Ici on tente de s'exercer à écrire sur l'architecture et les livres (pour l'essentiel). Ça nous arrive aussi de parler d'art et on a quelques humeurs. On poste quelques photos ; celles qu'on aime et des paréidolies. Et c'est évidemment un blog qui rend hommage à l'immense poète et chanteur Léonard Cohen.
vendredi 20 octobre 2023
« L’enragé » de Sorg Chalendon
L’enragé c’est lui, Jules Bonneau, alias « La Teigne », colon de la colonie pénitentiaire pour enfants de Haute-Boulogne à Belle-ile où il a été conduit à l’âge de 13 ans pour avoir accompagné deux frères qui voulaient venger leur mère injustement condamnée. De sa famille, il ne conserve précieusement qu’un ruban de soie que sa mère lui a attaché au poignet quand elle est partie, alors qu’il n’avait que cinq ans. Son père, saisonnier agricole et alcoolique, l’a confié alors à ses parents qui l’ont maltraité et ont encouragé son emprisonnement. Car il s’agit bien d’une prison et non plus d’un lieu de rééducation des enfants comme l’imaginaient les promoteurs des colonies pénitentiaires agricoles créées au début du 19eme siècle, sous l’impulsion du magistrat Frederic-Auguste Deretz (1796-1873). Discipline de fer, maltraitance continue, sévices de tous ordres, humiliations, travaux pénibles, pitances sommaires, tel est le régime auquel « La Teigne » sera confrontée durant les sept années de sa survie derrière les murs de la Haute-Boulogne, qui ne firent que renforcer sa haine envers l’institution, ses satrapes et la société en général.
C’est donc un fauve qui, a l’occasion d’une mutinerie qu’il a provoquée, parvient à s’échapper. Mais il y a « Les récifs, les courants, les tempêtes. On ne s’évade pas d’une île. On longe les côtes à perte de vue en maudissant la mer », surtout si toute la population de l’île, touristes compris, se joint à la police et aux matons, pour se délecter de cette chasse à l’enfant. Un seul fugitif ne sera pas retrouvé.
Sordj Chalendon raconte son histoire et il parvient à le faire avec virtuosité tant dans les dialogues que dans le style très nerveux du récit et le choix des mots qui traduisent parfaitement l’extrême dureté des situations, l’inhumanité de ces gens censés rééduquer des enfants qui, pour la plupart, ne sont coupables que de menus larcins ou simplement d’être nés sous une mauvaise étoile.
Mais les mots, comme apprivoisés par moment, parviennent aussi à traduire la solidarité, l’amitié et la tendresse.
Sorj Chalandon, qui a lui-même été un enfant battu (voir son entretien chez Mollat), a repris en épigraphe, un extrait de « L’enfant » de Jules Valles : « À tous ceux qui crevèrent d’ennui au collège ou qu’on fit pleurer dans la famille qui, pendant leur enfance, furent tyrannisés par leurs maîtres ou rossés par leurs parents. »
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