J’ai
ensuite pris le train pour St Lazare. J’ai marché jusqu’à la Place Vendôme où
je devais chercher une montre dans la bijouterie XX. L’aventure de ce petit
objet mérite quelques lignes. (si ça ne vous intéresse pas, n'hésitez pas à sauter ce passage).
Cette
montre - celle de mon épouse - venait d’être révisée entièrement il y a moins
d’un an (pour un montant non anecdotique), quand elle a affiché un retard
chronique ; ce qui est fâcheux pour une montre, il faut bien le
reconnaître. Mon épouse a cru à une faiblesse de la pile et l’a portée chez un
horloger de la rue Royale, lequel nous a toujours paru plus sympathique - et
surtout moins obséquieux - que son confrère de la célèbre place où Gustave
Courbet, le 16 mai 1871, s’était exercé à renverser un symbole de la
« barbarie impériale » et un « attentat à la fraternité ».
Quelques
temps après ce changement de pile, la montre renouvelle ses caprices. On la rapporte
donc Place Vendôme et, quelques semaines plus tard, un devis d’un montant de
près de 500 € nous parvient. Stupeur et tremblements dans les chaumières. Nous
arguons qu’elle est sous garantie et on nous voit opposer le fait que la montre
a été ouverte ; des traces de doigts et la repose du cadran à l’envers (on
n’a pas compris comment le cadran avait pu être reposé à l’envers) l’attestant.
La montre étant sous garantie, il eut fallu demander chez les obséquieux le
changement de pile ; c’est la règle (et dura lex sed lex,
probablement).
Nous
revenons chez notre horloger de la rue Royale et après quelques tergiversations,
il accepte de prendre en charge les frais réclamés par XX. J’ai oublié une
chose : lors de la toute première révision, les ateliers suisses de XX
avaient monté des aiguilles plus petites (sans doute celle d’un modèle femme),
ce qui nous avait conduit à renvoyer la montre en Suisse.
À présent,
il va falloir que le « garde-temps » (la montre chez les obséquieux)
revienne une nouvelle fois de Suisse, que nous la récupérions pour l’acheminer
chez l’horloger de la rue Royale (la raison pour laquelle j’étais Place Vendôme
et non pour un rendez-vous avec le Garde des Sceaux), que celui-ci établisse un
devis mentionnant qu’il prend en charge les frais de réparation et qu’elle
reparte en Suisse pour s’y faire à nouveau opérer à la brucelle. Elle repassera
dans quelques temps la frontière (pire qu’un évadé fiscal !), puis le
périphérique, pour revenir à Bécon-les-Bruyères. C’est une montre qui a une
empreinte carbone catastrophique !
Retour
à ce matin. Place Vendôme, 10H. Pas de pot : XX n’ouvre qu’à 11H. Ce
mètre-étalon gravé sur le bas d’un pilastre du Ministère de la Justice m’a
intrigué, quand j’y suis passé il y a quelques minutes. Une légende indique qu’il
en existait 16, réalisés entre les années 1796 et 1799, dispersés dans les
lieux les plus fréquentés de Paris afin d’ « encourager l’usage du nouveau
système métrique ». Il n’en reste plus que 2. L’autre est sous les arcades
du Sénat. Plus concrètement : où y-a-t-il une librairie digne d’intérêt
dans les parages ? Delamain, Place du Palais-Royal, en face de la Comédie
française. Allons-y ! J’ai repéré dans la dernière publication de la revue
« Esprit », une recension sur un essai, « L’homme diminué par l’IA »
de Marius Bertolucci, qui a excité ma curiosité (je dois avouer qu’il m’en faut
peu, au risque de me disperser). Et puis, ils auront peut-être « Ma sœur la
vie », le fameux recueil de poésie de Pasternack, l’auteur du « Docteur
Jivago ». La présentation que j’ai écoutée hier sur un podcast consacré à
la nouvelle traduction du célèbre roman russe, m’a mis l’eau à la bouche.
Ils
ont bien l’essai de Bertolucci mais pas la poésie. Je feuillète un autre
recueil dont les poèmes me paraissent correspondre à mes attentes, et je l’acquière.
Pour de brèves heures…
Je
récupère la montre à la boutique XX. Dans mon parcours aller et retour au sein
de cet espace feutré, un nombre incalculable d’employés en costume noir me saluent
avec une déférence empruntée comme si j’étais un grand de ce monde.
La
rue Saint-Honoré que j’ai arpenté pour aller chez Delamain, pour revenir Place Vendôme,
puis pour rejoindre la rue Royale, m’a donné à voir (expression très usitée
chez les architectes) des quantité de choses mais, rassurez-vous, je ne vous
les livrerai pas toutes ; et donc, en vrac : un chauffeur joufflu dans
une Jaguar de maître mangeant un plat dans sa gamelle en carton au risque de
tacher les sièges en cuir de sauce barbecue ; l’Hôtel de Noailles où une
plaque indique que La Fayette y épousa le 11 février 1774, Marie Adrienne
Françoise de Noailles (il a 16 ans, elle en a 15 !) ; l’ancien siège
de la DGPPE (l’ancien service constructeur du Ministère de la Justice) où j’ai
trainé quelques guêtres à la fin du siècle précédent, reconverti en hôtel de
luxe, boutiques du même acabit (quel destin !) ; un immeuble des
années 30 avec une entrée surplombée par deux angelots grassouillets, à gauche
et à droite, avec la mention des ingénieurs (rare !) et des architectes,
de part et d’autre.
Après
avoir déposé la montre rue Royale, je pousse jusqu’à la rue d’Anjou et la
Maison du Whisky où j’ai mes habitudes sinon mes entrées (avec une fréquence
excessive selon mon épouse). Jean-Marc, le gérant, avec lequel j’ai sympathisé,
est momentanément absent. Je vais l’attendre et je ne me fais pas prier quand
une charmante jeune femme me propose de déguster un cognac élaboré en Tasmanie.
Magnifique.
Jean-Marc
revient, il m’informe qu’il prend sa retraite en septembre prochain (enfin, une
retraite active car il va continuer à écrire des commentaires et faire des
dégustations). Une idée me vient à l’esprit : et si nous organisions
ensemble un petit évènement sympathique sur l’île de Ré conjuguant la poésie et
le whisky ? Dans le cadre du Printemps des Poètes, en mars 2025, par exemple.
Il est partant, d’autant qu’il n’a
jamais mis les pieds à Ré et que nous pouvons l’accueillir.
Équipé
dans la tête de ce projet et au bout des bras d’une bouteille de Tasmanie, il
me faut revenir at home car dans ma « to do list »
il me reste à faire les courses pour le déjeuner.
Dans
le train qui me ramène à Bécon, Jean-Michel m’informe par sms que j’ai une
dédicace à faire. Il a encore vendu un recueil ! Et c’est la « petite-grande
dame » qui est l’acheteuse. Justement, je l’ai aperçue en arrivant dans le hall en
discussion avec une autre dame. Je vais la saluer. Son visage rayonne en me
voyant et elle me remercie très chaleureusement pour mon texte. Si je peux lui
transmettre, elle veut le montrer à ses enfants, comme ça ils verront… Jean-Michel
m’a donné son numéro de portable. Je le ferai cet après-midi. Quant à la
dédicace, elle sera faite demain matin. D’ailleurs, je passerai vers 10H.
Je m’aperçois
que je suis bien long pour cet épisode de « Ce matin, au kiosque ».
Alors, rapidement quand même un bout d’après-midi.
Je
découvre que le poète, auteur du recueil que j’ai acheté chez Delamain, vient d’être
condamné pour violences conjugales extrêmes. Et si j’en crois les articles
parus sur ce sujet, le poète en question est un sale type, vulgaire, jaloux,
violent et j’en passe, qui martyrise sa femme (une de ses anciennes étudiantes)
depuis plus de 20 ans. Impossible de garder le livre de ce bonhomme. Je le
ramène dès cet après-midi à la librairie.
Sur la place du Palais Royal, il y a un type avec un ventre énorme qui fait des
énormes bulles (le type, pas le ventre, encore que...). Peut-être a-t-il le rêvé de s’envoler avec ses bulles grâce à
son ventre ?
L’avenue
de l’Opéra est entièrement fermée afin d’accueillir une course à pied, « Move
your mind ». Un b… sans nom sur la Place de l’Opéra avec des voitures et
des bus dans tous les sens. Les bigorexiques ont encore frappé !
J’ai
commencé à lire « L’homme diminué par l’IA » sur une chaise métallique dans le jardin du Palais Royal. J’ai relevé 2 phrases :
« Le temps long de la réflexion a cédé le pas à l’indignation de l’instant »
et « Le journaliste est remplacé par tout un chacun, et l’expertise par l’opinion ».
La dernière chose que j'avais à écrire concerne un couple qui venait vers moi, sur le trottoir, à Bécon-les-Bruyères, en fin de journée. Ils se tenaient par la main. Ils étaient vieux, très vieux et étaient visiblement amoureux, très amoureux. Quand nous nous sommes croisés, je n'ai pas pu m'empêcher de leur dire que je voyais qu'ils étaient amoureux et que c'était beau. Ils se sont arrêtés, bien sûr, et la femme m'a regardé, et son visage était radieux. Elle était belle malgré son visage ridé. Elle m'a dit : "Je vous souhaite d'être comme nous quand vous aurez notre âge, et merci pour ce que vous nous avez dit." Ils sont repartis, main dans la main, d'un pas lent et formidable.
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