vendredi 12 avril 2024

Ce matin au kiosque 6 - Des histoire de corbac et de nounou

Jean-Michel est en rupture de stock de l’Opus3. Il a vendu l’exemplaire qui trône tel un étendard sur le devant de sa caisse. L’heureux acquéreur est une de mes anciennes connaissances professionnelles et un voisin proche. Je lui dois une dédicace mais le numéro de portable que j’utilise ne paraît pas être le bon. Jean-Michel, le passeur, va y remédier.

En attendant, muni de mon petit café, je vais prendre l’air sur le parvis. Il fait très bon, une température idéale, une fraîcheur de printemps accompagné d’un doux zéphyr… Un affreux corbeau se prend pour un orfraie et pousse des vocalises sinistres devant une colonne Morris ventant un spectacle extraordinaire : « une expérience inoubliable à vivre en famille ». Peut-être n’est-il pas d’accord avec cette affiche aguicheuse ? Peut-être sent-il un zeste d’exagération ? 

Une femme, assise sur un banc, vient de se rendre compte que le corbac est à moins de 2,00 m d’elle. Elle partage sa frayeur au téléphone avec une copine (ou son amant ?).

Une nounou sort du kiosque avec une poussette et pas moins de 5 à 6 drôles autour d’elle. (Drôles est l’appellation charentaise pour un gamin ; drôlesse pour les gamines). Une dame d’un âge honorable - 90 ans dans quelques jours, c’est ce que j’apprendrai dans quelques minutes - est assise à l’une des tables de la terrasse-parvis et considère d’un regard dubitatif cet attelage juvénile. 

Quel courage ! dis-je. Ah ! Jamais de la vie pour moi, me répond la vieille dame. Quand j’ai eu ma fille - il y a déjà un certain temps car j’ai un fils de 58 ans - j’ai eu idée de faire la nounou. Je gardais une petite fille très mignonne mais terriblement sale. Elle m’arrivait tous les matins pas lavée et avec des vêtements d’une saleté ! Vous pouviez la refuser, lance la nounou opérationnelle qui tente d’organiser un départ plus ou moins ordonné de sa meute ; maintenant on les refuse. Oui, mais à mon époque, on ne le faisait pas, lui réplique la vieille dame. Et je l’habillais avec des vêtements de mon fils. Mais ils étaient trop grands pour elle, la pauvrette, et j’avais honte de la sortir comme ça. Alors, j’ai dit stop. Les parents qui étaient jeunes avaient une voiture. A cette époque, jeunes et une voiture… mais ils avaient pas les moyens pour habiller correctement leur fille, et l’hygiène … lamentable !

La vieille dame a de très beaux yeux verts. Ses paupières sont légèrement maquillées et elle porte des bijoux fantaisie plutôt de « bon goût » (si le « bon goût » consiste en ni trop, ni trop peu). Ses cheveux sont blancs, courts, avec une ondulation bien serrée que l’on imagine travaillée aux bigoudis.

Je suis née à Courbevoie, te prend-elle. J’ai longtemps habité de l’autre côté de la voie ferrée, côté Asnieres. Mais ici, à Becon, on est dans un petit village. On a tout ce qu’il faut, me dit-elle, en me désignant de la main le quartier commerçant juste devant nous.

Je fais les courses pour ma soeur. Elle a des difficultés à sortir. Ses jambes. C’est vrai qu’elle a 92 ans. J’ai voyagé, mais plutôt en France. Avec la municipalité de Courbevoie. Mais maintenant, ils préfèrent les nouveaux arrivants. Bon, je ne suis jamais allée en Angleterre. Je ne verrai jamais Londres, mais c’est pas grave. Et son visage s’illumine d’un grand sourire. C’est pas grave. Il faut en profiter, tant qu’on peut. 

Il paraît que les tours à La Défense qui sont vides sont financés avec du blanchiment d’argent. Ah bon ? Je lui dit. Oui, il parait et tous ces bureaux vides ?

Je lui explique que les investisseurs comme les assurances se doivent d’investir une partie de leurs capitaux dans l’immobilier.

Elle délaisse les affres du monde de l’immobilier pour me dire : il fait bon, mais on va aller vers des saisons de plus en plus chaudes ; des canicules ; on verra bien…

J’ai dû interrompre notre conversation. Ma petite-fille m’attendait pour que je lui fasse faire du vélo… sans petites roues ! J’avais encore des choses extraordinaires à vivre aujourd’hui.

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