Prix Femina 2023, distinction qui l’a sans doute privé du Goncourt, « Triste tigre » est un récit troublant. Le thème central du livre, davantage que les violences sexuelles à répétition commises alors qu’elle n’était qu’une enfant et durant plusieurs années par son beau-père, réside dans un questionnement très introspectif sur les raisons qui poussent un homme à commettre de tels actes, sur la forme que doit prendre le témoignage de la victime, sur la nature du regard que la société porte sur les acteurs du crime - l’agresseur pédophile et sa victime -, sur la possibilité du pardon, sur le cheminement pour se reconstruire et sur la nature-même du texte : littérature ou non.
Neige Sinno semble au plus près de son lecteur, attentive à la perception qu’il aura de son propos, sans assujettir son écriture à une quelconque reconnaissance. Elle veut exprimer une vérité sans s’illusionner sur la part de doute que son interprétation des faits peut engendrer. Il y a dans son propos une grande liberté et une grande souffrance, un désir de comprendre et un « à quoi bon » fataliste. Et bien sur, une franchise et un courage formidables.
L’expérience qu’elle a vécu lui fait appartenir définitivement à cette « armée des ombres » qui habite un « autre lieu », « un monde où victime et bourreau sont réunis » et où le défi de la vie est d’ « apprendre à rester sur le seuil de ce monde » (…) et surtout, « ne pas tomber, ne pas tomber. »
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