samedi 12 février 2011

de l'enthousiasme (1)

L'enthousiasme constitue-t-il une forme intempestive de naïveté ou la traduction d'une certaine générosité et d'une envie simple des choses de la vie ? L'enthousiasme n'est pas à confondre avec la passion ; sauf à traduire la manifestation passagère d'un engouement superficiel qui se rapproche de l'excitation, il n'est pas aveugle mais plutôt, essentiellement, porté par la curiosité qui représente la première condition nécessaire (non suffisante) de l'intelligence.
L'acte de création (mais plus généralement tout acte d'intelligence) a besoin d'enthousiasme. La comparaison est triviale, mais c'est un peu comme l'étincelle du moteur ; vous pouvez disposer de la meilleure mécanique, sans l'étincelle originelle et l'entretien continu de cette "flamme électrique", le moteur s'arrête. L'enthousiasme n'est pas velléitaire ; il a besoin d'être répété pour exister, avec spontanéité ; relève-t-il d'une nature, d'une disposition particulière ?
Digression :
Mon observation quotidienne des architectes et des ingénieurs me permet de dire - sans trop généraliser - que l'une des différences majeures d'ordre comportementale entre ces deux populations réside dans le degré d'enthousiasme dont l'une ou l'autre témoigne. Pour tout dire, je me pose cette question : les études scientifiques sont-elles des fossoyeuses d'enthousiasme ? Lorsque la méthodologie du raisonnement est codifiée (analytique, séquentiel, linéaire), lorsque la solution ne peut être que "vrai ou faux" (autrement dit binaire), et enfin, quand le système de comparaison des valeurs est principalement (exclusivement ?) fondé sur la compétition, quelle place peut prendre l'enthousiasme ? Lui qui se nourrit d'une certaine générosité, de doutes, d'impasses assumées autant qu'indispensables, d'impertinence, de plaisir, de fulgurances, de jubilatoire, ...
Un de mes amis parlent même de gaspillage ; un "gaspillage positif". Je ne partage pas entièrement son point de vue ; bien sûr, il n'y a pas d'enthousiasme sans une dépense d'énergie non comptabilisée (comptable : à la manière d'un épicier) ; mais alors que le gaspillage renvoie a une notion de négligence et "d'irrécuperation", les instruments de l'enthousiasme évoqués précédemment, au premier rang desquels la générosité, constituent la matière nourricière de la création. Et s'ils doivent, dans une proportion parfois non négligeable, être abandonnés en chemin, il n'y a pas de regrets à formuler : sans eux, sans leurs sacrifices, il n'y a pas de création possible.
J'ai une image pour cela : à l'occasion d'une biennale d'architecture à Venise, j'avais été intéressé par un pavillon dont le sol était entièrement recouvert par un tapis d'une dizaine de centimètres de bouts de papier, maquettes, morceaux de balsa, etc. . On pouvait y distinguer des bouts d'esquisses, des fragments de calculs, des graphiques raturés, des flèches, des phrases ; toutes choses qui paraissaient inutiles et "gaspillées". J'eus à cette occasion la certitude que cette débauche d'énergie constituait cette matière nourricière sans laquelle le "projet" ne pouvait s'affirmer.
A l'opposé du champ créatif, la technocratie se complait dans des certitudes fades. Le seul avatar d'enthousiasme que l'on fait miroiter aujourd'hui aux élites scientifiques c'est ces crises d'adrénaline garanties le cul sur un fauteuil ergonomique devant un poste de trading envahi d'écrans bavards vibrant à la moindre rumeur imbécile. Le master de finance le plus coté de France est logé à l'Ecole des Ponts ; navrant !
Pour tenter d'excuser les ingénieurs, il faut avouer que la société du spectacle ne fait pas grand effort pour aller au-delà des images ou de l'incantatoire ; et ni l'expression plastique ni l'orale sont le fort des scientifiques. Dans l'univers de la conception de bâtiments on devrait apprendre dans les écoles d'ingénieurs à s'exprimer, à expliquer un projet plutôt qu'à conditionner les élèves à "démontrer", et démontrer encore. Il y a d'ailleurs dans l'exercice de la démonstration, soit un chef d'œuvre (rarement) soit une castration (le plus souvent).
Dans l'enseignement du philosophe Virillio à l'Ecole Spéciale d'Architecture, il y avait m'a-t-on dit un exercice qui consistait à réfléchir au "mauvais" projet. Pourquoi s'agit-il d'une fausse route ? Pourquoi tel parti ne peut être le bon ? L'exploration des impasses était ainsi considérée comme une pédagogie vertueuse.
Autre chose qui n'a (presque) rien à voir : Kaplicky, figure de l'agence d'architecte Future System disait que "même l'ingénieur de chez Boeing peut être un artiste". A prendre au 1er ou au 2ème degré ?

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