samedi 6 avril 2024

Ce matin au kiosque 5 - Dédicace d’un Abuelo

Ce matin, j’ai fait l’ouverture. Même la « pré-ouverture », puisqu’il n’était pas encore 8h00 quand je suis arrivé au kiosque ; pardon : au « magasin de presse » comme le nomme Ginette, la « petite-grande Dame » de Bécon.

Jean-Michel dressait les tables de cette terrasse qui accueille, quotidiennement, les habitués : celui que j’ai surnommé « le biker », un homme sympathique, inséparable de son chien barbet, de ses lunettes de soleil et de sa casquette en tweed ; un couple, le visage de l'homme me rappelle le grand joueur des All Black, Tana Umaga, j’apprendrai bientôt le prénom de son épouse, Martine ; une jeune femme plutôt discrète qui m’a un jour interrogé sur le « comment écrire » car elle aimerait écrire (réponse : comme pour tout, s’entraîner à écrire) ; et puis d’autres que je n’ai pas identifiés, mais ça viendra sans doute un jour. 

J’ai pris mon petit café à la fraîche, avant le pic de chaleur (plus de 25 degrés annoncés sur la Région Parisienne pour le week-end, et la France coloniale couverte des poussières du sable rouge africain : une revanche ? Un rappel contre l’oubli ?).

J’ai dédicacé l’Opus3 pour ma « petite-grande Dame » : Pour Ginette, la « petite-grande Dame » de Becon-les-Bruyères, dont les engagements de vie sont matière à poésie, de cette « poésie qui ne sert à rien qu’à vivre en toute lucidité. »

Amitiés poétiques


J’ai repris cette belle définition de la poésie d’Odysseas Elytis, ce grand poète grec, Prix Nobel de Littérature 1979.


Bécon est plutôt calme : l’heure matinale et les vacances de Pâques. Les bourgeois de Bécon ont déserté la ville pour la campagne et les bords de mer ; peut-être la montagne pour les irréductibles ?

Au moment où je me lève pour déposer ma tasse en carton vide dans la petite poubelle, Jean-Michel s’entretient avec un homme d’une certaine corpulence, dans les parages des 80 ans, cheveux blancs et barbe blanche en bataille. « Vous ne voulez pas un recueil de poèmes ? l’auteur est là », lui dit-il, en me présentant. « C’est combien ? », dit l’homme. « Pas cher, 250€ », je lui réponds. « Vous m’en mettrez une dizaine », sourit l’imprimeur retraité. Jean-Michel, en qualité d’agent littéraire (le mien) montre « Abuelo » exposé tout en haut sur le présentoir à livres. « Et c’est lui qui a écrit ce livre. » 

Je demande à notre imprimeur barbu s’il connaît Bréhat. Il acquiesce. « Oui, j’y suis allé, il y a longtemps, mais maintenant ça ne m’est plus possible : la santé et je n'ai plus de voiture. »

Jean-Michel me dit que ce monsieur aurait plein d’histoires à raconter sur les hôpitaux. Et notre homme d’embrayer. « Ah, les hôpitaux ! J’ai eu un mélanome en 2012. À Cochin, je suis tombé sur un chirurgien qui m’a enlevé un ganglion, mais il s’est trompé : ce n’était pas le bon. Bilan, des métastases partout ! Et puis les infirmières : j’étais soigné par une qui était bien. Elle disparaît. On me dit qu’elle a démissionné. Je la revois quelques temps après. Je lui dit : vous n’avez pas démissionné ? Si, me répond-elle, mais je suis en intérim et je gagne 3 fois plus !


J’étais imprimeur dans une imprimerie située derrière l’église St Pierre-St Paul à Courbevoie. Vous voyez ? (Je vois, c’est l’église d’où l’Abbe Pierre a lancé son fameux appel, l’hiver 54). Ça marchait bien, surtout avec le développement de La Défense. On imprimait de tout, même des carnets de chèque ! L’épouse du patron était comptable. » 


Suit une succession de cancers qui, si j’ai bien compris, touchent la famille des patrons. L’imprimerie voit son chiffre d’affaires baisser dramatiquement jusqu’à ce qu’un « margoulin » la rachète pour un euro symbolique. « C’était un ancien typo qui avait une boîte de 3 personnes à Rueil.  Nous étions une soixantaine. 30 hommes et 30 femmes. Ça a tenu sept ans, puis on a mis la clé sous la porte. »

Le margoulin : le Tapie de l'imprimerie. On a pensé ça tous les deux avec Jean-Michel.


Je suis allé acheter deux croissants. En revenant, un bout de trottoir était recouvert des pétales blancs d’un pommier en fleur ; comme s’il avait neigé, précisément, juste sur ce bout de trottoir.


A 10h, j’avais rendez-vous avec Ginette. Jean-Michel nous a offert le café et nous avons papoter quelques minutes sur la terrasse. Démentèlement du service public, atteinte au régime des retraites : nos opinions convergent. Ginette a travaillé dans les assurances ; les AGF, nationalisées puis privatisées et intégrées au groupe allemand Allianz. « Maintenant, j’ai le sentiment de ne servir à rien », me dit-elle. « Et vos enfants, vos petits enfants ? Ah oui, c’est vrai ! » dit-elle en souriant. Son engagement syndicaliste lui a permis de vaincre sa grande timidité. Elle me confie qu’elle aime lire, mais qu’elle a de plus en plus de difficultés à lire compte tenu de son âge, surtout pour les journaux. Elle n’aime pas les romans de bavardage. En revanche, « je suis incapable d’écrire ; ça ne vient pas, alors, il ne faut pas forcer ! »

Ginette m’a demandé ce que je faisais professionnellement. Je lui ai parlé d’ingénierie et d’architecture de grands projets.


J’ai dû la quitter pour aller au marché. Fruits et légumes, poissons et coquillages, volailles et charcuterie, nous avons nos commerçants, toujours les mêmes depuis 20 ans, toujours attentionnés. 

J’ai reçu un sms : « Claude dédicace pour Abuelo ». Je réponds Ok, dans un petit 1/4 d’heure. Ce Jean-Michel est polyvalent : Romans, poésies, rien ne résiste à cette force de vente hors du commun. S’il y avait des jeux olympiques de la vente de littérature, il obtiendrait la médaille d’or à coup sûr !

Je rejoins donc le « magasin de presse » et Jean-Michel me désigne une dame, une fidèle du kiosque et qui doit être l’épouse ou la compagne de « Tana Umaga ». Lui, il est en compagnie d’une petite dizaine d’amis, probablement des habitués du samedi. Je m’assois pour écrire une dédicace. Jean-Pierre, l’auteur de la « Saintonge sanglante », l’infatigable militant de la MJC de Courbevoie, le Kiné-ostéopathe et le charentais, me rejoint. Je le félicite sur son livre que j’ai commencé. Très bien écrit et certainement un merveilleux témoignage pour sa famille. Il est accompagné de Choupi, sa petite chienne, qui montre des velléités à gambader ; le Printemps ! Jean-Pierre allume un cigarillos et me parle de ses livres (il en écrit actuellement un 3eme, une auto fiction), en me racontant à nouveau son combat pour la MJC, son traumatisme de n’avoir connu depuis son arrivée à Courbevoie que 2 maires, et ses 3 femmes (successives) bien qu’il ne soit pas dragueur. « Les hasards de la vie », me confie-t-il avec une moue dubitative. 

Je peine un peu à me concentrer pour la dédicace d’Abuelo. Je vais finir par écrire quelque chose pour Martine ; quelque chose j’aurais souhaité moins banale. L’homme au barbet raconte l’opération qu’il a subi visant à lui enlever des calculs (tout du moins, c’est ça que j’ai retenu. Mais peut-être s'agissait il de la prostate, ou les deux, ou d'autres choses. Bref, il a dégusté. 

Pas facile de me concentrer. Je finis par écrire un mot, trop banal à mon goût. Martine, qui n’a pas voulu que je lui parle un peu du livre -« surtout pas ! » - me promet que nous en parlerons après qu’elle l’ait lu.

Dali considérait la gare de Perpignan comme le centre du monde ; aujourd'hui, il est à Bécon-les-Bruyères.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire