Ici on tente de s'exercer à écrire sur l'architecture et les livres (pour l'essentiel). Ça nous arrive aussi de parler d'art et on a quelques humeurs. On poste quelques photos ; celles qu'on aime et des paréidolies. Et c'est évidemment un blog qui rend hommage à l'immense poète et chanteur Léonard Cohen.
jeudi 4 juin 2009
Le plateau du Kirchberg au Luxembourg : un paradis (fiscal) architectural ?
Le plateau du Kirchberg est une zone d’environ 360 ha situé au Nord-Ouest du centre ville de Luxembourg. Son urbanisation dans les années 60 s’est effectuée principalement via l’édification de plusieurs bâtiments destinés à accueillir les services des institutions européennes.
Puis dans les années 80, vinrent des établissements financiers, et plus récemment ce quartier d’affaires s’est enfin ouvert à l’art et la culture avec la construction de la Philharmonie de Christian de Portzamparc, et le Musée d’Art Moderne Grand-Duc Jean de l’architecte sino-américain Ieoh Ming Pei (le même que la Pyramide du Louvre, béotiens !).
Aujourd’hui, le site ne cesse d’accueillir de nouveaux bâtiments emblématiques, construits parfois sur les ruines de leurs prédécesseurs, comme la nouvelle Cour de Justice Européenne de Dominique Perrault. Ce dernier, auteur de la très controversée Bibliothèque de France, a connu après ce succès de jeunesse une certaine désaffection de la part de la commande hexagonale. Mais de cet exil forcé, Dominique Perrault ne semble pas trop avoir souffert, car il lui a été donné de concevoir et de réaliser, loin de son Auvergne natale, de nombreux bâtiments prestigieux comme la piscine et le vélodrome olympique de Berlin, une université en Corée du Sud, des hôtels en Espagne et en Italie, ou le pendant de Roland Garros à Madrid.
Avec la Cour Européenne de Justice du Luxembourg, inaugurée en décembre 2008, Perrault signe un véritable manifeste que l’on serait tenté de qualifier davantage de « plastique » que d’architectural, si l’ensemble de plus de 150.000 m2 n’était pas en définitive conçu pour abriter une population d’environ 2.000 fonctionnaires. Manifeste décliné jusqu'au dessin du mobilier et des moindres accessoires ; Perrault est le seul architecte, je crois, à réussir à s'imposer sur le "total look".
On retrouve, dans la composition de ce nouvel ensemble édifié en lieu et place d’un bâtiment des années 70, une très grande rigueur géométrique - un parallélépipède enfermé dans un rectangle épais - amplifiée par le choix d’une palette chromatique réduite à ce que l’on pourrait qualifier d’« ultra-noir », par analogie aux toiles abstraites de Soulages ; encore que cet « ultra-noir-la », contrairement à celui du peintre, ne concède aucune fantaisie, aucun reflet, tant sa teinte et sa matière sont d’un mat absolu.
Abstraction et sacré – il y a un peu de la Kaaba dans le bâtiment central - dialoguent dans une sorte de quête de l’essentiel juste trahie, de mon point de vue, par certains éléments de décor comme le couronnement périmétrique en plaques de verre fumé, ou les accessoires baroques des sas de communication aux salles d’audience.
En opposition à cette composition horizontale de plus de 600 m de long, Perrault a érigé deux tours jumelles de bureaux pour les traducteurs dont l’élancement est impeccable, et dont les façades, enrichies d’une tôle perforée, pliée et teintée bronze-doré, miment l’aléatoire et, au soleil couchant, s’inspirent des tourments du roi Midas.
En pénétrant par l’entrée des visiteurs – presque invisible comme souvent chez Perrault – on accède immédiatement après, à un vaste espace où le noir (encore)règne sans partage ; sorte de salle des pas perdus inquiétante, bridée de structures métalliques dont l’assemblage revendique le vocabulaire d'une ingénierie sans inspiration, où les ventilateurs de désenfumage sont mis en scène comme dans un décor de film de fiction des années 60. Au plafond, des cages grillagées pour l’insonorisation de l’espace, noires ; au sol un béton ciré, encore noir ; juste au-dessus de nos têtes, un luminaire immense – œuvre de l’architecte - en forme de spirale aux allures de ressort mécanique d’une montre gigantesque.
Cet espace, voué à des expositions, offre une perspective en contrebas sur ce que l'on devine devoir être « le clou du spectacle » : la grande salle d’audience et surtout son baldaquin de toile tissée métallique dorée – un matériau fétiche chez Perrault depuis la Très Grande Bibliothèque – qui se déploie avec une certaine solennité baroque dans le vide au-dessus de l’assistance.
Dans la « gestion » des grands espaces, on sent que la main de Dominique Perrault ne tremble pas. Il y aurait même chez lui comme une certaine jubilation à traiter de ces échelles architecturales monumentales.
Mais mon regard a été admiratif pour deux « détails » en particulier : un escalier qui se déploie dans l’espace comme un coquillage, juste guidé par deux tôles d’acier à la manière d’une sculpture de Serra ; les petites passerelles de liaison en verre entre le cœur du dispositif et le péristyle de bureaux qui sont des petits bijoux de précision et de légèreté.
A quelques centaines de mètres de la Cour de Justice, la Philharmonie, qui date de 2005, invite à une promenade dans un univers totalement opposé, construit sur la courbe et la lumière, les couleurs et la profusion d’espaces singuliers.
Vu de l’extérieur la Philharmonie se présente comme un bâtiment sensiblement elliptique, d'un blanc absolu, d’une grande légèreté avec ce déroulé de poteaux très fins qui peut évoquer, sans que la métaphore soit gênante, une harpe monumentale.
Le bâtiment est presque un manifeste également ; on peut y retrouver tout le vocabulaire de Christian de Portzamparc : la rue intérieure comme pratiquée déjà à la Cité de la Musique de la Porte de Pantin, le dessin parfait d’une coursive en béton, la multiplication des intersections complexes de volumes coniques, les couleurs pastel, un souci affirmé de l'esthétisme, ...
On est, là encore, admiratif du talent de certains grands architectes à imaginer, puis maîtriser l'échelle d'espaces aussi complexes.
La salle de concert, dont la réputation acoustique attire aujourd’hui les plus grandes formations mondiales, a des allures de morceaux de ville, avec ses éléments verticaux dessinés comme les façades d’une cour urbaine, munies de loges pareilles à des balcons de maisons particulières.
La seconde salle, celle de la musique de chambre, plus petite, est d’une élégance de courtisane. On y accède par le haut, par une rampe un peu lascive qui glisse dans l’espace comme la traine d’une cantatrice. Christian de Portzamparc a exploré une nouvelle fois les ressources secrètes du ruban de Moebius, dont la surface courbe non focalisante est un accessoire énigmatique à la composition d’espaces musicaux.
Mais il y a aussi quelque chose de mystique dans la conjugaison des formes et des couleurs ; la musique est ici servie par un espace et des matériaux – le bois en particulier - qui lui offre à l’évidence une spiritualité supplémentaire.
Pour évoquer son travail sur les espaces voués à la musique, l’architecte a ces mots : « J’aime concevoir des formes architecturales pour la musique. L’écoute et le regard, deux royaumes de perception y dialoguent et se répondent librement. C’est une grâce de l’espace. L’émotion musicale, c’est la découverte et l’entrée progressive dans un monde autre qui se déploie dans la durée. »
Perrault travaille dans le sériel et une certaine dureté mécanique ; Portzamparc dans la variation et la douceur organique. C’est étonnant de voir successivement l’expression de styles aussi opposés. A l’évidence, l’émotion ne relève d’aucun commandement, d’aucune disposition règlementaire ; elle le fruit du seul talent.
Article à paraître dans la revue "L'Ingénieur Constructeur", N° de jullet ou septembre 2009
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avez-vous déjà publié un message sur le Musée d’Art Moderne Grand-Duc Jean de l’architecte sino-américain Ieoh Ming Pei ?
RépondreSupprimerSi oui, merci de me donner la référence...
cordialement
F.H.