samedi 2 octobre 2010

Le Guépard


Quel livre ! Aragon prétendait qu'il s'agissait d'"un des plus grands romans de ce siècle." Giuseppe Tomasi Di Lampedusa mourra pourtant avant de recevoir le bon à tirer pour son œuvre. Il s'éteint à Rome le 23 juillet 1957 d'une tumeur au cerveau. Le Guépard, c'est le Prince de Salina, Don Fabrizio, le dernier représentant d'une aristocratie sicilienne qui va être balayée par la naissance de l'Italie moderne. L'histoire de cet homme, du regard qu'il porte sur un monde qu'il a toujours soumis avec élégance mais fermeté, des valeurs qu'il incarne - valeurs qui se voudraient éternelles -, du jeu de pouvoir fatal entre cette noblesse institutionnelle et les nouveaux riches, de la chute de la maison Salina, constituent la trame du roman. Di Lampedusa, descendant de cette aristocratie, s'est inspiré de personnages qu'il a connus dans son enfance. Il parvient à rendre parfaitement l'ambiance d'un monde qui, définitivement, ne va plus appartenir qu'au passé, avec les accents emphatiques d'une certaine nostalgie, les détails érigés en éléments essentiels, les rites et les postures obligés et reconnus de tous. Tout ce récit, qui pourrait reprendre le titre de Garcia Marquez "Chronique d'une mort annoncée", est servi par un style qui emprunte au baroque le dessin habile de ses volutes, l'extraordinaire profusion de son décor, en y instillant dans chaque phrase une grâce supplémentaire et un esprit digne du travail d'un sculpteur génial, un Rodin, qui parvient à insuffler la vie à un bloc de glaise.
Extraits :
"...; de la fontaine entière, des eaux tièdes, des pierres revêtues de mousses veloutées émanait la promesse d'un plaisir qui ne se muerait jamais en douleur."

Chevalley est venu proposer au Prince un poste au sénat. Il s'en retourne en diligence. "Il faisait à peine jour ; le peu de lumière qui parvenait à percer le matelas des nuages était de nouveau retenu par la saleté immémoriale des portières. Chevalley était seul ; entre les chocs et les secousses, il mouilla de salive le bout de son index, nettoya une vitre, juste la largeur d'un œil. Il regarda ; devant lui, sous la lumière de cendre, le paysage cahotait, sans rachat."

La dernière phrase du roman est une métaphore de la chute misérable et définitive du Guépard - ou plutôt de tout ce qu'il a pu représenter - transfiguré dans la sinistre carcasse empaillée de son chien que l'on jette à la benne.
"...au cour de son vol par la fenêtre sa forme se recomposa un instant : on aurait pu voir danser dans l'air un quadrupède aux longues moustaches et la patte droite antérieure semblait lancer une imprécation. Puis tout s'apaisa dans un petit tas de poussière livide."

J'ai choisi cette photo de Lampedusa qui traduit un certain désenchantement : solitude, assis en marge d'un très beau banc de pierre, costume sombre, une main qui se distingue et qui semble vouloir retenir la fuite du temps, nostalgie, une certaine noblesse, l'incompréhension.

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