dimanche 7 juin 2009

Couvent des Récollets

Dans le cadre de la manifestation "Paris en toutes lettres", je me rends au Couvent des Récollets près de la gare de l'Est, magnifique exemple d'architecture religieuse des 17ème et 18ème, qui accueille depuis sa rénovation en 2003 la Maison des architectes d'Ile de France. Et cet après-midi, 8 juin 2009, plusieurs rencontres sont programmées avec des écrivains. J'ai choisi celle sur le thème "La littérature de l'hospitalité" avec Amin Maalouf, Neil Bissodatt, Abdelkader Djemel et surtout Duong Thu Huong. J'avoue que je viens plutôt pour elle dont je viens de terminer son 1er roman "Itinéraire d'enfance", présenté à la "Première" du Square Littéraire hier soir.
La rencontre-débat se déroule dans une très belle salle à la voute basilicale (si je ne me trompe) dont la charpente en bois, avec ses arcs plein-cintre, est d'une très grande beauté. Je prends place au premier rang, juste devant la longue table qui va recevoir dans quelques instants les quatre écrivains. Derrière la table, il y a un mur immense, dont la surface est comme un palimpseste écorché sur lequel on devine quelques traces timides de domesticité qui paraissent bien sages par rapport aux multiples zébrures, arrachements, délitements qui composent l'essentiel d'un tableau d'une force primitive. L'éclairage qui est assez tamisé apporte un supplément d'inquiétude à cette oeuvre improvisée.

Les quatre écrivains prennent place. Un animateur italien avec une pointe d'accent dans le bavardage présente chaque intervenant puis procède à leur questionnement. C'est Maalouf qui fait l'entame. Duong Thu Huong a un très beau visage emprunt d'une gravité un peu triste. Elle écoute en plissant les cils fréquemment. Elle se retourne et observe le mur derrière elle. Partage-t-elle mes impressions ? Se dit-elle que cette surface est sinistre - quand je lui trouve une certaine beauté ? Ces cicatrices sur la pierre partiellement enduite lui rappellent-elle les murs des prisons vietnamiennes dans lesquelles elle fut enfermée plusieurs mois. J'avoue ne pas avoir retenu grand chose de l'intervention de Maalouf. Il a affirmé ne pas aimer le mot "racines". Pour un écrivain, ce qui est important c'est les routes qu'il prend, dit-il. Puis l'animateur italien interroge Neil Bissodatt, écrivain canadien d'origine jamaïcaine. Il est professeur à Montréal. Il s'exprime en français avec une sympathique pointe d'accent québécois. Il a choisi de quitter la Jamaïque à 18 ans. Ses parents, aisés, lui avaient permis de voyager à travers le monde. A la lisière du monde adulte, cette île des Caraïbes lui ait apparu trop petite. Il écrit ses romans en anglais car tous les personnages dont ils s'inspirent sont des gens qu'il croise et qui vivent en anglais.

Puis vient le tour de Duong Thu Huong. Elle commence par s'excuser de son français "minable" (elle utilisera à plusieurs reprise ce qualificatif). Elle a une voix d'adolescente. Elle se considère comme une "combattante". Elle raconte comment elle a appris le français. Quand elle fut emprisonnée, on lui autorisa d'avoir avec elle un seul livre : soit un livre de pharmacie, soit un dictionnaire franco-vitenamien. Elle choisit le second. Elle parle de son adolescence de jeune fille issue d'un milieu non privilégié (traduire : non communiste de la Nomenklatura) pour lequel l'accès à la littérature était extrêmement limité. Outre les livres d'auteurs russes, quelques classiques de la littérature française trainaient sur une étagère dans un coin de la salle de classe, recouverts d'une méchante couverture en papier bleu clair : "Les Misérables", "Eugénie Grandet", ... Elle nous dit en riant que "Espèce de Grandet" est une insulte en vietnamien ! Apprendre le français fut pour elle l'occasion de s'ouvrir sur l'univers. Elle parle de notre pays qui est très beau, très calme, où chaque ville se vante de ses bons petits plats. Elle déteste seulement Marseille où, à peine arrivée, elle se fait braquer dans une voiture et voler tous ses papiers. Depuis elle est une "sans-papier". "Pour moi, être ici en France, est la seule solution pour vivre de la littérature." A la question de la possibilité d'écrire sur la France et plus sur le Vietnam, Duong Thu Huong semble dire que les plaies sont encore trop vives, que l'écrivain est un être de mémoire, et sa mémoire est à l'évidence là-bas. D'autres phrases sont dites par d'autres intervenants : "Tous les êtres autour de moi sont clairs, et il n'y a que moi qui suis flou" ; "Toute personne a légitimité à parler de tout ce qui est humain." A la question d'un personne de la salle demandant si chaque écrivain pouvait citer une anecdote illustrant la question de l'hospitalité, seul Neil Bissodatt parle du jour de son arrivée au Canada où, complètement perdu, il demande à un "business man" de lui indiquer une adresse, et que cet homme prend tout son temps pour l'amener exactement à l'adresse en question. Maalouf dit en avoir plein, mais n'en trouve pas une sur l'instant. Duong Thu Huong se retranche derrière son français "trop minable". Et Abdelkader Djemel n'en a visiblement pas considérant sans doute, comme il le dit, "Que sur les 100 km qu'il y a à faire entre moi et vous, j'en ai fait 98, et vous n'êtes pas capable d'en faire 2 !". Un peu vrai peut être. Dommage !

2 commentaires:

  1. Tu as vraiment du bol d'avoir vu Duong !
    C'est extraordinaire de parler d'un livre un jour et le lendemain de rencontrer son auteur !

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  2. Faut pas exagérer : j'ai pris ma Triumph Thunderbird et j'ai traversé Paris comme dans Easy Rider... et hop, fastoche !

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