-Edouard s’était vu imposer d’installer par un assureur peu rassurant, et dont les images seront visionnées plus d’une cinquantaine de fois par les policiers de la NSY quelques jours après le drame, montrent un Charles-Edouard grimaçant (sans doute ses troubles intestinaux) tenant le sac de muffins de la main gauche, et sa paire de chaussures d’entrainement avec sa main droite. Il n’est visiblement pas tout à fait dans son assiette ; la maîtrise de ses sphincters anaux mobilisent une très grande partie de ses facultés mentales. Il hésite un instant puis prend la décision salutaire pour la moquette d’aller immédiatement aux toilettes. Charles-Edouard disparaît du champ de repérage de la caméra.
Vingt minutes plus tard, il réapparait sur l’écran. Il semble soulagé (la moquette aussi !). Rien en apparence a changé dans son attitude. A peine peut-on distinguer sur son visage un léger rictus sauvage, un voile de haine que les évènements tragiques de la suite peuvent seuls expliquer.
« J’espère qu’il s’est lavé les mains cet enfoiré ! », commenta l’agent Robert B. Crafford de la NSY, en charge de l’enquête en visionnant la bande.
On souhaite effectivement qu’il se soit laver les mains (pour les muffins). On se demande pourquoi il porte toujours une paire de chaussures à la main droite, d’autant qu’il s’agit de ses chaussures de sprint dont la semelle est équipée de 9 pointes en acier inoxydable de 2,5 cm de longueur (diamètre 3 mm pour être précis). Pourquoi des chaussures à pointes et non ses chaussures de jogging ? La réponse à cette question sera apportée bien plus tard, lors de l’enquête menée par l'agent Robert B. Crafford de la NSY, et alors que le perspicace représentant des forces de l’ordre visionnait pour la 47ème fois le film de l’arrivée de Charles-Edouard dans le hall. Il remarqua un détail en bas à droite de l’écran qui avait échappé jusqu’à présent à tous les fins limiers de la NSY ; détail qui devait lever un voile déterminant sur l’affaire (je suis dans de beaux draps !).
Bien, revenons à notre héros : il jette un œil à la cage d’escalier. La caméra capte encore un court instant son regard aux reflets psychopathétiques, et puis l’écran se fige affichant le calme bourgeois d’un intérieur qu’on dirait reconstitué pour les besoins d’une série B.
Il est possible d’imaginer que Charles-Edouard gravit ensuite les marches de l’escalier devant le conduire à la chambre nuptiale. Ouvre-t-il délicatement la porte du nid conjugal, ou bien fait-il une entrée fracassante dans ce qu’il faut bien s’accorder à nommer « l’antre de la débauche » comme le firent dès le lendemain de la révélation du crime, tous les tabloïdes dignes de ce nom ?
Le visionnage de la cassette de ce con de de Clorennec tendrait à privilégier la 2ème hypothèse tant il est vrai que subitement, alors que l’agent immobilier déguisé en coolie cantonnais s’apprête à porter l’estocade dans son exercice de copulation asiatique à une Marie-Elizabeth totalement soumise, la besogne plutôt bien rythmée jusqu’à présent (je veux dire depuis le début du visionnage de la cassette) laisse place à la stupeur et aux tremblements : de Clorennec se retourne saisit d’effroi, hurle un « je vais vous expliquer », puis un « c’est un malentendu ».
Je suis peut-être aller un peu rapidement pour le lecteur attentif. A cet instant du récit, il faut préciser que de Clorennec est un pervers. En effet l’individu ne pouvait chevaucher sa maîtresse sans se faire filmer. Il disposait donc deux caméras sur pied aux 2 angles de la pièce (des esprits chagrins souligneront qu’en théorie une pièce normale à 4 angles ; mais ce sont des esprits chagrins !) qui filmaient l’intégralité du kama-sutra illégitime. C’est ainsi que les agents de la NSY purent avec une facilité déconcertante reconstituer l’intégralité du fait divers qui se déroulait curieusement en automne d’ailleurs. (c’est bon, Gérard ?).
Et qu’est-ce que vit l’agent Robert B. Crafford de la NSY quand il visionna la cassette de l’agent immobilier ? Il vit un Charles-Edouard se précipiter sur son rival et commencer par lui labourer le bas du dos avec ses pointes de sprint. Le roi du bail 3-6-9, imaginant que le mari jaloux s’en tiendrait là, répétait en pleurnichant que c’était un malentendu. Erreur fatale ! Charles-Edouard qui s’était rééquipé de son « Sonotone » à l’occasion de son passage dans les toilettes, ne supportait pas que l’on puisse le taquiner à propos de sa surdité précoce. Les plaintes du bonimenteur de la pierre-refuge ne firent qu’exciter le cocu. Rapidement, il passa du dos, au ventre (qu’il avait assez gras et luisant) pour s’acharner définitivement sur le visage, le cou et le crane. Je ne sais pas si vous avez déjà vu l’effet que fait (mais c’est fou !) une semelle à pointes en acier inoxydable de 2,5 cm de longueur et de 3 mm de diamètre quant elle est plantée d’un geste (très) nerveux dans le faciès livide d’un type à poil déguisé en coolie cantonnais, et que l’initiateur du geste semble vouloir arracher avec ledit instrument (la semelle + les pointes) la totalité du visage du gusse en question. Même si ce dernier l’a mérité ; c’est difficile à supporter, croyez-moi !
Et Marie-Elizabeth dans tout ça ? Evidemment, elle laisse tomber son amant, qu’elle a toujours pris pour un con, et s’emploie à calmer son joggeur de mari. Le film montre que Charles-Edouard, couvert de sang de la tête au pied, interrompt le carnage un instant pour se retourner vers son épouse infidèle (laquelle, bien entendu, le supplie d’arrêter en tentant de lui prodiguer, à l’aide de tous ses organes disponibles, un massage effréné du bas-ventre). Mais le répit est de courte durée, car il lui assène quasi-immédiatement un énorme coup de boule façon Zidane en coupe du monde qui lui éclate la moitié supérieure du visage. Il ratisse ensuite avec sa semelle la partie tuméfiée et le reste encore valide à la manière d’un artiste donnant à son œuvre la touche finale ; celle qui participe du sublime.
Pendant 3 heures, Charles-Edouard, petit postier prenant son pied à petits pas, se métamorphose sous l’œil mécanique des caméras du chantre de la rentabilité assurée, en un monstre froid, achevant progressivement les amants avec juste ses deux semelles et ses crampons.
Charles-Edouard fut condamner à 20 ans de réclusion et libéré au bout de 12 ans pour bonne conduite.
A sa sortie de prison, il se reconvertit dans la fabrication de chaussures à crampons.
Il vit depuis plusieurs années dans le Sussex (et ça fait toujours marrer les dentistes !).
J’ai négligé de vous indiquer que si de Clorennec était déguisé en coolie cantonnais, c’est qu’il tentait précisément sur sa maîtresse une brouette cantonnaise. Il échoua bien entendu au 3ème mouvement (le plus acrobatique) et du se cantonner (!) à la brouette chinoise, plus superficielle et plus accessible il est vrai !Les deux policiers dont on aperçoit la silhouette dans la brume du petit matin sont en réalité des frères siamois d’origine hongroise : les frères Debrencensko. Ils défrayèrent la chronique judiciaire des années 90 car ils se retrouvèrent au coeur des affaires criminelles les plus sordides de l’époque. Le fait qu’ils soient sur la photo ne préjuge en rien d’un quelconque lien avec l’affaire dite du « Marathonien aux semelles sanguinaires » relatée précédemment. Mais on peut nourrir quelques doutes (de toute façon, ça ne coûte pas très cher), car les frères Debrencensko, agents de la NSY et donc a priori au-dessus de tout soupçon, étaient en fait les propres instigateurs des meurtres épouvantables sur lesquels ils enquêtaient (ça me rappelle quelque chose !). Mais c’est une autre histoire !

2 commentaires:

  1. Quelle virtuosité, quelle imagination dans le propos! Je dois dire que je me suis marré tout seul pendant de longs moments !
    Bravo, t'as de l'avenir dans ce domaine, Pergame ! De plus, intellectuellement parlant, j'ai toutes les réponses à mes interrogations quasi-métaphysiques, merci encore cher Docteur.

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  2. C'est sympa, mais j'ai quand même souffert pour sortir tout ça ! Je vais pas pouvoir le refaire tous les matins, sauf à donner ma démission de setec ! Je ne suis pas certain que tu es retrouvé toute ta sérénité car il reste un paquet de question en sursis : où sont les filles de Charles-Edouard ? qui a mangé les muffins aux pépites de chocolat ? Les frères siamois hongrois ont-ils été de près ou de loin les instigateurs du rouage criminel et impitoyable dans lequel CH a été broyé (quelle phrase !)? Pourquoi CH remonte-t-il avec ses chaussures à pointes des toilettes alors qu'il était décsendu avec ses accessoires de jogging ? Tu fais bien de faire le plein d'oxygène car il va en falloir pour l'année à venir ! Les chevaux n'ont qu'à bien se tenir !

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