Je reviens ici sur une interrogation de Gérard sur la question de la légèreté en architecture. C'est après la lecture d'un texte d'Italo Calvino que Gérard se demandait si dans d'autres formes d'art la question de la légèreté se révélait avec l'exigence particulière soulignée par l'auteur italien. Le passage principal concernant la légèreté était celui-ci : "je me suis efforcé surtout, d'ôter du poids à la structure du récit et au langage".
Immédiatement, j'ai pensé à Frank Lloyd Wrignt qui demandait à ses étudiants dont il examinait le travail ; "et maintenant, qu'est-ce qu'on enlève ?".
Le thème de la légèreté est couramment au centre des réflexions architecturales. Parfois, son utilisation relève du cliché au même titre que la transparence, ou que la modernité.
En premier lieu, il est indispensable de dire clairement que ni la légèreté, ni la transparence ne suffisent à qualifier une oeuvre architecturale ; de même, ces attributs ne sont pas indispensables à la qualité elle-même. Une oeuvre peut être massive et opaque et délivrer une charge émotionnelle forte (les thermes de Vals de Zumthor, l'église de Ronchamps de Le Corbusier, certaines oeuvres de Khan, Baragan, Mario Botta, etc.).
Néanmoins, certaines architectures recherchent à l'évidence d'être perçues comme "légères". Il y a un défit à représenter la légèreté par quelque chose composée de matériaux "lourds" comme le béton, le verre ou l'acier. La légèreté - me semble-t-il - peut se traiter de plusieurs manières :
- la "sustentation" qui consiste à "glisser" un vide entre le sol et la construction (le Quai Branly, la maison Woodworth de Mies, les bureaux de Canal+ de Porzamparc à Boulogne en bord de Seine, la villa Savoye de Le Corbusier). Mais la grande référence en terme de légèreté, c'est la Neue Galerie de Mies van der Rohe à Berlin, car les points d'appuis principaux sont (presque) invisibles et que la structure en métal noire parait flotter dans l'espace. Plus près de nous, et bâtiment emblématique aussi, la Maison de l'Iran de la Cité Universitaire près de la porte d'Orléans (Claude Parent architecte).
- le porte à faux (variante de la sustentation) qui peut, simultanément à la légèreté, apporter une impression de déséquilibre (le Palais de Justice de Manchester, l'université de Valence de Calatrava, l'immeuble de la télévision chinoise à Pékin de Koolhaas)
- l'élancement bien sûr, surtout dans sa déclinaison horizontale (les passerelles, en particulier, telles que : la passerelle Simone de Beauvoir à Paris, certains ouvrages suisses dont je n'ai plus les références, le pont en Corée de Riciotti, la coque du CNIT...)
- le rythme donnée par la modénature de la façade et son élégance donnée par le soulignement plus ou moins affirmé de certaines lignes de composition
- la matérialité (le verre est évidemment le matériau de la transparence, mais également de la légèreté ; aujourd'hui on utilise de plus en plus des structures légères gonflables faites en ETFE (Ethylène tétrafluoréhylène) ; l'exemple le plus connu est la piscine olympique de Berlin, ou le Stade de foot Arena Allianz d'Herzog et de Meuron à Munich). Jean-Paul Viguier est en train de réaliser un très grand centre commercial à Lyon-confluences avec une toiture entièrement en structure gonflable. La couverture de l'atrium d'un des derniers bâtiments universitaires de Jussieu du à l'agence Périphériques est également dans ce matériau.
On pourrait citer également l'évidement des structures (le jeu des pleins et des vides cher à l'école moderne, mais aussi la Tour Eiffel, le "nid d'oiseau" d'Herzog et de Meuron).
La légèreté en architecture doit beaucoup à l'apparition, dès le début du 20ème siècle de nouveaux matériaux comme le béton armé et l'acier. Les architectes ont pu créer des structures beaucoup plus audacieuses avec un rapport vide/plein toujours plus élévé ; les portées ont considérablement augmentées en même temps que les sections des poutres ou des coques diminuaient. Evidemment cette tendance a toujours plus d'élancement s'est amplifiée au cours des années et aujourd'hui, grâce à des bétons à très haute performance (le Ductal par ex), on réalise des franchissements avec des épaisseurs de dalles ou de poutres de plus en plus fines, et donc légères. Le thème de la légèreté est également un crédo de certains architectes actuels qui se sont investis dans le Développement Durable comme Nicolas Michelin par ex. Il considère en effet que c'est une qualité à rechercher impérativement quand on souhaite inscrire son bâtiment dans le DD.
En final (provisoire ?) on ne peut traduire, en architecture, la qualité d'une oeuvre en disant : elle est légère, ou massive, ou rationnelle, ou destructurée... Sans doute dans le concept de légèreté comme Calvino l'entend, il y a surtout cette idée qu'une oeuvre, en littérature (et on peut l'étendre à l'architecture) atteint à un certain niveau de qualité si chaque pièce de l'édifice est d'une certaine manière juste.
Je pense à la phrase du chirurgien Claude Bernard : "tous les phénomènes d'un corps vivant sont dans une harmonie réciproque telle, qu'il parait impossible de séparer une partie de l'organisme, sans amener immédiatement un trouble dans tout l'ensemble".
Bonjour,
RépondreSupprimerEtes vous architecte ?
Bonjour, Désolé de découvrir votre question avec un tel retard, mais j'avais un peu déserté mon blog depuis quelques mois. Je ne suis pas architecte mais l'architecture est l'un de mes sujets de prédilection. Je suis ingénieur de formation. J'ai collaboré de nombreuses années avec des architectes et, alors qu'aujourd'hui je suis à la retraite, je continue à accompagner des architectes dans leurs réflexions sur le développement de leur activité. J'ai tenu durant une quinzaine d'années une rubrique traitant des rapports entre la technique et l'architecture ; c'était dans une revue d'ingénieurs. J'ai rassemblé l'essentiel de ces chroniques dans un ouvrage paru en 2012 : Un certain regard. J'ai également écrit pendant plusieurs années pour la revue archiStorm et quelques articles pour Architecture d'Aujourd'hui. J'écris actuellement un article sur Alvar Aalto à paraitre dans la revue "Séquence bois".
Supprimerc'est très inspirant, facile à lire avec des références qui illustre vos pensée j'adore!! j'espère vous lire bientôt, bonne continuation.
RépondreSupprimerMerci pour votre commentaire. Si vous souhaitez poursuivre la lecture de choses que j'ai écrites : j'ai publié l'an dernier un roman, "Abuelo", et un 1er recueil de poèmes. J'ai publié cette année un 2nd recueil de poèmes qui fera l'objet d'une dédicace le 25 septembre à "La petite machine à lire" à Bordeaux.
Supprimer