Ce matin au kiosque, nous avons échangé sur l’avenir du monde. Rien que ça ! Une petite dame d’un certain âge, toute fine et si mince qu’elle paraissait d’une fragilité extrême, est venue acheter, comme chaque jour, ses deux quotidiens, L’Humanité et Libération.
J’étais en train de siroter un café et échanger quelques considérations avec Jean-Michel sur la qualité d’ARTE. Je lui vantais les paysages de l'île de Bréhat en espérant qu'il mette à profit sa retraite prochaine pour programmer une visite sur "L'ile fleurie à la douceur de vivre."
J’ai dit à la petite dame : « La lutte continue ! ». Et puis, pour ne pas lui laisser croire que je me moquais d’elle, je l’ai complimenté pour ses achats en évoquant le compagnon de ma fille qui, lui aussi, lit L’Humanité. J’aurais pu lui dire que j’avais souvent plaisir à lire Libé.
Jean-Michel a renchéri en disant qu’il préférait vendre L’Humanité que Rivarol. Il a un client qui achète Rivarol. Il nous a confié qu’il avait eu un petit échange avec lui, dernièrement, lui faisant comprendre qu’il n’était pas de ce bord-là. Bravo, Jean-Michel : il ne faut rien lâcher !
Quand la petite dame s’est rendu compte que nous partagions plutôt ses idées, il m’a semblé qu’elle s’est détendue et qu’elle n’était pas mécontente de pouvoir parler avec nous (en fait, elle paraissait ravie).
J’ai embrayé sur une émission récente du Bookclub de France Culture que j’ai écoutée en podcast hier. Deux intellectuels ont écrit un pamphlet dont le titre est : « Les Tontons flingueurs de la Gauche. » Nous nous sommes accordés sur le fait que la Gauche allait mal et qu’il faudrait qu’elle ait un vrai projet, plutôt que de se déchirer continuellement entre toutes ses composantes.
« Il manque une « figure charismatique », quelqu’un qui porte avec force les vraies valeurs de la Gauche », ai-je avancé. Une banalité.
« Vous avez raison, m’a répondu la petite dame, ça manque cruellement.
Quand j’étais jeune, je croyais que je pouvais changer le monde, le rendre
meilleur. Mais voilà, j’ai dû me tromper. Les jeunes ne semblent pas inquiets
de l’avenir. Je le suis plus qu’eux et pourtant, vu mon âge… j’ai dû me
tromper. Maintenant, s’ils sont heureux comme ça… »
J’ai poursuivi. « L’un des problèmes actuels est qu’il n’y a plus vraiment d’utopie possible. Le communisme a montré, douloureusement, ses limites. Mais quel courant de pensée n’a pas dévoyé son message originel ? Voyez la parole de Jésus et ce que l’Eglise en a fait pendant des siècles : on a torturé, pendu, brûlé au nom du Christ ! » La petite dame acquiesce. Je continue. « Mais, il y a des jeunes qui sont très engagés et qui ne baissent pas les bras devant les années difficiles qui se préparent. J’ai un fils qui « y va » et je le soutiens. »
« Le département des Hauts-de-Seine n’est pas réputé être de gauche, dit la petite dame avec un petit sourire en coin, et à part Gennevilliers - mais qui va sans aller à droite aux prochaines élections… Je ne comprends pas, il y avait plein d’usines à Bécon et dans le coin. Maintenant, il y a de moins en moins d’aides sociales, et personne ne réagit. Je voudrais bien être encore jeune, mais, en fait, je ne regrette pas d’avoir vécu ma vie et si c’était à refaire, j’aurais les mêmes engagements. C’est compliqué pour les jeunes de nos jours. »
Nous
ne pouvions pas poursuivre cette conversation tenue à proximité de la caisse de
Jean-Michel, et c’est dommage. Il a un métier, lui !
Mais,
je croiserai certainement encore cette petite dame et je l’inviterai à boire un
café. Mais pourquoi est-ce que j’écris « une petite dame » ? Il
s’agit d’une « grande dame », par le cœur et la pensée.
Postface :
Jean-Michel, en me voyant arriver ce matin vers 11H, a déposé un billet de 20€ sur la tablette en verre au-dessus des viennoiseries et du présentoir à livres, tout en me regardant d’un air qui associait habilement la satisfaction et le mystère. Sur le moment, je n’ai pas compris que ce billet était pour moi. Toujours sans prononcer un mot, son regard s’est porté à l’endroit précis, tout près de la caisse, où il expose d’ordinaire mon recueil de poèmes. Il n’y était plus.
Quel agent littéraire, ce Jean-Michel ! Le recordman du monde des ventes
d’Opus3 d’un certain Claude Labbé !
« C’est
un monsieur qui passe le vendredi. Il travaille dans une maison de distribution
de presse, de l’autre côté de la gare », m’a-t-il dit. « Et bien, je
passerai demain,», ai-je répondu.
Et
puis, j’ai commencé à lire « De la campagne à la ville - De la Saintonge à Courbevoie », le livre d’un client du kiosque qui en a confié un
exemplaire à Jean-Michel pour qu’il me le remette (Cf « Ce matin au
kiosque », épisode précédent). Il faudra que je lui en parle. Demain. Tout ça demain... une "grande dame".
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire